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Dossier Young adult: un plus fort engagement

Salon du livre et de la presse jeunesse, Montreuil, 2016. - Photo Olivier Dion

Dossier Young adult: un plus fort engagement

En légère érosion après une longue période de croissance, le secteur du young adult achève sa quête de reconnaissance en s’emparant des questions de société.

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Par Sophie Gindensperger,
Créé le 22.06.2018 à 09h05

Faut-il le prendre comme un signe que le secteur young adult aurait enfin acquis ses lettres de noblesse au sein du monde littéraire français? Pour la première fois, le salon Livre Paris a mis à l’honneur en mars dernier cette littérature pour adolescents en lui consacrant une scène entière. De son côté, le Centre national du livre fait du public adolescent la cible privilégiée de son opération estivale Partir en livre, et s’est penché sur les habitudes de lectures des 15-25 ans (voir p. 64). "On progresse, lentement mais sûrement", se félicite Eva Grynszpan, directrice éditoriale fiction chez Nathan, qui regrette le peu de place accordé généralement dans les médias à ce secteur en quête de reconnaissance. Plus méfiante, Cécile Térouanne, directrice éditoriale chez Hachette Romans, y voit cependant une possible institutionnalisation, qui risque "d’en rigidifier les codes". "Evidemment, personne n’aurait envie de mettre des étiquettes sur la littérature, mais l’émergence d’une catégorie "YA" est une bonne chose pour les jeunes lecteurs et les livres qui s’adressent à eux", analyse Thierry Laroche, directeur éditorial littérature française chez Gallimard Jeunesse, qui a reçu au mois d’octobre le premier prix Vendredi - imaginé comme un Goncourt du Roman à destination des adolescents - pour L’aube sera grandiose d’Anne-Laure Bondoux. Ce prix n’a pas forcément le même impact que pour d’autres segments, sur un public très sensible à la prescription de sa communauté, mais il semble avoir permis à l’ouvrage de faire son chemin. "C’est vrai que le bandeau avec le prix n’est peut-être pas encore une incitation pour les jeunes lecteurs, mais c’est déjà une reconnaissance importante vis-à-vis des passeurs de livres et des prescripteurs", estime Thierry Laroche.

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Thématiques sociales

Un peu tardive mais bienvenue, cette mise à l’honneur intervient alors que la dynamique du secteur est en phase d’érosion. Porté durant les treize dernières années par des vagues successives liées à des sagas ou à des genres (Twilight et la bit-lit, Hunger games et les dystopies, Nos étoiles contraires et le réalisme contemporain), le young adult, né de la convergence d’une adolescence qui dure de plus en plus longtemps, d’un ciblage marketing venu des Etats-Unis et d’un genre littéraire ultra-narratif qui place de jeunes héros face à des choix de vie difficiles, peine aujourd’hui à trouver ses nouvelles locomotives.

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Editorialement pourtant, il y a bien une ébullition du réalisme contemporain autour des thématiques les plus sociales: racisme, féminisme, inclusion des minorités, problématiques LGBTQ ou encore environnementales sont au cœur de nombreux ouvrages publiés cette année et dans les mois à venir. Ce qu’on appelle en anglais les "Issue books" sont aujourd’hui les textes les plus disputés dans les enchères. "Ce sont des titres qui vont faire parler d’eux", explique Eva Grynszpan, qui a acheté les droits de The hate U give, roman resté dans le classement du New York Times soixante-quatre semaines d’affilée. Publication très attendue du printemps 2018 en France, l’ouvrage, écrit par Angie Thomas, jusqu’alors inconnue, raconte à la première personne comment une jeune Noire de 16 ans se retrouve comme l’unique témoin du meurtre d’un de ses amis d’enfance par un policier. "C’était un vrai coup de cœur. Mais il y a eu un énorme travail de traduction", ajoute l’éditrice.

