Dossier

Droit : retour à l'équilibre

Au tribunal de Paris. - Photo Olivier Dion

Droit : retour à l'équilibre

Dynamisé par plusieurs réformes législatives d'envergure, le marché du livre de droit a retrouvé son niveau d'avant la crise sanitaire. Jouant tout de même la prudence, les éditeurs déploient peu de nouveaux concepts, préférant renforcer les collections existantes.

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Par Charles Knappek,
Créé le 25.07.2022 à 11h10

Le droit profite de l'embellie générale du marché du livre. En croissance de 4,5 % en valeur entre mai 2021 et avril 2022 selon GfK, le segment a été porteur dans toutes ses composantes - professionnelle, universitaire et grand public -, simplement marqué par le retour progressif à la normale s'agissant des usages numériques, en recul après l'effervescence des confinements. Outre le retour massif de la clientèle en librairie, qui a bénéficié à tous les secteurs du livre, c'est la riche actualité législative, portée par plusieurs réformes d'envergure, qui a joué en faveur de la reprise des ouvrages juridiques. « Le marché est en forte croissance à tous les niveaux, confirme Caroline Sordet, directrice du pôle édition de Lefebvre Dalloz, la marque qui rassemble Dalloz, Francis Lefebvre et les Éditions Législatives. Les réformes du droit des sûretés et du droit des procédures collectives, toutes deux étroitement liées à un secteur économique bouleversé par la crise sanitaire, ont tiré les ventes, ainsi que les évolutions du droit rendues nécessaires par la digitalisation de la société accélérée pendant cette période. »

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Caroline Sordet, directrice du pôle édition de Lefebvre Dalloz.- Photo OLIVIER DION

Effet de rattrapage

Dans ce contexte porteur, les éditeurs ont progressivement renoué avec leur rythme habituel de production, bénéficiant mécaniquement d'un important effet de rattrapage. « Les livres que nous avions repoussés en 2020 ont finalement paru en 2021. Ils ont beaucoup contribué aux bons résultats d'ensemble, détaille Enrick Barbillon, dirigeant-fondateur d'Enrick B Éditions. En parallèle, des collections comme "Juris'Coach" et "Le meilleur du droit" qui avaient mis du temps à démarrer, commencent à trouver leur public grâce au soutien des libraires et au bouche-à-oreille des étudiants. » L'éditeur annonce un chiffre d'affaires 2021 en progression de 55 % par rapport à 2020 (+22 % vs 2019). De son côté, LexisNexis a publié 120 titres, nouveautés et nouvelles éditions confondues en 2021, soit autant qu'en 2019. « Nous bénéficions de la confiance des libraires qui ont volontiers mis en avant nos livres depuis deux ans, explique Chrystel Faure, directrice de la rédaction textes, codes et ouvrages. Le retour des salons professionnels depuis le début de l'année est aussi un moment important pour nous. »

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Enrick Barbillon, dirigeant-fondateur d'Enrick B Éditions.- Photo PHOTOS: OLIVIER DION

Les éditeurs restent néanmoins exposés aux difficultés qui touchent l'ensemble de la profession. Les délais plus longs induits par la crise du papier entraînent ponctuellement des ruptures. « Nous avons beaucoup travaillé ces dernières années pour définir des tirages les plus justes possibles afin d'éviter de les envoyer au pilon, rappelle Sidonie Doireau, directrice éditoriale du groupe Lextenso. La difficulté est que les réimpressions se décident à la dernière minute alors même que l'allongement des délais d'approvisionnement demande d'anticiper toujours plus en amont. Dans ce contexte, nous ne pouvons pas être aussi réactifs que nous le souhaiterions. » De la même manière chez Lefebvre Dalloz, certains titres connaissent des ruptures temporaires. L'impression de plusieurs codes, en particulier, a fait l'objet de « retards maîtrisés ». Depuis le début de l'année, cinq codes, parmi lesquels le Code général des impôts ou le Code monétaire et financier ont vu leur date de parution décalée d'une semaine, l'éditeur ayant par ailleurs changé d'imprimeur pour limiter le retard. Les codes napoléoniens, qui représentent une part majeure du chiffre d'affaires de Dalloz, ont en revanche été sécurisés.

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Chrystel Faure, directrice de la rédaction textes, codes et ouvrages chez LexisNexis.- Photo OLIVIER DION

Particulièrement dynamique, le marché étudiant a bénéficié à la marge du Pass Culture (lire encadré). Au sein du groupe Lextenso, dont environ 60 % de l'activité livre repose sur l'universitaire, Sidonie Doireau signale en particulier les bonnes performances des « Manuels » LGDJ et des « Mémentos » Gualino, deux collections désormais publiées en papier recyclé. Malgré la crise actuelle des matières premières qui en complique la mise en œuvre, le groupe prévoit à moyen terme d'étendre le papier recyclé à d'autres pans de son catalogue.

