Francis Dannemark s’entend, comme peu d’autres romanciers, à bâtir des histoires où les destinées de personnages, en général très attachants, basculent, tout en douceur, vers le meilleur, grâce à de belles rencontres. "Le refus du changement, c’est la mort", dit à un moment Léo, l’un des protagonistes d’Aux anges. La devise est belle, et positive. Et voilà pourquoi Pierre et Florian, les deux héros, ne mourront pas.
Nés en 1960, ce sont des amis d’enfance qui se sont perdus de vue depuis des lustres. S’étant enfin retrouvés, ils décident de partir tout seuls, dans la vieille guimbarde de Florian, pour la Normandie et alentours. Une escapade, histoire de renouer les liens, de se raconter leurs vies en écoutant en boucle les standards de Sinatra.
Chacun a fait la sienne, plutôt réussie, d’un point de vue extérieur. Pierre est DG dans une boîte de recyclage de déchets, il est marié à Béatrice, médecin, ils ont deux enfants. Il a saisi le prétexte de rendez-vous professionnels pour prendre sa semaine, gérée depuis Paris par Sylvie, son assistante. Une fille assez exceptionnelle, semble-t-il. Florian, lui, après une jeunesse rock’n’roll, est devenu un photographe de mode réputé. Il a toujours noué des relations avec des top-modèles, sans en épouser aucune.
A la faveur d’une panne de voiture, les deux compères font la connaissance de la comtesse Emiliana di Castelcampo, une vieille dame un peu baba cool, qui les héberge dans son château déglingué, où elle vit avec son mari, Léo, spécialiste de poésie mystique, et s’occupe de son arche de Noé, lequel compte même un éléphant. Dans cette atmosphère harmonieuse, cette famille d’adoption, Pierre et Florian vont commencer à réfléchir sérieusement sur eux-mêmes, leurs parcours, et finir par se demander s’ils sont vraiment heureux, s’ils n’ont pas raté d’autres personnes, d’autres chances, plus conformes à leurs rêves d’adolescence.
C’est alors que, par la grâce du romancier et l’intervention d’Elie, un chien doué d’une belle intuition, une certaine Sarah, tenancière d’une maison d’hôtes en baie de Somme (Aux anges), va faire irruption dans le cœur de Florian, tandis que Pierre s’aperçoit que la vraie femme de sa vie est tout près de lui, à son bureau, qu’il la coudoie chaque jour depuis des années sans lui avoir prêté toute l’attention que pourtant elle mérite. Happy end, forcément.
"Il n’y a pas de détours", dit à un moment l’un des garçons. N’empêche, les voies de la destinée sont souvent impénétrables. Il suffit, pour que tout se mette à sa vraie place, qu’un romancier aussi facétieux que talentueux, tendre et sensible, s’en mêle, avec cet art de la fugue qui n’appartient qu’à lui. Du coup, c’est le lecteur, lui, qui est Aux anges. J.-C. P.