Des ebooks et des caractères chinois : ce sont les deux images qui resteront de la dernière Foire de Londres qui s'est déroulée, dans un climat tendu, du 16 au 18 avril. La Chine a fait une démonstration de force en venant avec près de 500 représentants et en prenant plus de 2 000 m2 de surface d'exposition. Les larges stands chinois sont restés relativement vides et les multiples débats organisés par la délégation semblaient intéresser surtout leurs compatriotes. Mais quelques éditeurs chinois sont tout de même allés fouiller dans les catalogues français. "Les Chinois achètent depuis quelques années déjà des livres jeunesse, note Christian Voges en charge des cessions de droit pour Vilo. Et ils s'ouvrent désormais au marché du beau livre." Ahmed Rafif chez ACR note le même attrait pour ses livres d'art. "Cependant, quand nous vendons en France un livre à 50 euros, eux ne peuvent pas le commercialiser à plus de 10 euros. Financièrement ce n'est pas très intéressant pour nous." Chez Albin Michel aussi, Solène Chabanais a reçu, parmi les 50 rendez-vous qu'elle avait programmés, quelques éditeurs chinois qui commencent à "montrer de l'intérêt pour la production française de fiction, mais aussi de non-fiction".
Face à ce dynamisme chinois, ce sont plutôt les tensions qui ont animé les échanges entre Occidentaux. La montée en puissance des ventes d'ebooks, surtout dans le monde anglo-saxon, occupait la majorité des débats. Près d'un quart de la surface d'exposition était dédiée aux contenus immatériels avec deux nouveaux espaces, l'un consacré à l'édition numérique et l'autre aux Apps. Or, ces nouveaux acteurs sont présentés comme affrontant dans une "lutte pour la survie" les éditeurs traditionnels. Ce langage dramatique a imprégné la joute verbale qui a opposé lundi deux éditeurs défendant les maisons bien installées à deux champions de l'autoédition. Au terme du débat, le public, qui devait voter pour le modèle le plus convaincant, a élu à une large majorité celui des éditeurs traditionnels.
La crise économique en Europe n'arrange pas les choses et pèse sur toutes les transactions. Dans une tribune diffusée à l'ouverture de la Foire par notre confrère The Bookseller, le président du Syndicat national de l'édition, Antoine Gallimard, a fermement appelé à la raison les agents, en les enjoignant de tenir compte dans leur contrat de la situation difficile du monde du livre (voir p. 11). Chaque rendez-vous entre professionnels >commençait par un bon quart d'heure sur la crise. "C'est une foire un peu déprimée : le marché hollandais est à - 20 %, le portugais à -30 %, quant aux Espagnols, ils ne donnent même plus de chiffres !", note Jean Mattern chez Gallimard. Corinne Marotte de L'Autre agence constate un "quasi-gel des échanges depuis le dernier Francfort". De plus, les livres qui circulent enthousiasment peu les Français. Isabelle Laffont chez Lattès remarque qu'il n'y a "pas grand-chose" mais se réjouit de l'achat d'une trilogie érotique, Fifty Shades of Grey de E. L. James, "un peu à la Twilight de Stephenie Meyer". De fait, beaucoup de livres proposés surfent sur les listes de best-sellers. "Je ne compte plus cette année le nombre de romans que l'on me présente en le comparant à La couleur des sentiments !", s'amuse Francis Geffard chez Albin Michel. "J'ai l'impressionque l'on cherche à me vendre toujours le même livre, remarque >l'éditrice néerlandaise Lidewidje Paris. Au Pays-Bas, le marché est à - 22 %, alors j'ai réduit d'un tiers ma production. Je n'achèterai donc qu'un coup de coeur."
LA TÊTE FROIDE
Du côté de Flammarion, >Sophy Thompson pour l'illustré, tout comme Patrice Hoffmann pour le texte, ont bien du mal à parler des livres, pressés de questions sur la cession de la maison. En effet, le sujet a été largement couvert par la presse étrangère. "J'ai repéré deux textes qui m'intéressent, mais j'attends la fin de la semaine pour me décider. Les Français, cette année plus encore, gardent la tête froide", analyse Patrice Hoffmann, qui se réjouit de l'intérêt suscité par En vieillissant les hommes pleurent de >Jean-Luc Seigle, qui pourrait déboucher sur une dizaine de cessions. Manuel Carcassonne chez Grasset constate aussi l'attrait des coéditeurs pour le texte d'Annick Cojean sur l'esclavage sexuel sous Kadhafi. Enfin, Béatrice Duval était ravie de découvrir la dernière sélection de l'Orange Prize dans laquelle figure Painter of Silence de Georgina Harding, qu'elle a acquis avant la foire et que Denoël publiera en 2013.