DROITS AUDIO

Faire fructifier les cessions

Faire fructifier les cessions

Face aux producteurs audiovisuels, la Société civile des éditeurs de langue française a considérablement modifié les usages professionnels au bénéfice des éditeurs et des auteurs.

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Par Michel Puche,
Créé le 06.10.2014 à 19h34 ,
Mis à jour le 07.10.2014 à 15h17

Fin juriste, Roland Neidhart a consacré quarante-cinq ans de sa carrière professionnelle à la Scelf. Avant de partir à la retraite le 29 juin, il explique en quoi cette société de perception et de répartition, qui reverse des droits à près de 250 éditeurs, a changé les pratiques du secteur.

Livres Hebdo - Quels services la Scelf rend-elle aujourd'hui aux éditeurs ?

"La Scelf a pu développer une stratégie d'offre qui triomphe avec son Marché des droits audiovisuels." ROLAND NEIDHART- Photo OLIVIER DION

Roland Neidhart - La Scelf a été créée en 1960 pour obtenir des grandes sociétés d'auteurs qu'elles versent aux éditeurs cessionnaires les droits collectés auprès des différents usagers et diffuseurs. En effet, à l'époque, la SACD et la Sacem refusaient de reconnaître les conséquences des cessions habituellement consenties dans les contrats d'édition.

Face aux producteurs audiovisuels, les éditeurs étaient assez démunis et sans références juridiques ou économiques. C'est pourquoi la Scelf, à partir des années 1980, a été amenée à encadrer ces relations directes éditeurs-producteurs. Dans un secteur où le sens de l'intérêt collectif n'est pas le mieux partagé, c'est un motif de fierté de constater qu'une très forte solidarité professionnelle s'est nouée autour de l'action menée par la Scelf.

Quelles sont les pratiques contractuelles recommandées ?

Il est loin le temps où la signature d'un contrat de cinéma était une "divine surprise" pour la plupart des maisons d'édition. Aujourd'hui, la Scelf fédère une centaine de chargés de droits. Elle a contribué à leur formation, certains viennent même du monde de la production. Avec eux, la Scelf a mis au point, progressivement d'abord, des clauses types, puis, depuis quatre ans, des modèles de contrats pour les cessions de droits. Son inventivité juridique a considérablement fait évoluer les pratiques du secteur. Elle a obtenu par exemple que l'exclusivité de la cession soit limitée à quinze années pour permettre à l'oeuvre d'être éventuellement adaptée une seconde fois. Elle refuse les clauses qui aboutissent à dépouiller l'auteur de tout contrôle sur ce que le producteur fera de son oeuvre : sequel, préquelle, spin-off, merchandising. Elle a déterminé les conditions de la reddition des comptes qui sont devenues des usages professionnels. Son contrat type s'articule maintenant avec les dispositions du protocole avec les producteurs du 16 décembre 2010, qu'elle a signé et qui a été rendu obligatoire par l'arrêté du 7 février 2011.

Les auteurs tirent-ils profit des activités de la Scelf ?

La Scelf est une société de droits d'auteur gérée par les éditeurs. Grâce à elle, les auteurs perçoivent les droits collectés sans être contraints d'adhérer aux grandes sociétés. La gestion de tous leurs droits est centralisée. Aucune exploitation ne peut avoir lieu sans autorisation préalable. La valorisation des droits d'adaptation, recherchée contrat par contrat, aboutit maintenant, le plus souvent, à garantir au livre adapté une rémunération égale à 1,5 % ou 2 % du budget du film.

En quoi la Scelf a-t-elle modifié les relations entre l'édition et les producteurs ?

L'expérience aidant, la Scelf a pu développer une stratégie d'offre qui triomphe avec son Marché des droits audiovisuels, organisé cette année pour la quatrième fois au Salon du livre et qui connaît un succès exceptionnel.

Je n'aime pas employer les termes "exception française", expression qui masque souvent une grande paresse. Pourtant les producteurs sont chez nous amenés à traiter, le plus souvent, avec les éditeurs puisque ceux-ci sont, dans plus de 90 % des cas, cessionnaires des droits de leurs auteurs.

Ceux qui avaient coutume de dire à l'auteur : "ne cède donc pas tes droits à ton éditeur, il ne saura qu'en faire" sont désormais contournés. L'éditeur a les moyens de conduire et de faire fructifier la cession. Il assume ainsi le devoir d'assistance et de conseil à l'auteur qui lui a confié ses droits.

Il reste à conforter le Marché des droits et à l'étendre, de manière prudente sans doute, en y associant les producteurs suisses, belges et québécois, souvent impliqués dans des coproductions.

Après avoir fréquenté pendant tant d'années les éditeurs, quelles sont les figures du métier qui vous ont marqué ?

Ces quarante-cinq années ont passé d'un seul trait grâce à l'exceptionnelle qualité des partenaires au sein de la Scelf. J'ai aimé travailler avec Henri Flammarion pour son élégance, avec Jérôme Lindon pour son intransigeance visionnaire, avec Christian Bourgois pour son pessimisme actif et son extraordinaire culture. Je suis aujourd'hui très triste de devoir quitter Paul Otchakovsky-Laurens (1) car il réunit tant de qualités qu'il est, à mes yeux, l'incarnation même de l'éditeur.

Comment va se passer la suite ?

Nadine Levêque, secrétaire générale, continuera d'être le pivot de la société. Le conseil d'administration a choisi pour me remplacer une directrice générale, Nathalie Piaskowski. C'est une praticienne de la gestion collective, très au fait des questions de droits d'auteur et de droits voisins. Elle vient de travailler deux mois à mes côtés sur les problématiques de la Scelf.

[1] L'actuel président de la Scelf.

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