Il ne suffit pas d’être le fils (illégitime) de Marc Chagall - cette relation compliquée constituant sans doute son drame le plus prégnant - ni de posséder pas mal de dons (écriture, musique, chanson, dessin) pour être « un homme heureux », comme dit William Sheller. D’ailleurs, à l’en croire, David McNeil, surdoué, touche-à-tout, a toujours été malheureux et a payé le prix fort ce tædium vitæ qui semble lui être consubstantiel : alcoolique, dépressif, incapable de travailler, il se relève de vingt ans de passage à vide.
On s’en réjouit et l’on espère que cette fois-ci, c’est la bonne, et que ce petit livre lui redonnera le goût de l’écriture, et pourquoi pas celui de composer des chansons ? Talent par quoi notre ami s’est fait connaître de quelques milliers d’aficionados qui l’aiment en tant qu’artiste complet, lui se considérant comme un « chanteur confidentiel », tandis que le grand public ignore qu’il est l’auteur à succès de tubes pour tout le gratin de la chanson française, de Montand à Souchon en passant par Julien Clerc.
De livre en livre, depuis Lettres à mademoiselle Blumenfeld (L’Arpenteur-Gallimard, 1991), David McNeil n’en finit pas de revenir à ses fondamentaux (ses racines juives, par exemple), et de revisiter son parcours, pour le moins atypique. Ici, sous une forme plaisante, qui voit alterner courtes mises en situation, textes de chansons et croquis, il raconte comment il a découvert la musique en clandestin : en l’occurrence Miles Davis, dans le pensionnat chic de la région parisienne où il était reclus. Comment il a composé ses premières chansons, a publié ses premiers albums chez Saravah, la maison de l’exigeant Pierre Barouh, avant de le « trahir » pour des majors friquées et de devenir, pour faire bouillir sa marmite familiale, auteur pour d’autres : ça l’énerve, et il en conçoit du dépit. Qui sait si sa déprime ne provient pas du fait d’avoir tous les talents, et de n’en maîtriser aucun ? « Chanteur confidentiel », donc, David McNeil est un gentil géant, un doux rêveur, un fool sentimental et un écrivain à (longues) éclipses, dont on attend toujours qu’il nous donne le grand livre qu’il porte évidemment en lui. Depuis plus de soixante ans. J.-C. P.