Roman/Suisse 22 août Roland Buti

« L'existence n'est peut-être faite que de parenthèses ouvertes, puis fermées avec un peu d'espace inexplicable entre elles ? » se formule à lui-même, en passant, dans les dernières pages, le narrateur de Grand National, roman à la force discrète qui suit pendant quelques semaines Carlo Weiss, un jardinier paysagiste suisse de 45 ans. Un homme qui traverse un moment de vie où les proportions de son monde, la distance entre lui et les autres changent. Où les plus proches semblent devenir des étrangers. Et certains étrangers devenir des intimes. Sa mère vient de fuguer d'une maison de retraite. Son fils, qui parle de « maman » avec la sensation que le mot ne sonne plus juste dans sa bouche de vieil enfant, la retrouve dans les montagnes de sa jeunesse, au Grand National, l'un de ces hôtels de luxe, rares survivants de la première moitié du XXe siècle. Devant cette mère de plus en plus diminuée, absente, et qui passe ses journées à peindre des aquarelles d'oiseaux, il prend conscience de tout ce qu'il ignore du passé de la jeune fille gaie et très belle qu'elle a été.

« Presque une inconnue », c'est aussi ainsi que lui apparaît désormais la femme qui l'a quitté, la mère de sa fille. Et Roland Buti est d'une extrême finesse pour évoquer le désir qu'inspire encore à cet homme une femme qu'il connaît profondément et qu'il ne connaît plus, la familiarité corporelle, charnelle qui lie ce vieux couple séparé, l'amour, indélébile, encombrant, douloureux et réconfortant à la fois.

Etranger intime encore, l'autre personnage important du roman : Agon, l'employé, un solide forestier réfugié du Kosovo qui a installé un cabanon sur une parcelle de jardins potagers municipaux. Un sentimental avec une innocence d'enfant mais rattrapé par la violence de son passé. On retrouve la délicatesse d'observation qui nous avait tant touché dansLe milieu de l'horizon(Zoé, 2013), lauréat du prix suisse de Littérature, bientôt au cinéma avec Laetitia Casta et Jalil Lespert dans les rôles principaux. La justesse des émotions impressionne mine de rien, dans ce roman qui salue la vertu apaisante des jardins cultivés, qu'ils soient secrets ou partagés, presque aussi consolatrice que la « douceur des Balkans », cette sorte de pâte de fruits à base de chanvre, « bonbon gommeux » fait maison dont l'exilé a rapporté la recette traditionnelle du pays laissé derrière lui.

Roland Buti
Grand National
Zoé
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 16 euros ; 160 p.
ISBN: 978-2-88927-686-8
23.05 2019

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