On la rencontre dans une ville où elle n'a pas d'habitudes. Bordeaux, où son éditeur l'a conviée à présenter son livre aux libraires d'Aquitaine. À la terrasse d'un café du centre-ville, face à la pierre blonde du Grand-Théâtre de Victor Louis, souriante, souvent drôle, elle se soumet à la question avec une bonne humeur dont on soupçonne vite qu'elle puisse être l'une de ses marques de fabrique. De fait, son « dernier né », cet enchanteur Aucun respect, inspire sans doute bien des sentiments mais pas la mélancolie. Elle dit l'avoir écrit pour s'interroger sur « ce qui se passe en ce moment entre les sexes », mais c'est alors à la manière d'un motif caché dans le tapis tant le livre est d'abord celui d'une génération d'avant #MeToo. « J'étais de la génération de ce monde qui vacille », déclare-t-elle. 25 ans en l'an 2000. 24 lorsqu'elle rencontre Alain Robbe-Grillet. Pas mal pour un début dans la vie et la carrière. Emmanuelle Lambert faisait ses premières armes à l'Imec quand l'auteur des Gommes fit don de ses archives à l'institut. Elle qui avoue n'avoir à l'époque jamais rien lu de lui fut chargée du dossier. Auprès de cet ogre plus débonnaire qu'elle n'aurait pu l'imaginer, elle apprendra que la littérature est d'abord une pratique et que toute frontière entre vie et œuvre est vaine. Robbe-Grillet (« tout l'intéresse ») l'éblouit par son intelligence. Elle dit encore : « Je n'avais pas une relation avec Alain Robbe-Grillet, mais un rapport. La relation, en fait, c'était (c'est toujours) avec Catherine, sa femme. Le couple sentait le soufre, mais c'était un vrai beau couple. » On ajoutera que de toute façon, son cœur de lectrice était déjà pris. Par Jean Genet. Ne peut-elle pas citer de mémoire la première page de Notre-Dame-des-Fleurs ?

Emmanuelle est une enfant modèle de la République et du royaume des lettres. De son enfance à Épinay-sur-Orge (Essonne), elle se souvient de sa grand-mère analphabète qui n'aurait raté « Apostrophes » pour rien au monde... Ses parents étaient de grands lecteurs et la voilà suivant une hypokhâgne à Victor-Duruy, puis une khâgne à Louis-le-Grand. « Ensuite, j'ai passé l'agrégation pour pouvoir financer ma thèse... » L'écriture rôde, bien sûr. Au moins depuis ce jour où un de ses professeurs, lui rendant une copie, l'accompagna d'une mystérieuse sentence : « C'est trop bien écrit. » On peut se lancer pour moins que ça. C'est pourtant la mort qui l'autorise à franchir le pas. « La mort de mon père, celle de Robbe-Grillet, ont fait comme un trou dans le réel. » Et finalement, « c'est ce que je préfère, écrire. C'est lié à la musique, à des questions d'interprétation et de composition. Et à la liberté que permet le roman... » Depuis, elle s'y adonne. Elle écrit avec les autres plus que sur les autres, ces grands irréguliers qui l'accompagnent sans coup férir : Genet et Robbe-Grillet donc, mais aussi Giono et Colette. Une chouette bande, dont elle serait la petite cousine, légère et grave.