Toujours dans la lignée du mouvement Black Lives Matter, Tayler Johnson was here sera publié chez Hachette Romans en juillet. Chez Gallimard, Les mille visages de notre histoire de Jennifer Niven, publié en février, a pour héroïne une jeune fille obèse. "La diversité des personnages est bien représentée, sans qu’on ait forcément de roman à thèse sur cette question", estime de son côté Bleuenn Jaffres, directrice éditoriale chez Castelmore, qui publie en août Abélard et Lily de Laura Creedle, qui raconte l’histoire d’amour entre deux adolescents, l’un asperger et l’autre hyperactive. "C’est une littérature qui parle du monde d’aujourd’hui, ça se ressent", analyse Xavier d’Almeida, directeur de collection chez Pocket Jeunesse, qui a publié en mars La fille qui n’existait pas, qui se déroule dans l’univers des gangs d’un village kényan, tandis que L’horloge de l’Apocalypse, publié début avril, parle de dérèglement climatique et de climatoscepticisme. Hachette publiera de son côté, au mois d’octobre, Girl power d’Alana Wulff, manifeste féministe sous forme de journal de bord pour jeune fille.

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Sortir du lot

Derrière cette tendance, l’absence de phénomène présente une opportunité pour tous les genres de coexister: fantastique, réalisme feel-good ou même thriller, un genre particulièrement développé chez Castelmore, avec notamment Little monsters de Kara Thomas, publié en avril, ainsi que plusieurs ouvrages à venir à la rentrée. "Aujourd’hui, les genres sont mêlés. Cela donne des livres très puissants, très complets, difficiles à classer", estime Eva Grynszpan, qui évoque par exemple la dystopie Les puissants de Vic James, dans laquelle chacun doit donner dix ans de sa vie en esclavage. "Les genres, c’est la tentation de rassurer l’adulte pour trouver les livres qui lui plaisent. Les ados ont besoin d’une histoire forte, d’être dans les personnages qu’on leur offre. La surprise, c’est le seul sentiment qui fait qu’on est touché", explique Glenn Tavennec, directeur de la collection "R" chez Robert Laffont.

Il reste en revanche plus difficile, dans un marché relativement saturé, de sortir du lot. Ces dernières années, les éditeurs sont nombreux à travailler avec des auteurs issus des communautés en ligne, que ce soit une plateforme de partage d’écriture ou les réseaux sociaux, ou même à la croisée de tout cela, comme Nine Gorman, auteure star du Pacte d’Emma, publié en novembre dernier chez Albin Michel. Mais attention, "un millier de vues sur YouTube ou un millier de commentaires, ça ne se transforme pas en millier d’achats", rappelle Cécile Térouanne, habituée à travailler avec ces auteurs, comme Sarah Morant, qui va publier son quatrième roman, L’asperge, en 2019, chez Hachette. "Cela montre à quel point ces plateformes sont de nouvelles boîtes aux lettres sur lesquelles on trouve de nouvelles plumes avec qui travailler", ajoute-t-elle. Car entre la version publiée sur Wattpad, feuilletonnée, assez longue et parfois répétitive, et le livre, le texte est profondément réécrit.

Autre tendance, attirer des écrivains connus et faire une rentrée littéraire. Olivier Adam signe ainsi un roman, La tête sous l’eau (Robert Laffont/"R"). Mais la célébrité de l’auteur n’est, là encore, pas proportionnelle aux ventes. Le livre de la comédienne et mannequin Cara Delevingne chez Hachette Romans ne s’est pas vendu autant qu’attendu, même s’il a atteint les 20 000 exemplaires, regrette Cécile Térouanne.

