Réfugiés

Edition solidaire : belles idées, dure mise en œuvre

Frédéric Lavabre, à l’origine du collectif "Les éditeurs jeunesse avec les réfugiés". - Photo Photo Hervé Ternisien

Edition solidaire : belles idées, dure mise en œuvre

Après l’expérience de La BD est Charlie, la conception de Eux, c’est nous montre que le montage d’une opération éditoriale de solidarité est aussi enthousiasmant que semé d’embûches.

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Par Claude Combet,
Créé le 06.11.2015 à 01h03 ,
Mis à jour le 06.11.2015 à 10h55

Eux, c’est nous, un texte de Daniel Pennac illustré par Serge Bloch, publié par le collectif "Les éditeurs jeunesse avec les réfugiés", paraît le 20 novembre. Après celle montée en janvier par les éditeurs de bande dessinée en solidarité avec Charlie Hebdo, cette opération a suscité la mobilisation enthousiaste de tous les acteurs du secteur et de la chaîne du livre (1). Elle les a aussi obligés à surmonter certains obstacles.

"J’en ai eu l’idée quand Alex Lutz a annoncé qu’il allait reverser le montant de son spectacle à une association qui aide les réfugiés. Vingt-cinq éditeurs ont répondu à mon mail, si bien que j’ai demandé au Syndicat national de l’édition d’accueillir la première réunion du 16 septembre parce qu’on ne tenait pas dans nos locaux", raconte Frédéric Lavabre, fondateur des éditions Sarbacane, chef d’orchestre du projet. "Nous étions d’accord sur deux points : nous voulions lever des fonds pour une association et, en tant qu’éditeurs pour la jeunesse, nous souhaitions véhiculer certaines valeurs. Le livre devait ressembler à Indignez-vous !", ajoute-t-il.

Qui est l’éditeur ?

A l’inverse des initiatives du Routard ou de Points, qui relèvent d’un seul éditeur, ou même de La BD est Charlie, pour laquelle les planches de dessinateurs ont afflué spontanément chez Glénat, qui a imprimé et commercialisé le livre, les éditeurs pour la jeunesse ont dû penser une imposante machine pour mettre en œuvre leur projet. Les tâches ont été réparties suivant les ressources. Philippe Ostermann, directeur général de Dargaud et ami de Daniel Pennac, a contacté ce dernier tandis que Sandrine Mini (Syros) et Thomas Dartige (Gallimard Jeunesse) proposaient Jessie Magana et Carole Saturo pour la partie documentaire. Des comités "éditorial", "communication" et "juridique" ont été constitués. Gallimard Jeunesse a assuré l’édition et la mise en page intérieure, et prend en charge la diffusion et la distribution. Sarbacane a conçu la couverture, le matériel pour les libraires et le bon de commande. Dargaud a fourni le papier. Toute la chaîne du livre s’est impliquée, de l’imprimeur aux libraires, qui ont accepté une remise plafonnée à 20 %, et le Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil a permis le lancement lors de sa conférence de presse et offert un lieu de stockage pendant la manifestation.

Restaient quelques problèmes, notamment juridiques. Qui est l’éditeur ? A quelle association donner l’argent ? Comment le reverser ? "Il faut trouver une structure habilitée à recevoir des dons, ce qui n’est pas le cas d’un éditeur, et qui puisse délivrer un reçu pour les impôts", explique Hedwige Pasquet, présidente de Gallimard Jeunesse. La Cimade, qui vient en aide aux réfugiés depuis 1939, remplit ces critères. En revanche, pour La BD est Charlie, "l’association des victimes n’existait pas. Nous avons dû attendre qu’elle se constitue", raconte Philippe Ostermann. Par ailleurs, le distributeur enregistre un chiffre d’affaires supplémentaire, sur lequel il paie des impôts. "Les 100 000 exemplaires de La BD est Charlie vendus représentent 700 000 euros, taxés à 33 %. Nous les avons mis sur un compte séparé et nous discutons avec le ministère de la Culture et l’administration pour que la somme soit considérée comme un don", précise Jean Paciulli, directeur général de Glénat.

Tiré au départ à 50 000 exemplaires, Eux, c’est nous est réimprimé à 20 000 exemplaires par Hachette avant même sa sortie. Mais "l’imprimeur doit livrer les palettes à la Sodis et non pas chez Hachette, explique Cécile Terouanne, directrice d’Hachette Romans Jeunesse. De surcroît, ce ne sont pas les mêmes palettes ni la même palettisation en nombre d’exemplaires." "Je voulais que cela nous coûte de l’argent, que nous soyons vraiment impliqués", souligne en tout cas Frédéric Lavabre. Les éditeurs se sont d’ailleurs engagés à acheter en compte ferme un certain nombre d’exemplaires qu’ils vendront directement ou par l’intermédiaire du libraire tenant leur stand à Montreuil. Le fonds de dotation du Salon du livre jeunesse percevra le montant des ventes et le reversera à La Cimade.

(1) Une autre opération a été montée par le collectif Bateau de papier, réunissant quatre petites maisons jeunesse (Ane bâté, Balivernes, éditions du Jasmin et Philomèle), qui offrent les bénéfices de la vente d’un petit livre à l’association Singa France.

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