Dossier Tourisme

Dossier Tourisme : à chacun son guide

Jarry, Tripleton, Top/Gamma RApho

Dossier Tourisme : à chacun son guide

Sur un marché qui s’est encore contracté l’an dernier, les éditeurs de guides de voyage s’adaptent aux attentes de chaque catégorie de voyageurs en repensant leur catalogue ou en lançant de nouvelles collections. Au centre de toutes les attentions : les guides "low-cost", les titres décalés pour les courts séjours et, plus encore, le tourisme itinérant.

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Par Charles Knappek
Créé le 07.03.2014 à 16h40 ,
Mis à jour le 03.04.2014 à 17h10

Déjà en recul en 2012, le marché des guides touristiques a confirmé sa tendance baissière l’année dernière avec, selon Ipsos, un retrait de - 2,7 % en nombre d’exemplaires et de - 4,3 % en valeur (voir graphiques ci-contre). Mais si les ouvrages haut de gamme, à forte densité culturelle ont particulièrement souffert, les guides "low-cost" se sont maintenus, et ont même progressé. Du coup, tous les éditeurs ne traversent pas la tempête de la même manière. "Nous avons vécu une année extraordinaire avec un + 16 % en valeur, se félicite Frédérique Sarfati-Romano, directrice de Lonely Planet. Ces bons résultats viennent récompenser une stratégie d’ouverture vers de nouveaux publics et le lancement régulier de nouvelles collections et de nouvelles formules éditoriales." L’éditeur dont l’activité est gérée sous licence par Place des éditeurs (Editis) a notamment profité des bonnes performances de sa collection "L’essentiel", créée en 2012 autour des pays et renforcée l’an dernier avec des titres couvrant les grandes destinations urbaines et les régions françaises. Corse a par exemple trouvé 18 000 acquéreurs. La collection d’entrée de gamme de Lonely Planet, "En quelques jours" (52 références) reste cependant celle qui se vend le mieux. "Nous avons élargi notre réseau de ventes, précise Wilfrid Delfortry, directeur commercial illustré/tourisme chez Place des éditeurs. Nous étions très centrés sur les librairies de premier niveau ; avec ces nouvelles collections moins chères, nous avons pu nous développer en grande surface et en librairies de proximité."

"Nos collections de guides culturels sont trop riches et pâtissent des nouveaux comportements des voyageurs." Line Karoubi, Gallimard Loisirs - Photo LUC LAVIGNE

Egalement dans une dynamique positive, Gallimard Loisirs a vu son activité portée par les collections "Cartoville", "Géo-guide" ou "Mode d’emploi". "Leurs résultats sont encourageants, juge Line Karoubi, directrice générale de Gallimard Loisirs. Mais dans le même temps, nos collections de guides culturels sont trop riches et pâtissent des nouveaux comportements des voyageurs. En trois ans, le recul de leurs ventes atteint 25 %." Par contrecoup, la collection à petit prix "Cartoville", qui a enregistré une "croissance de 14 % en 2013", selon Line Karoubi, représente désormais à elle seule la moitié du volume des ventes de l’éditeur.

Courts séjours

En repli sur leurs positions par rapport à l’an dernier, Michelin et Le Petit Futé sont globalement confrontés aux mêmes phénomènes. "Les "Guide vert. Week-end" profitent de l’engouement des touristes pour les courts séjours", note Paul Carril, directeur de la cartographie et des guides Michelin. Trois nouveautés, consacrées à Toulouse, Lille et Naples-Pompéi, sont annoncées dans la collection. "L’année n’a pas été très bonne. Nous avons souffert de la désaffection pour les destinations africaines, où nous sommes traditionnellement bien implantés, concède Jean-Paul Labourdette, directeur du Petit Futé. L’activité globale recule de 3 %, mais nos collections low-cost "City guide" et "Carnet de voyage" ont enregistré des progressions à deux chiffres."

