Solides sur leurs bases. Entre publications opportunistes pour répondre aux besoins nés de la Covid-19 et montée en puissance des services numériques, les éditeurs juridiques traversent la crise sanitaire en limitant les dégâts. Si le marché a accusé un repli de 7,3 % en valeur en 2020 selon GfK, à mettre au débit exclusif des ouvrages papier, il a aussi continué de croître sur le front du numérique, sans que cela empêche ponctuellement quelques titres portés par telle réforme récente d'enregistrer d'excellents niveaux de vente.
Les bonnes performances de la librairie en décembre, en particulier, ont permis de compenser partiellement le marasme des mois précédents. « Beaucoup de ventes qui auraient dû se faire à l'occasion des grands rendez-vous professionnels annulés en 2020 (congrès des notaires, congrès des experts-comptables, convention annuelle des avocats...) ont finalement eu lieu en fin d'année. Les praticiens ont continué d'acheter des ouvrages pour les accompagner dans leur pratique professionnelle », explique Renaud Lefebvre, directeur général délégué du groupe Lefebvre-Sarrut, qui rassemble les éditions Dalloz, Francis Lefebvre, Législatives et ESF. Il n'était pas écrit que les professionnels du droit, soumis à rude épreuve par la crise, répondent présents dans le contexte de la fermeture ou de l'accès restreint aux librairies. « La crise a favorisé l'innovation. Nous avons notamment utilisé les supports digitaux pour mettre en avant nos contenus. Nous avons ainsi pu maintenir un lien privilégié avec les lecteurs tout en assurant la visibilité de nos titres », indique Clémentine Kleitz, directrice éditoriale chez LexisNexis. De la même manière au sein du groupe Lextenso (LGDJ, Defrénois, Gualino, Lextenso Éditions...), la librairie en ligne LGDJ.fr a connu une forte croissance des livres papier.
Les codes résistent
Ces résultats sont d'autant plus satisfaisants que la réduction du nombre de titres parus en 2020 (par exemple -30 % chez Dalloz) a été conséquente. À périmètre constant, en ne tenant compte que des titres parus, le groupe Lextenso annonce même une croissance moyenne de 3 % pour l'ensemble de sa production en 2020. Dans le même temps, l'éditeur a constaté l'accélération de la migration des professionnels du papier vers le numérique. Le digital, qui pèse aujourd'hui environ 25 % du chiffre d'affaires du Groupe, essentiellement à travers La Base Lextenso, a progressé de 20 % en valeur au cours du dernier exercice selon Frédéric Etchart, directeur du pôle éditions.
Plus classiquement, la bonne résistance du marché doit aussi beaucoup à celle des codes. Habituelle locomotive des ventes de droit, les codes napoléoniens (Civil, Procédure civile, Pénal, Procédure pénale et Commerce) n'ont vu leurs ventes reculer que d'une dizaine de pourcents en 2020 chez Dalloz. « Cette baisse s'explique surtout par la fermeture des librairies pendant le premier confinement et par un report des usages en direction des consultations numériques », précise Éric Chevrier, directeur éditorial des codes chez Dalloz. « On constate une continuité dans les usages des codes, confirme Chrystel Faure, directrice de la rédaction textes, codes et ouvrages chez LexisNexis, qui édite les codes bleus. Les professionnels du droit sont attachés aux ouvrages de référence, qui demeurent un outil de travail quotidien sur le bureau. »
Dalloz comme LexisNexis s'attendent ainsi à voir plusieurs de leurs codes (copropriété, construction, habitation...) portés par les dernières réformes. Ce devrait aussi être le cas du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) suite à la recodification de la matière par le législateur. Dalloz annonce en outre deux nouveaux codes pour cette année : le Code de la justice pénale des mineurs devait accompagner l'entrée en vigueur le 31 mars 2021 de la réforme de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante. Le report à septembre de l'application du texte repousse d'autant sa publication. Dans l'attente des décrets de la réforme de l'audiovisuel, Dalloz doit aussi publier un Code de la communication. De son côté, LexisNexis annonce un Code du numérique inédit et une réédition du Code de l'arbitrage commenté. L'éditeur proposera comme à son habitude un nouveau jeu de jaquettes fantaisie amovibles pour les millésimes 2021 de ses cinq codes napoléoniens.
