Gabrielle Perrier ne connaissait pas le poids de son existence. Elle n’avait pas mesuré l’étendue de son destin, scellé auprès des enfants dont elle avait eu la charge durant cinq mois. Gabrielle était institutrice à la colonie d’Izieu et toute sa vie, elle portera en elle le souvenir de ces 44 enfants juifs, des filles et des garçons de 5 à 13 ans, raflés par les Allemands le 6 avril 1944, puis exterminés. Elle avait alors 21 ans, et ce jour-là, le premier des vacances de Pâques, elle n’était pas auprès d’eux. Jusqu’à sa mort, en 2010, elle est restée au secret d’une tragédie. Elle continue d’être institutrice dans la région, elle se marie à 51 ans et conserve dans un dossier tous les articles, soigneusement découpés, sur ces faits révélés par l’ouvrage de Serge Klarsfeld en 1984.
La lumière se porte sur elle lors du procès de Klaus Barbie, à Lyon, en 1987. Elle y est entendue comme témoin et elle mesure soudain ce qu’elle a vécu. Elle, si effacée, si transparente, existe de nouveau. Sa vie minuscule appartient bien à l’Histoire. Dominique Missika s’est intéressée à elle. Elle en a tiré une enquête troublante, parce qu’elle se situe dans les marges, dans cette zone un peu grise du passé que l’on voudrait bien éclairer mais que l’on craint de surexposer.
Elle suit les traces d’une discrète, toujours bien mise, qui porte en elle la culpabilité de n’avoir pas réagi. Le procès du "boucher de Lyon" la libère par les mots qu’elle prononce. Elle revoit ces enfants, elles les racontent, elle leur redonne vie. Directrice éditoriale de Tallandier, Dominique Missika a déjà consacré plusieurs ouvrages à la Résistance et à ces enfants dans la guerre. Celui-ci est le plus secret. Elle y fait le portrait d’une taiseuse, une femme nimbée dans le silence qui, en libérant sa parole, libère aussi les non-dits sur les douleurs et les embarras d’une époque. Une drôle de dame, vraiment, pour un terrible drame. L. L.
A signaler la nouvelle édition augmentée d’Izieu, des enfants dans la Shoah de Pierre-Jérôme Biscarat (Fayard, 330 p., 22 euros, ISBN 978-2-213-68159-7), à paraître le 19 mars, avec une préface de Serge Klarsfeld.