Dans l'ombre d'un père. Son père, Annabella ne lui parlait plus depuis deux ans quand l'annonce de sa mort lui parvient. Un accident, survenu sur un chantier forestier, son corps projeté hors de la machine qu'il réparait. Un corps qu'il faut désormais rapatrier vers la France depuis le Cameroun. « Je ne parviens à me représenter ni les lieux ni les paysages, de ce monde pourtant si bien connu, les chantiers retirés dans la brousse loin des villes où je suis née, où j'ai couru, comme si la mort de mon père me rendait étrangère. » Annabella est née au Congo-Brazzaville d'un père franco-italien et d'une mère congolaise. De son enfance, elle se souvient des éclats de rire, des courses-poursuites dans la maison, du « lit aux prisonniers » où son père les jetait, elle et sa mère après les avoir portées sur ses épaules. Elle se souvient de cette veille de Noël 1997 et de la « grande dispute », des coups sur le corps de sa mère qui ressusciterait le lendemain et ferait ses valises, laissant sa fille seule avec ce père au bord de la folie, atteint par la fièvre de ceux « venus en Afrique pour trouver un autre salut ». À 8 ans déjà, Annabella rêve de quitter cet homme qui, fuyant la guerre civile congolaise, l'entraîne dans les forêts du Gabon sur une exploitation de manganèse bientôt en faillite, puis au Cameroun. Bac en poche, Annabella réalise enfin la promesse notée sur son petit carnet : vivre libre. À Lyon, Annabella découvre la vie étudiante, fait la fête, rencontre Gabriel. Mais comment se détacher de la figure de ce père fantasque, « la bouche pleine de mots, pris comme dans une fiction de lui-même » qui, jusque dans sa mort, jusque dans le rapatriement de son corps, emprisonne les siens ? Aidée par ses oncles et tantes, Annabella se confronte aux secrets de famille, à son enfance irrégulière, aux excès parmi lesquels elle s'est frayé un chemin jusqu'à l'âge adulte. Ce n'est plus simplement un corps qu'il s'agit alors de rapatrier, mais le passé d'un homme qui n'est plus, entremêlé avec celui d'une jeune femme qui voudrait être.
Du Vieux Lyon aux forêts gabonaises, de la côte Atlantique au quartier de Bonapriso à Douala, Ève Guerra tisse un premier roman éblouissant, marqué par l'exil, les non-dits et la douloureuse poésie d'un vers de Baudelaire. Tour à tour portrait d'un homme, de sa fille et de tant d'expatriés pris « dans la fureur du vin de palme et la fréquentation des vendeurs de serpents », ce récit habité nous entraîne au cœur des ténèbres, aux frontières de la raison.
Rapatriement
Grasset
Tirage: 4 200 ex.
Prix: 19,50 € ; 216 p.
ISBN: 9782246834533