Cela arrive dans les meilleures familles, surtout celles qui comptent un génie, comme le peintre Jean-François Millet (1814-1875), lequel, au prix de la misère et d'infinies souffrances, est parvenu à construire une œuvre majeure, à passer à la postérité. Souvent, les descendants ne peuvent être à la hauteur. Ainsi, l'un de ses fils, Charles, choisit-il sagement l'architecture. Mais le fils de ce dernier, Jean-Charles (1892-1944), eut le tort, lui, de se prendre pour un artiste.

Après quelques années de médiocrité, hanté par la figure, les tableaux et dessins de son grand-père, et tirant toujours le diable par la queue, il eut une idée de génie : pourquoi ne pas peindre et vendre, non point des copies de Millet, mais des « à la manière de », dûment authentifiés − caution de la famille, plus le cachet JFM, récupéré à la mort de sa veuve. Ainsi, il gagnerait sa vie sans trahir l'esprit de l'artiste, prolongeant même son travail. Mais comme le garçon n'avait aucun talent, même de faussaire, il en a trouvé un de génie, un certain Paul Cazot. Et leur petite entreprise va bien fonctionner, abusant même experts et galeristes, jusqu'à ce qu'un amateur un peu curieux découvre le pot aux roses. S'ensuivirent, de 1930 à 1936, trois procès retentissants.

Racontée par l'ancien juge Halphen de manière scrupuleuse, cette histoire est aussi rocambolesque que passionnante. Quant au « héros », Jean-Charles Millet, il en devient presque attendrissant. Escroc, certes, mais il ne méritait pas de finir ainsi, dénoncé par on ne sait qui ni pourquoi, à Dachau, le 24 décembre 1944.