En cette ère morose, les bibliothèques s’ornent rarement de rose. Du coup, cela fait un bien fou de lire un auteur qui s’amuse en écrivant. "La vie n’existe pas si on ne la raconte pas." Vila-Matas le fait à sa sauce. "Puisqu’on me demande de me présenter" (titre d’une nouvelle de ce recueil), disons que ce romancier, essayiste et nouvelliste espagnol naît à Barcelone en 1948. Amoureux de Paris ou de Borges, il connaît le succès avec Bartleby et compagnie (prix du Meilleur livre étranger 2000) ou Le mal de Montano (prix Médicis étranger 2003). Peut-être est-il "fatigué d’être qui je suis. En écrivant, j’ai envie de disparaître". Une partie de cache-cache qu’il entame avec son lecteur, en maniant l’ironie et la tromperie. Voici un recueil de nouvelles "hybrides", dont certaines sont inédites en français. La première date de 1988, la dernière de 2013, mais comme le note la préface, elles confirment que ce conteur demeure "aussi bien un innovateur qu’un écrivain conventionnel". Dès les premières phrases, on est transporté ailleurs. Vila-Matas flirte avec les limites, les extrêmes et l’irréel. Il rompt "la solitude et la monotonie" de ses personnages, comme dans "Rosa Schwarzer revient à la vie", qui se fond dans un tableau pour voir le monde autrement. Un miroir de papier, où tout semble plausible et dément.

On y bascule aisément, quitte à pactiser avec le diable. Au passage, l’auteur fait des clins d’œil à Tabucchi, Sophie Calle ou Marguerite Duras, qui l’a logé lors de son arrivée à Paris. "La vérité a la même structure que la fiction." Impossible de distinguer le vrai du faux, tant la frontière de l’imaginaire s’estompe d’emblée. "Parce que la réalité est désagréable", il engendre des histoires entre la fable et le réalisme magique. Le rêve y est omniprésent car il célèbre "l’audace d’inventer. Ce que la littérature a d’étrange et de fascinant : ne pas être un organisme statique, mais quelque chose qui, à chaque lecture, est sujet à des mutations".Kerenn Elkaïm