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Hélène Hoch, directrice de la rédaction civil/pénal et ouvrages chez Lefebvre Dalloz.- Photo OLIVIER DION

Attachement aux ouvrages papier

Le dynamisme de l'universitaire s'explique aussi par l'émergence récente de nouveaux concepts éditoriaux. La collection « Séquences » de Dalloz, qui repose sur le principe de la pédagogie inversée, rencontre un succès croissant. « Plusieurs enseignants se sont emparés de la collection. Ils demandent à leurs étudiants de lire un chapitre en amont, ce qui leur permet d'interagir avec eux pendant le cours magistral », souligne Hélène Hoch, directrice de la rédaction civil/pénal et ouvrages chez Lefebvre Dalloz. Trois nouveautés compléteront la collection à la rentrée : Institutions juridictionnelles, Droit des affaires et Droit administratif. Grands consommateurs d'ouvrages de référence comme les différents codes, le Lexique des termes juridiques (Dalloz) ou Les grands arrêts de la jurisprudence administrative (Dalloz), les étudiants de licence demeurent une cible privilégiée pour les nouveaux concepts éditoriaux. Lextenso lance à l'intention des élèves de première année un petit livre de méthode intitulé Savoir lire et comprendre un arrêt de la Cour de cassation (titre provisoire). Plus classiquement chez LexisNexis, près d'une trentaine de titres sont à paraître à la rentrée en « Manuels » et « Objectif droit », cette dernière collection ayant par ailleurs récemment bénéficié d'une refonte de sa maquette. L'éditeur continue de proposer le pack Essentiel aux étudiants de Licence 1, qui comprend le Code civil, le Dictionnaire du vocabulaire juridique et Le petit guide de l'étudiant en droit. Les étudiants restent en revanche majoritairement attachés aux ouvrages papier. Les fonctionnalités numériques qui leur sont proposées, telles Dalloz Coaching récemment, ne séduisent qu'à la marge. « Ce sont surtout les bouquets numériques des bibliothèques universitaires qui fonctionnent », constate Hélène Hoch. Dalloz indique réfléchir à de nouvelles offres, potentiellement en lien avec des plateformes d'e-learning. Sur le marché professionnel, LexisNexis enrichit la collection « Guides » d'une nouveauté intitulée Guide de droit international des Français à l'étranger et réédite plusieurs titres parmi lesquels Guide des modes amiables de résolution des différends ou Guide de l'assurance-vie. En « Précis », l'éditeur vient de publier Droit fiscal international et de l'Union européenne. Dalloz prépare une nouveauté sur la médiation dans la collection « Delmas Express » et annonce également deux nouveaux « Dalloz Action » en droit des transports et en droit de l'urbanisme d'ici la fin de l'année. De son côté, Lextenso inaugure en juin, sous la marque LGDJ, la collection « Avocat & pratique professionnelle » avec Guide des techniques de plaidoirie, qui sera suivi d'ici la fin de l'année d'un ouvrage consacré aux dommages corporels. « Avec cette collection, nous ciblons un public d'avocats en recherche de solutions concrètes dans le cadre de leur pratique quotidienne, détaille Sidonie Doireau. S'agissant de la plaidoirie, cela concerne par exemple l'élaboration, la rédaction et le prononcé des interventions devant les diverses juridictions. » Toujours sous la marque LGDJ, Lextenso annonce quatre nouveautés en droit des données personnelles, contentieux de l'Union européenne, droit international pénal et droit des sociétés.

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Sidonie Doireau, directrice éditoriale livres chez Lextenso.- Photo PHOTOS: OLIVIER DION

Bouleversements liés au Covid

Malgré une baisse des mises en place moyennes observées en librairie, les ventes d'ouvrages juridiques à destination du grand public ont, elles aussi, connu un rebond, largement corrélé à l'épidémie de Covid-19, à l'origine de bouleversements multiples dans la situation personnelle des particuliers (augmentation du nombre des divorces, des licenciements, mais aussi des créations d'entreprises). Selon l'Insee, il y a par exemple eu 995 900 créations d'entreprises en 2021, soit une progression de 17 % par rapport à 2020, qui était déjà une année record. « Le besoin d'accompagnement et d'information né des périodes de confinement a offert un contexte favorable à l'ensemble de nos ouvrages », confirme Anne-Laure Marie, directrice des éditions Prat, spécialisées dans les livres juridiques pratiques. L'éditeur, qui reste à l'affût des évolutions législatives, ne prévoit pas de nouveautés au second semestre mais signale les bonnes ventes récurrentes de titres comme Créer son entreprise ou Divorce, dans la collection « Les guides pratiques pour tous ». À la rentrée, les nouvelles éditions de plusieurs de ses titres attendent notamment d'intégrer les réformes des retraites et de la fiscalité des successions. Enfin, 2021 a été une année de réorganisation stratégique pour le groupe Lefebvre-Sarrut. La création de la marque ombrelle Lefebvre Dalloz, qui rassemble en France les pôles édition, formation et logiciel du groupe, s'accompagne régulièrement du lancement de nouveaux services, tels que la base de contenus juridiques gratuits Open Lefebvre Dalloz ou le moteur de recherche juridique Ok.doc, tous deux déployés en mai 2022. Depuis octobre 2021, Sylvie Faye, qui présidait déjà Dalloz et les Éditions Législatives, a étendu son périmètre aux éditions Francis Lefebvre. À l'intérieur du pôle édition, dirigé depuis fin 2021 par Caroline Sordet, l'objectif est aussi de renforcer les complémentarités opérationnelles et stratégiques des trois marques. En revanche, le groupe précise qu'il est encore « trop tôt » pour évoquer l'interopérabilité entre ses différentes plateformes numériques.

