Les mots sont manquants. Et alors que l'on sait nommer les différentes étapes de la carte de Tendre, en ce qui concerne nos affects les plus archaïques, cette relation qui a construit notre être au monde, le rapport parent-enfant, on parle de manière générique d'« amour », qualifié simplement de maternel, paternel ou filial. Racontant la mort de son père, Emmanuelle Lambert revisite la vie d'un homme qui eut une enfance malheureuse - « enfant grandi sans mère », le brillant élève d'origine modeste souffrit des préjugés de classe. Dans Le garçon de mon père, la lauréate du prix Femina de l'essai pour Giono, furioso consigne les derniers jours du patriarche. Aux visites à l'hôpital au septuagénaire atteint d'un cancer du pancréas se mêlent les souvenirs de l'ancien randonneur aux jambes puissantes, fier de son corps. Aujourd'hui peau sur les os, musculature toute fondue comme naguère celle de leur chien en fin de vie, il se meurt, lui qui fut si vivant. Mais n'avait-on jamais cessé de mourir à chaque instant ? C'était sans s'en douter : « Nous mourrons sept fois plus lentement que nos chiens. » De cette dilution du temps Emmanuelle Lambert fait la matière de son roman. Père informaticien qui avait prédit Internet, ses joyeux drilles de copains, son propre père, mélomane et ex-trapéziste... Par des mots vibrants mais sans pathos elle retient la lumière de cette félicité du lien père-fille, qu'on nommera, faute de vocable, le bonheur filial.