Géométrie du fait divers. Quand on entre dans un livre d'EMG, Emmanuel Gauvain dans le civil, on pénètre dans un monde unique, quelque part entre la peinture surréaliste et les premiers jeux vidéo, pleins de pixels et de potentiel. On pousse aussi la porte de récits complexes, faits de symétrie narrative, d'ellipses déstabilisantes, de chausse-trappes architecturales, de visions politiques absurdes. On visite des bandes dessinées hypnotiques, où les cases se déploient en pleine page comme des successions de tableaux, qui tétanisent le regard comme un écran.

Reprenant le petit format à l'italienne et le design de ses première et troisième BD aux titres tout aussi cryptiques - Tremblez enfance z46 et Volt évier z82 (2012 et 2021, chez Tanibis également) -, EMG raconte l'enquête autour de l'agression à l'acide d'un marchand de glaces par trois adolescents mi- oisifs, mi-rebelles. Dans un monde où les commissariats ont fusionné avec les hôpitaux, où les bassins des piscines donnent sur des planètes gelées, le sinistre fait divers devient le révélateur d'une société en perdition. À bien y regarder, cette ville où les services publics s'assèchent, où l'injonction de consommation de loisirs est omniprésente mais où seule une élite peut profiter des meilleurs divertissements, où des jeunes sans perspective n'ont d'autres options que la violence ou la révolte, ne ressemble-t-elle pas, par certains aspects, aux nôtres ?

Heureusement, EMG se détache de cette morne et trop évidente vision pour broder autour une fantaisie abrasive, dans son style inimitable, convoquant Krazy Kat, Joost Swarte et Lewis Carroll. Ses personnages sont réduits à la plus simple expression géométrique, mais ne sont pas sans expressivité, grâce à une gestuelle étudiée et un positionnement dans l'espace très malin. De plus, il manipule son univers en 3D jusque dans la mise en scène des textes, les bulles et les onomatopées devenant des objets palpables. Avec son montage au cordeau et ses cadrages toujours dynamiques, il promène le lecteur dans son univers en ne lui montrant que le nécessaire, jouant sans cesse avec lui pour qu'il prenne le temps de lorgner les détails et essayer de trouver les clefs de compréhension. Ou pas. Car chez EMG, le plaisir n'est pas tant dans le sens que dans l'expérience.