Un devoir d'adaptation
Cette année, les éditeurs s'orientent autant vers des sujets d'actualité que vers les dernières réformes disponibles. C'était déjà le cas en 2020 avec les ouvrages ayant abordé la réforme de la procédure civile, tout juste entrée en vigueur le 1er janvier. Réforme de la procédure civile : guide à l'usage des praticiens du droit (Dalloz) atteint les 3 000 exemplaires vendus, tandis que Guide pratique de procédure à l'usage de l'avocat, paru en août 2020 chez LGDJ, a épuisé son tirage et fera l'objet d'une nouvelle édition en avril. Sur le même positionnement, LexisNexis publiera en fin d'année une édition à jour de son Guide du jeune avocat. Plus étonnant chez Dalloz, la 7e édition de Droit du marché de l'art a vu ses ventes progresser de 4 % en 2020. « Ce n'est pas un titre que l'on s'attendait à voir performer pendant la pandémie. À tout point de vue, l'année a été étonnante », reconnaît Hani Féghali, directeur éditorial des ouvrages professionnels chez Dalloz.
Outre les valeurs sûres, des sujets nouveaux émergent ou continuent de se développer, tels que les modes amiables de règlement des différends, la compliance, la protection des données personnelles ou encore le numérique. Sur cette dernière thématique, LexisNexis a beaucoup publié en 2020 et continuera de le faire cette année. L'éditeur s'appuie aussi sur une nouveauté de janvier, Guide des missions du jeune expert-comptable. LGDJ de son côté publie deux premières éditions dans sa collection « Les intégrales » : Le crédit à la consommation et Les pactes d'affaires. Chez Gualino, la collection « Professions immobilières » lancée en 2019 s'étoffe de quatre nouveautés sur la location meublée, la vente d'un bien loué, la copropriété et les marchés privés de travaux. En hors collection, Dalloz annonce Pour un droit commun de la responsabilité civile, qui s'inspire du rapprochement récent des jurisprudences de la Cour de cassation et du Conseil d'État.
Télétravail, coworking & activité partielle
Même s'ils pourront bientôt compter sur la réforme du droit des sûretés, les éditeurs n'attendent toutefois pas, à court terme, d'importants relais de croissance dans l'actualité juridique. « Nous sommes à un an de la prochaine élection présidentielle, rappelle Frédéric Etchart. La période n'est pas propice pour engager une réforme majeure et le législateur a déjà fort à faire pour gérer les conséquences de la crise sanitaire et sociale. » En revanche, la pandémie n'a pas encore produit tous ses effets : « Les mesures prises actuellement par le législateur n'ont que peu d'influence sur notre production éditoriale car elles sont éphémères, relève pour sa part Hani Féghali. Mais à moyen/long terme, la Covid-19 aura un impact fort sur la question du télétravail et du coworking. On le retrouvera aussi dans les accords d'entreprise, les conventions collectives ou le droit de l'immobilier. Le droit va devoir s'adapter pour tenir compte de toutes ces transformations sociétales. » C'est déjà en ce sens que les éditions Francis Lefebvre annoncent par exemple une nouveauté consacrée à l'activité partielle dans leur collection « Guide pratique ».
L'essor du télétravail et des visioconférences auront-ils un impact sur les usages des professionnels du droit ? Au sein du groupe Lextenso, les ventes d'ebooks ont augmenté de 70 % en 2020, avec d'importants pics lors des périodes de confinement. Chez Dalloz, la progression atteint 50 %, avec une croissance encore plus importante concernant la consultation de la Bibliothèque numérique Dalloz (+ 63 %). Au sein du groupe Lefebvre Sarrut, l'ouverture des accès numériques à la clientèle au sortir du premier confinement s'est traduite par une vraie dynamique en termes de campagnes d'abonnements aux bases de données. Et de la même manière chez LexisNexis, la base de données Lexis360 a vu sa fréquentation bondir en 2020. Ces chiffres signent-ils pour autant la défaite du papier ? « La plupart des professionnels étaient déjà abonnés à Lexis360, relativise Clémentine Kleitz, directrice éditoriale chez LexisNexis. La nouveauté tient plus à la fréquence d'utilisation qu'à l'arrivée de nouveaux clients. Il est donc encore tôt pour connaître la direction que prendra le marché. » « Ces usages numériques ont créé de nouvelles habitudes, abonde Frédéric Etchart, directeur du pôle éditions chez Lextenso, mais on ignore encore si elles seront pérennes »