Rome, ville rouverte. Rompre avec un système économique et un mode de vie aliénants qui altèrent la santé, l'espoir et la liberté : c'est ce que décide de faire un groupe de jeunes Romains à la fin des années 2020, qui crée une communauté autogérée sous un viaduc abandonné. « Si on veut savoir comment les choses fonctionnent, il faut les regarder s'effondrer », lance l'un des « Pulldogs », comme se font appeler ces rêveurs qui gagnent leur vie en transportant des passagers en pousse-pousse. De fait, l'industrie a détruit la nature, et les épidémies successives de maladies d'origine animale ont conduit à des massacres de troupeaux de bétail. Parmi ces jeunes gens se trouve Alan, qui a été victime d'un accident du travail dans le gigantesque entrepôt de stockage où il triait des milliers de colis par jour. Devenu paraplégique, il a finalement retrouvé l'usage de ses jambes en ingurgitant des « nanites », des comprimés intégrant des systèmes nanoélectromécaniques que l'on achète sur un marché parallèle, qui réparent le corps et nourrissent en se connectant au système nerveux. Cette révolution technologique va être à la base d'une aventure libertaire insolite fondée sur la conviction que, pour vivre mieux, il faut arrêter de manger, l'alimentation classique étant considérée comme nocive et comme une perte de temps. Alan, son amie Silvia et tant d'autres deviennent des « Itinérants » et entreprennent de squatter des maisons désertées, ramenant la végétation au cœur de la cité. Ils refusent l'usage des lentilles connectées et les notifications d'alerte sur la santé et l'espérance de vie. Chez l'auteur italien Francesco Verso, l'utopie est à portée de main, et elle fourmille de trouvailles, comme ces « smartfum » créés par un « compositeur de parfums » et introduits dans les discothèques et les anciens restaurants, devenus des lieux de convivialité où l'on vient humer des senteurs nouvelles. C'est finalement cette Rome à peine futuriste, symbole de la ville-mère éternelle et personnage à part entière de l'histoire, qui va combler les besoins vitaux des protagonistes. Elle recèle en effet une incommensurable richesse : des mythologies et d'autres sources d'imaginaires inépuisables dont vont se nourrir les Itinérants enfin libérés de la faim... Même si la violence sociale est toujours présente, ces derniers sont aussi déterminés qu'inventifs, résistant aux assauts des policiers et lâchant des pigeons pour déstabiliser les drones de reconnaissance. Francesco Verso nous offre presque, sous la forme d'une fiction, un manuel de secourisme politique universel, plaidant pour le nomadisme, réinventant les usages de la ville − quand, par exemple, ses personnages entament des parcours de golf urbain. Ce roman excentrique demeure un hommage à ceux et celles qui renoncent enfin à « maîtriser le chaos », et il fait la part belle aux avenirs désirables. Francesco Verso, figure de la SF italienne, auteur multiprimé, également anthologiste et éditeur de renom, et dont Les itinérants est le premier livre traduit en français, s'affirme ici comme l'une des voix les plus inventives de cette nouvelle littérature estampillée « solarpunk ».