Intrigué, mais pas tout à fait rassuré, Mathieu Sapin décline son art de la chronique et du portrait avec le monstre sacré du cinéma français, après l’avoir rodé à Libération (Journal d’un journal, Delcourt, 2011) et dans les pas de François Hollande (Campagne présidentielle, Dargaud, 2012, puis Le château : une année dans les coulisses de l’Elysée, Dargaud, 2015). Le dessinateur a rencontré Gérard Depardieu en 2012. Une société de production cherchait un dessinateur pour suivre l’acteur sur le tournage d’un documentaire sur les traces d’Alexandre Dumas en Azerbaïdjan. Présenté à Depardieu dans son hôtel particulier du 6e arrondissement de Paris, il est adoubé, rebaptisé Tintin, prêt à vivre auprès de lui des expériences forcément hors normes.
Avec l’imposant "Gégé", Mathieu Sapin sera "à poil" sous la douche dans un hôtel de Bakou, dans un side-car au milieu des champs de pétrole du Caucase, et surtout à table pour des repas pantagruéliques qui lui laisseront six kilos de plus en dix jours. Il en redemande pourtant. Pour approfondir son portrait, il va accompagner l’acteur pendant quatre ans, "embedded" de la Bavière à Moscou en passant par le Portugal pour le tournage du Divan de Staline de Fanny Ardant.
La technique de Mathieu Sapin est maintenant bien connue. S’abritant derrière une candeur assumée, il restitue des scènes vues et entendues en mettant l’accent sur les détails les plus anodins, voire saugrenus. "Voilà, c’est Mathieu. Il me suit et il note les conneries que je dis", explique justement Depardieu à ses interlocuteurs. Voilà l’acteur chatouillant un chauffeur pour qu’il roule plus vite, effrayant ses admirateurs, poussé dans une chaise roulante à l’aéroport ou méditant dans un cimetière. Mais de l’accumulation de ces petits faits et des réflexions qui les accompagnent, le dessinateur fait surgir Gérard Depardieu dans toute son épaisseur et sa complexité. Fabrice Piault