Pierre et Claire. Un couple. Dans le Paris d'aujourd'hui et dans leur profession commune dans le secteur de l'édition, presque des animaux de foire. Ni divorce, ni adultère, deux grands enfants et un amour qui dure, presque neuf tant d'années après. De l'édition justement (car Pierre est éditeur et Claire travaille à ses côtés), tous deux connurent l'époque heureuse des flamboyances, des corsaires, des filous magnifiques, des notes de frais dispendieuses, des paris fous autant que littéraires. Ils découvrent celle d'aujourd'hui, des contrôleurs de gestion, des patrons d'industrie en mal de danseuses, des banquiers aux abois et des auteurs dont la gloire a depuis longtemps dépassé la date de péremption et qui pour rien au monde ne sont prêts à l'accepter. Seuls demeurent les prix littéraires dont ils ne sont à peu près jamais récipiendaires. Qu'importe, il y a toujours des soirées, des coups à tenter, des déjeuners dans des bistrots, des verres de Pouilly-Fuissé ; comme un crépuscule qui s'attarde, même si parfois le cœur n'y est plus tout à fait...
Cette mélancolie, douce et cruelle à la fois, c'est une chose d'en faire le constat, une autre de savoir l'écrire. Avec Rentrée littéraire, l'un de ses plus beaux romans, Éric Neuhoff s'y entend à merveille. Il y flotte comme une musique assez Nouvelle Vague et qui ne paraîtra désuète qu'aux trissotins sortis de la seule cuisse du contemporain. Que l'on en juge : « Dehors, il faisait un vrai temps d'hiver. Pierre enfonça les mains dans les poches de son manteau. Claire avait des gants. Le taxi arrivait. Cette fois, ils allaient chez un peintre chinois, dans une banlieue perdue. Le repas était donné dans l'entrepôt gigantesque qui lui servait d'atelier. Le frère de l'artiste était aux fourneaux. Il y aurait d'anciens ministres, une critique d'art, des avocats. Il faudrait encore dire des choses gentilles. La même vieille histoire. La leur. » Neuhoff, on le constate, n'a pas son pareil pour dessiner ses décors à la pointe sèche, et il sait avoir la dent dure.
Mais ce livre est avant tout gorgé d'une infinie tendresse (on pense au personnage de Mathieu, l'ami écrivain du couple, partagé entre ambition créatrice, retour vers les bien-aimées et procrastination). Et l'amour de Pierre et Claire, cet amour de sales gosses insolents qui se refusent à ne l'être plus, est bien plus que le motif caché de ce roman. Il en est sans doute, pour son auteur, le pudique objectif.
Rentrée littéraire
Albin Michel
Tirage: 12 000 ex.
Prix: 20 € ; 250 p.
ISBN: 9782226435002