Qu’elle est belle, la Nobelle ! Je me souviens, c’était ma première interview littéraire. Seulement, je n’avais jamais rien lu d’elle ! Impossible d’interroger Doris Lessing sur l’autobiographie qu’elle publiait alors en France. Mais je voulais rencontrer l’auteure du Carnet d’or que les amies de ma femme me recommandaient. L’attachée de presse inflexible : « Alors, c’est oui ou c’est non ? » Bon, d’accord. Je cherche quelqu’un qui pourrait faire l’interview. Ah oui, cette jeune stagiaire qui m’a fait deux très bons articles. - Vous avez déjà lu Doris Lessing ? - Oui presque tout ! - Et son autobiographie qui paraît la semaine prochaine ? - Je suis dedans. - OK, rendez-vous à 18h au Lutétia. L’article est pour demain 10h, quatre feuillets. C’est risqué mais je n’ai pas le choix. Nous voilà le photographe, la stagiaire et moi dans la chambre de l’écrivaine avec l’attachée de presse et la traductrice. Le métro à six heures du soir ! Je présente le journal, lui dit notre admiration et donne la parole à la stagiaire. Elle tremble comme une feuille, balbutie sa première question : - Vous écrivez page 122 que « …., etc, etc » - Je n’ai jamais écrit cela ! La réponse claque comme un fouet. A trois reprises l’interviewée renvoie l’intervieweuse dans les cordes. On m’avait dit que Doris Lessing n’était pas facile mais ce jour-là même les mouches s’abstiennent de voler. Par chance un maître d’hôtel entre dans la chambre avec une bouteille de champagne rosé. J’en profite pour faire le pitre. L’interview reprend avec ma question fameuse : « Et pour vous la vie c’est quoi ? » Longue réponse avec force sourires. L’interview finit en pâté une alouette, un cheval. C’est moi qui fait le bourrin. La panique me prend à la sortie: la stagiaire résistera-t-elle au traitement que Doris Lessing lui a infligée. Avec le photographe nous nous extasions devant les épreuves photos : jamais l’écrivaine n’a paru si belle. Nous commençons à nous demander si nous ne sommes pas responsables (à notre corps défendant) de ce qui vient de se passer entre une femme âgée et une plus jeune ? J’avais promis de faire porter le journal à Doris Lessing le dimanche matin à son hôtel. Quand l’attachée de presse le lui porte deux heures plus tard elle s’entendra répondre : « Christian me l’a envoyé » avec un sourire dont je rougis encore. Aujourd’hui Doris Lessing est Prix Nobel de littérature et Marie-Laure Delorme l’une des meilleurs critiques littéraires françaises * * * « J’ai cru au capitalisme. » Tailleur élégant, mensurations qui font encore rêver, sourire enjôleur, cette capitaine d’industrie a dirigé des centaines de personnes dans une entreprise de pointe. Pourtant derrière cette allure de battante il y a comme une lézarde. Comme tant d’autres, elle vient d’être victime de la grande faucheuse sociale. Elle a voté Sarkozy, a défendu pendant des années les valeurs de l’entreprise et cru au marché et là, soudain, son monde s’écroule. Elle a les mots d’Adela Famara - « dégueulasse » - pour dire les vagues de licenciements qui touchent aujourd’hui les cadres, comme hier les ouvriers. Elle veut une nouvelle vie, rêve de management éthique. Comme d’autres, j’en sais quelque chose, elle va aussi entrer dans sa 3 e vie. Finie l’enfance, finie la vie de boulot et d’éducation des marmots, vient le temps de la liberté, de l’affirmation de nos vraies valeurs. Une vie apaisée mais sans compromis. C’est peut-être un peu tard mais devenir éditeur, manager éthique à 60 ans, ou tant d’autres choses, après toutes ces souffrances, quel luxe ! * * * Putain de crabe ! Pourquoi faut-il que tu t’en prennes à mon plus vieil ami ? Nous nous sommes rencontrés en 7 e et depuis on ne s’est plus quitté. Et tu t’en prends à lui, le meilleur ! Le prof de philo qui a choisi d’enseigner en prison. Le père aimant. L’organiste qui, un après-midi d’été, a joué provoquant un inoubliable fou rire, la Marseillaise et Carmen dans une cathédrale assommée par l’été. Qui nous a fait découvrir Bach : Jésus que ma joie demeure qui résonnait l’autre matin comme un sombre pressentiment sur Radio Classique. Saloperie de maladie qui s’est déjà planté dans le dos d’un autre ami à New York. Tu ne peux pas leur foutre la paix, non ! Vieillir d’accord mais pas ainsi, saloperie * * * Les phrases de la semaine . « Rien, je ne sens rien. » Cristian Von Wernich, 69 ans, prêtre, condamné à la perpétuité, quand on lui demandait ce qu’il ressentait pendant qu’il torturait des prisonniers sous la dictature argentine. « Che Guevara c’est un looser. » Jacques Séguela, publicitaire winner. **** Revue de blogs Chacun ses manies. Je déteste entendre parler de « petites secrétaires ». Parce que ma mère l’était ? Pas seulement. Quand on aime les mots, on déteste les clichés. Une bloggeuse, N.U.L.L.E., qui n’a rien d’une cuistre malgré le nom de son site, s’en prenait le 3 octobre aux « petites secrétaires » de sa fac. Je commente sans mesure l’expression. Certains m’approuvent, d’autres en appellent à la liberté d’expression jusqu’à ce qu’un bloggeur me colle au pilori : « Bien-pensant ! » qu’il dit. La messe est dite ; on ne réplique pas à une telle accusation. C’est le dernier mot à la mode. Après « politiquement correct ». De 1945 aux années 60 pas besoin de qualifier quelqu’un de raciste, l’Histoire avait réglé le sujet. Aujourd’hui être antiraciste c’est être bien-pensant, comme défendre les pauvres, les immigrés, le tiers monde, etc. Les bloggeurs sont très joueurs. Ils s’envoient des questionnaires. Répondre par des titres de livres à des questions genre : ton animal préféré ? (Répondez : Allumez le chat de Barbara Constantine). Des échanges : de livres, de marque-pages, de thés. Ils appellent cela des « swap ». Thom du GOLB, qui passe par là parfois, propose un « overcrossing ». Entendez : les bloggeurs littéraires rendent compte d’un disque et les bloggeurs musicaux d’un livre. J’avais promis. Plus de place. Enfin juste un titre : Ouvrez les frontières de Tiken Jah Fakoli. Ecoutez bien les paroles. http://cuistre.canalblog.com/ http://legolb.over-blog.com/