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Il reste une constante, confirmée par tous les acteurs du secteur: l’importance du fonds. "On doit plus miser sur le temps long. Le plus dur, ce n’est pas de faire des coups, mais de durer", juge Glenn Tavennec. "Il est arrivé plusieurs fois qu’une série décolle au bout du troisième tome", témoigne Natacha Derevitsky, directrice littéraire de Pocket Jeunesse. Ça a été le cas, par exemple, pour les Chroniques lunaires de l’Américaine Marissa Meyer, très attendue cette année à Livre Paris avec sa nouvelle série, Le gang des prodiges. Mais si faire vivre son fonds tient en partie de la persévérance, notamment pour la vente des droits étrangers, la martingale réside souvent dans l’adaptation audiovisuelle des œuvres, sur grand écran bien sûr, mais de plus en plus sur les services de streaming, Netflix en tête. "Il y a un phénomène de long-seller qui caractérise le marché", confirme Marion Jablonski, directrice du département jeunesse d’Albin Michel, qui a publié 13 reasons why en 2014, bien avant que la série ne soit sur les rails et ne devienne le phénomène Netflix et young adult de l’année 2017, qui s’est poursuivi cette année avec une saison 2. "Netflix a plus d’impact sur la durée", confirme Xavier d’Almeida, qui cite en exemple la saga Mortal instruments de Cassandra Clare, adaptée en série dix ans après la sortie du premier tome sous le nom de Shadow hunters. Cette complémentarité de l’audiovisuel peut aussi, parfois, se jouer dans l’autre sens, puisque Baisers cachés, publié en mai par Albin Michel, qui raconte une histoire d’amour homosexuelle entre deux lycéens, constitue la novellisation d’un téléfilm diffusé sur France 2 en 2017.

Garder le lecteur

"Dans certains cas, le visionnage sur Netflix a remplacé les ventes de livres", déplore cependant Christine Baker, directrice éditoriale de Gallimard Jeunesse. Pour elle, l’aspect chronophage de Netflix, entretenu par les réseaux sociaux, a un impact sans précédent sur le temps de lecture, remplacé par les séries, dont la qualité et le potentiel addictif ne cessent d’augmenter. Face à ce phénomène, "il faut pouvoir remontrer que la lecture reste très accessible, très captivante", estime-t-elle. Or, après 13 ans, le jeune lecteur devient plus difficile à saisir, à contenter et, surtout, à garder. Depuis quelques années, les éditeurs ont plutôt tendance à favoriser le créneau des 8-12 ans, jugé plus dynamique. "C’est là que se passe la lecture", analyse Cécile Térouanne. A L’Ecole des loisirs, Véronique Haïtse, se veut plus optimiste: "Aujourd’hui, les adolescents sont tellement nourris d’histoires, de scénarios et de séries. Je pense qu’ils vont chercher autre chose dans les livres, estime l’éditrice de romans de la maison. Ils sont aussi sensibles à l’objet, à l’image. Les choses changent." Elle annonce pour septembre la suite de Broadway limited, qui relate la découverte, par un jeune Français, de l’american way of life dans le New York de l’immédiat après-guerre.

"Le public young adult connaît une transformation depuis deux ou trois ans, il s’est scindé en deux groupes : d’un côté des lecteurs de plus en plus jeunes, et de l’autre ceux qui ont grandi, plus proches de 17-18 ans", constate Glenn Tavennec. Ces publics n’ont pas les mêmes attentes, mais peuvent parfois aimer les mêmes auteurs. Certes, la dichotomie jeunesse-adulte reste forte en France, au point de publier parfois le même texte dans deux éditions différentes: l’une pour adultes, l’autre pour ados, comme cela a été le cas pour La passe-miroir en poche, chez Gallimard, ou Une fille facile chez Bragelonne. Cela ne doit pas empêcher le secteur young adult de continuer à se projeter comme une littérature pour tous.

Le young adult en chiffres

Comment lisent les 15-25 ans?

 

Commandée par le Centre national du livre, une étude Ipsos sur les habitudes de lecture des 15-25 ans montre une population volontiers lectrice, mais aussi très sollicitée par les écrans.

 

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Insaisissable. Le segment du young adult est souvent difficile à définir tant il comprend des profils différents, aussi bien collégiens que jeunes actifs. Que lisent-ils? Sur quels supports? A quelle fréquence? Une étude Ipsos commandée par le Centre national du livre, menée en ligne sur un échantillon de 1 500 personnes désigné selon la méthode des quotas entre le 20 avril et le 17 mai et rendue publique le 19 juin, lève en partie le voile sur ce mystère.

Que l’on se rassure: les jeunes de 15 à 25 ans lisent. Ils sont même 86% à avoir lu au moins un des genres littéraires proposés par l’étude au cours des douze derniers mois (manga, roman, témoignage, livre pratique, etc.). Parmi eux, 81% lisent dans le cadre de leurs loisirs, par goût personnel (et seulement 5% exclusivement dans le cadre scolaire ou professionnel). Ces lecteurs déclarent par ailleurs avoir lu, en moyenne, 12,8 livres au cours des douze derniers mois, tous contextes confondus.