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Anne-Laure Marie, directrice des éditions Prat.- Photo OLIVIER DION
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Principaux éditeurs lh22- Photo ANOIR

Pass Culture : le droit aussi !

Pass Culture : le droit aussi !

LES PRINCIPAUX ÉDITEURS

LES PRINCIPAUX ÉDITEURS

LES VENTES PAR SECTEURS

LES VENTES PAR SECTEURS

Toujours plus de codes

Part majeure de l'activité des éditeurs, le marché des codes s'enrichit régulièrement de nouveaux titres non-officiels, dits " codes éditeurs ", qui compilent des branches entières du droit. Du côté des codes napoléoniens, Dalloz augmente ses tarifs de deux euros par titre, après dix ans de stabilité.

Les éditeurs étoffent leur offre de codes non officiels. Autrement appelés « codes éditeurs », ces titres ne font pas l'objet d'une numérotation telle qu'elle est proposée dans les codes officiels - les plus fameux d'entre eux étant les cinq codes napoléoniens (civil, procédure civile, pénal, procédure pénale et commerce). Ils rassemblent au contraire des textes épars relatifs à la même matière, qu'ils compilent et ordonnent pour offrir un état du droit le plus exhaustif possible. Alors que LexisNexis avait déjà publié un Code du numérique en 2021, Dalloz vient de faire paraître début juin la première édition d'un Code de la cybersécurité. « Avec ce type de proposition, nous devançons le marché sur des sujets en devenir comme nous l'avons déjà fait il y a quatre ans avec le Code de la protection des données personnelles ou il y a deux ans avec le Code de la compliance, décrypte Éric Chevrier, directeur éditorial des codes Dalloz. L'objectif est aussi de toucher des publics plus étendus que celui des seuls juristes traditionnels. » Le succès est souvent au rendez-vous : LexisNexis indique avoir vendu plus de 1 000 exemplaires du Code du numérique, « un très bon niveau de vente pour un ouvrage de ce genre », selon Chrystel Faure, directrice de la rédaction textes, codes et ouvrages, et prépare déjà une 2e édition annoncée pour la rentrée.

Ces initiatives éditoriales trouvent même parfois leur aboutissement dans la décision du législateur de codifier la matière : après vingt éditions du Code de la fonction publique, qui compilait l'ensemble des textes réglementaires et législatifs du domaine, Dalloz vient de publier, fin mars, la première édition officielle du Code général de la fonction publique. L'ouvrage était quasiment en rupture trois semaines après sa parution.

Les éditeurs mettent aussi leurs pas dans ceux du législateur qui a, par exemple, créé l'an dernier un Code de la justice pénale des mineurs. Paru chez Dalloz en septembre 2021 et victime de son succès, le titre a dû être réimprimé deux fois. Au premier semestre toujours chez Dalloz, la création d'un Code pénitentiaire, issu de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire du 22 décembre 2021, donne quant à elle lieu à l'insertion des textes concernés dans la nouvelle édition du Code de procédure pénale. De son côté, LexisNexis annonce pour novembre un Code civil chinois trilingue chinois/français/anglais.

Sur le segment plus traditionnel des codes napoléoniens qui paraissent au début de l'été, le cru 2022 est marqué par une augmentation des tarifs chez Dalloz. Le leader du marché augmente de deux euros le prix des cinq codes. Le Code civil dans sa version étudiante sera ainsi proposé à 22 euros. « Les codes napoléoniens sont des ouvrages à forte pagination et à gros tirage, rappelle Éric Chevrier. Le prix du Code civil n'avait pas bougé depuis dix ans et la hausse de cette année est loin de compenser les augmentations que nous subissons. » De son côté, LexisNexis indique conserver ses prix de lancement (19,90 euros pour le Code civil, 34,90 euros pour les quatre autres) et maintenir à 40 euros à partir du 1er janvier 2023 le prix du Code civil. En revanche, les autres codes napoléoniens verront leur tarif augmenter légèrement. L'éditeur renouvelle comme d'habitude son opération de couvertures fantaisie avec de nouvelles jaquettes illustrées en lieu et place de la traditionnelle couverture bleue.

Meilleures ventes Un top stable

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