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Exposition : Dalí sans Salvador

Dalí, Autoportrait au cou de Raphael, vers 1921, Fondation Gala-Salvador Dalí, Figueras. - Photo SALVADOR DALÍ, FONDATION GALA-SALVADOR DALÍ/ADAGP, FIGUERAS, PARIS, 2012

Exposition : Dalí sans Salvador

Salvador Dalí sera en vedette au Centre Pompidou du 21 novembre au 25 mars 2013, trente-trois ans après la dernière grande exposition consacrée à l'artiste. L'exubérant personnage médiatique ne fait plus d'ombre aujourd'hui à son oeuvre, comme en témoigne l'abondante production éditoriale.

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Par Anne-Laure Walter,
Créé le 28.10.2014 à 17h36 ,
Mis à jour le 28.11.2014 à 13h02

Il existe un paradoxe Salvador Dalí. Il est un des peintres du XXe siècle à avoir le plus pénétré les imaginaires collectifs, au-delà des amateurs d'art. Tout le monde a au moins une image en tête, que ce soit celle de montres molles (La persistance de la mémoire) ou celle d'un dandy à la fine moustache lançant : "Je suis fou... du chocolat Lanvin !" La dernière exposition à Beaubourg, en 1979, deux ans après l'ouverture du Centre Pompidou, reste à ce jour la plus fréquentée de l'histoire de l'institution avec plus de 840 000 visiteurs. Pourtant, aucune rétrospective monographique ne lui a été consacrée depuis plus de trente ans, même s'il apparaît dans des accrochages thématiques sur le surréalisme ou aux côtés d'Arcimboldo et de Raetz, pour "Une image peut en cacher une autre", au Grand Palais en 2009."Si les institutions muséales n'ont vu aucune urgence à lui consacrer une exposition, c'est parce que Dalí a longtemps été plutôt mal vu par le milieu intellectuel, >explique Jean-Hubert Martin, le commissaire général de l'exposition à venir au Centre Pompidou. Par ses prises de position politiques douteuses - monarchiste et admirateur de Franco -, il ne s'était pas fait que des amis. De plus, ses passages à la télé renvoyaient l'image d'un clown provocateur à une époque où l'humour et l'art ne faisait pas aussi bon ménage qu'aujourd'hui. Et sa guerre constante contre la modernité artistique a provoqué l'inimitié de bon nombre de ses contemporains."

Salvador Dalíécrivant La vie secrète de Salvador Dalí chez Caresse Crosby, à Hampton Manor, Virginia, 1941.- Photo FONDATION GALA-SALVADOR DALÍ, FIGUERAS, 2012 ERIC SCHAAL DROITS D'IMAGE DE GALA ET SALVADOR DALÍ RÉSERVÉS

"Avida Dollars"

Cabotin, aimant les caméras, le spectacle, l'argent - on doit à André Breton l'anagramme >"Avida Dollars" -, et plus que tout la provocation, Salvador Dalí fâche, à commencer par ses amis surréalistes. Si l'exposition de 1979 a rencontré un grand succès public, elle fut boudée par une partie des intellectuels. L'époque du franquisme est encore proche et tous se souviennent de la condamnation à mort de prisonniers politiques par Franco, révoltant toute l'Europe et approuvée publiquement par Dalí. "Aujourd'hui, le temps a fait son oeuvre, et malgré des prises de position détestables, il reste son travail que l'on peut désormais regarder avec distance", >constate Jean-Hubert Martin. Ainsi le Centre Pompidou propose du 21 novembre au 25 mars une relecture de l'oeuvre de Dalí trente ans plus tard, à travers une grande exposition en partenariat avec la Fondation Gala-Salvador Dalí, à Figueras, et du Dalí Museum, à Saint Petersburg (Floride), ainsi que le Museo Nacional Reina Sofia, à Madrid, qui l'accueillera ensuite du 23 avril au 2 septembre 2013. Plus de deux cents oeuvres (peintures, sculptures, dessins...) sont présentées dont les grandes icônes - La persistance de la mémoire, Le grand masturbateur ou L'énigme sans fin -, ainsi que des objets, des projets pour le théâtre ou le cinéma, des films, des photographies et des extraits d'émissions de télévision.

Disparu en 1989, le personnage public envahissant n'occulte plus le travail méticuleux et acharné du peintre admirateur de Raphaël ou de Vermeer. Et on ne regarde plus Dalí comme il y a trente ans. Cette volonté pathétique, à la fin de sa vie, de vouloir toujours être le premier à faire les choses >est aujourd'hui vue comme la preuve >qu'il a su capter les idées dans l'air du temps : il devance de quelques mois, en 1959, César et ses "compressions" en écrasant des machines à coudre avec un rouleau compresseur pour obtenir des plaques de gravure, et il presse des tubes de couleurs entre deux Plexiglas six ans avant Arman et ses "tubes de peintures".

Un regard franc est porté désormais sur ses ambiguïtés politiques dans la quatrième partie de l'exposition, "Mythes et histoire", consacrée à son traitement de la guerre et à son rapport au pouvoir absolu. Les études daliniennes explorent aussi de nouveaux champs, notamment Dalí en tant qu'"arteur". A partir des années 1950-1960, avec la propagation du média télévisuel, il trouve un moyen de diffuser à une échelle inimaginable ses idées et sa méthode paranoïaque-critique, clé de son système qui met la réalité au service de ses obsessions. «Cette activité n'a jamais été autant prise au sérieux par les commentateurs de Dalí que d'autres pans de son oeuvre comme la peinture, ou même le cinéma, aujourd'hui objet de plusieurs études, note Jean-Hubert Martin, qui a dressé un inventaire des performances daliniennes. Ses happenings n'ont jamais été étudiés dans le détail alors que le rapprochement est désormais établi avec Andy Warhol, qui voyait régulièrement Dalí et a beaucoup appris des méthodes de son aîné."

Tout commence dans l'oeuf

Le visiteur va se trouver propulsé dans l'univers dalinien grâce à la scénographie de Laurence Le Bris, pensée d'après une idée de Dalí exposée dans une lettre de 1979 à Pontus Hultén, alors directeur du musée national d'Art moderne. Il souhaitait que ses tableaux soient montrés sur le pourtour de la salle pour que le visiteur embrasse la globalité de l'exposition d'un seul regard. Le visiteur entrera dans l'univers dalinien par un oeuf, qui symbolise l'origine du corps, et en sortira par une sorte de labyrinthe de circonvolutions illustrant l'esprit de l'artiste et présentant son univers intellectuel : objet, films, mais aussi livres et manuscrits. Car les écrits de Dalí forment un important corpus, qui n'a pas été intégralement traduit. Cependant, outre ses écrits théoriques, ses deux principaux textes autobiographiques sont disponibles dans les librairies françaises : Journal d'un génie (Gallimard) et La vie secrète de Salvador Dalí (L'Age d'homme). D'une manière générale, les visiteurs ne manqueront pas de lectures : une vingtaine de titres sont annoncés autour de l'exposition (voir ci-contre), des livres pour le grand public (BD, jeunesse...), ainsi que des essais pointus, ce qui démontre bien l'actuelle réconciliation des publics. Et pour le catalogue officiel, tiré à 20 000 exemplaires, les éditions du Centre Pompidou ont fait le choix d'une maquette soignée, fruit d'un concours entre graphistes, remporté par Romain Hisquin, avec en couverture non pas un tableau mais le clin d'oeil de Dalí apparaissant à travers une découpe. Car son personnage reste quand même indissociable de son oeuvre.

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