59% des personnes interrogées assurent lire au moins une fois par semaine, et consacrent en moyenne à cette activité 4 h 43 sur une semaine. Ctte moyenne, là encore, cache des disparités: les femmes consacrent 1 h 40 de plus à la lecture loisir que les hommes, et déclarent avoir lu 14,5 livres en moyenne sur les douze derniers mois.

Sans surprise, les lectures personnelles des parents, ou encore la lecture à haute voix pendant l’enfance, davantage valorisées chez les CSP+, ont un impact sur la lecture des jeunes adultes: ceux qui ont vu leurs parents lire comptent 90% de lecteurs, contre 75% pour ceux qui ne les ont jamais vus avec un livre.

Mais c’est aussi et surtout la concurrence avec d’autres activités (écouter de la musique, aller sur les réseaux sociaux, échanger avec ses amis, regarder des vidéos…) qui met le livre sur la touche. Le manque de temps et les autres activités sont les principales raisons identifiées par les lecteurs pour ne pas lire plus. Significatif au regard de l’offre pléthorique du marché aujourd’hui, 20% des collégiens-lycéens invoquent comme raison pour ne pas lire davantage le fait de ne pas trouver des livres qui les intéressent.

Si Internet occupe chaque semaine en moyenne 14 h 48 du temps consacré aux loisirs de l’échantillon interrogé (avec une nette préférence pour le smartphone), ce n’est pas forcément qu’au détriment de la lecture. En effet, 35% des lecteurs interrogés disent avoir lu au moins un livre au format numérique sur les douze derniers mois, dont 58% sur leur smartphone.

Pour autant, le papier reste le plus prisé: 83% des lecteurs ont lu un livre physique durant les douze derniers mois, 47% lisent exclusivement sur ce support.

Les 15-25 ans lisent principalement à leur domicile, ce qui est logique puisque le moment privilégié de la lecture est, pour 58% des lecteurs, le soir, avant de s’endormir. Une grande majorité lit des romans mais ils sont également nombreux à lire des livres illustrés, notamment des mangas et des BD. Parmi les romans, le fantastique, la science-fiction et les romans policiers sont très prisés. Près de 600 titres différents ont été cités par les personnes interrogées appelées à donner leur titre préféré sur les douze derniers mois. Harry Potter, After et Cinquante nuances de Grey forment le trio de tête. Comment ont-ils choisi? La plupart en fonction du résumé de l’histoire, mais la prescription, notamment celle des amis, compte aussi.

Ecrans et miroirs

S’il fallait une preuve de l’impact de Netflix sur les ventes dans le secteur young adult, elle est éclatante dans le palmarès des meilleures ventes du rayon GFK/Livres Hebdo. Mise en ligne le 30 mars 2017, la première saison de 13 reason why a même réussi à affoler les compteurs du service de streaming. En librairie, l’intérêt pour le livre est tel que l’ouvrage réussit à être deux fois dans le top 5: avec le grand format, traduit chez Albin Michel Jeunesse en 2014 et republié pour l’occasion, qui survole ce classement, et au Livre de poche Jeunesse, à la 5e place.

Si la présence de Everything, everything de Nicola Yoon et Nos étoiles contraires de John Greene, respectivement à la 3e et à la 4e place, tous deux adaptés au cinéma, confirme ce tropisme audiovisuel, il n’est pas le schéma unique: la série en 3 volumes La passe-miroir de l’auteure française Christelle Dabos, qui a remporté la première édition du concours du premier roman jeunesse organisé par Gallimard Jeunesse, RTL et Télérama au printemps 2012, occupe la 2e et la 8e place du top 10.

Avec 32 ouvrages dans le top 50, le format poche reste fort dans un secteur qui fait beaucoup vivre le fonds, mais le grand format tire aussi son épingle du jeu, en particulier Gallimard, avec notamment L’aube sera grandiose d’Anne-Laure Bondoux, lauréate en 2017 de la première édition du prix Vendredi, qui récompense un ouvrage jeunesse pour un public adolescent.

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