Egalement très bien implantées sur les destinations africaines, les éditions du Jaguar revendiquent pour leur part un "excellent exercice 2013", selon Nicole Houstin, directrice adjointe de la marque au sein du groupe Jeune Afrique. Il est vrai que l’Hexagone ne représente que 20 % de l’activité globale de l’éditeur, qui cible surtout les marchés locaux. Loin de s’adresser uniquement aux touristes, Le Jaguar publie ses titres en plusieurs langues et y insère des informations sur le business pour les hommes d’affaires en voyage. Sa collection principale, "Guides aujourd’hui", a fait l’objet d’une refonte fin 2013 et propose désormais ses titres dans un format moins haut et enrichi d’une partie pratique. L’éditeur a également changé de diffuseur le 1er janvier et fait maintenant appel à Dilisco pour la France.

"On dit que les jeunes se contentent d’Internet. Avec notre formule bon marché, nous touchons une cible qui n’achèterait pas un guide classique." Philippe Gloaguen, Le Guide du Routard - Photo OLIVIER DION

La tendance est à la différenciation des approches, et les éditeurs s’efforcent de proposer des guides toujours mieux adaptés à chaque typologie de voyageurs. Dans cet esprit, Hachette a lancé fin septembre la collection "Routard express", une déclinaison à petit prix (4,90 euros) de sa marque phare, Le Routard, surtout axée autour des capitales et des grandes villes européennes. ""Le Routard express", c’est la réponse du Routard au Web, lance Philippe Gloaguen, le fondateur de la marque. On nous dit tellement que les jeunes se contentent d’Internet et n’achètent plus de guides. Avec cette formule bon marché, simple et qui s’adresse à un public low-cost, nous arrivons à toucher une cible qui n’achèterait pas un guide classique pour un voyage de trois jours." Les six premiers titres parus en 2013 (Paris, Rome, Londres…) seront complétés par six autres nouveautés cette année. Dans la même veine, mais à des prix plus élevés, "Un grand week-end", également chez Hachette, "En quelques jours" (Lonely Planet) et "Guides villes" (National Geographic), bénéficient globalement de la tendance des voyageurs à fragmenter leurs vacances. C’est également vrai pour Gallimard Loisirs avec "Cartoville", qui s’ouvre à cinq nouvelles destinations en 2014 : Cologne, São Paulo, Luxembourg, Montpellier et New York (avec Pénélope Bagieu), qui est le deuxième opus réalisé par la dessinatrice après celui consacré à Londres. "Le guide de Pénélope Bagieu n’a pas cannibalisé le Londres classique en "Cartoville", qui a obtenu les mêmes résultats. Avec Bagieu, le public est sans doute plus jeune et plus féminin, on ne s’adresse pas à la même cible", analyse Line Karoubi.

Exister face aux leaders

"Ce sont les guides thématiques qui séduisent. Dès qu’on croise deux ou trois informations, la plus-value est réelle par rapport à Internet et les gens achètent les guides." Patrick Arfi, Marcus - Photo OLIVIER DION

Les collections des petits éditeurs éprouvent, en revanche, davantage de difficultés à se faire une place. "100 %", chez Berlitz, n’est ainsi plus entretenue depuis deux ans, faute de moyens. "C’est difficile d’exister face aux gros acteurs, déplore Philippe Chauchon, directeur commercial chez Blay-Foldex, qui possède la marque. A terme, la collection est appelée à disparaître. Nous mettrons l’accent sur le segment additionnel des guides de conversation où nous sommes très bien positionnés." Chez Marcus, le directeur Patrick Arfi ne se montre guère plus optimiste. "Hormis notre collection "Itinéraires et découvertes", le bilan 2013 est très mauvais. Ce sont les guides thématiques qui séduisent. Dès lors qu’on croise deux ou trois informations, la plus-value est réelle par rapport à Internet et les gens achètent les guides." La maison publiera trois nouveautés (Inde du Sud, Cambodge et Malte) dans sa collection classique "Carnets de route" au premier semestre.

Mais c’est bien le tourisme itinérant qui mobilise les acteurs. Aux éditions Ouest-France, la collection "Itinéraires de découvertes" est à nouveau refondue cette année, après un premier lifting en 2013. "Elle a subi un fléchissement, et nous la retravaillons pour la proposer à un tarif moins élevé, indique Anne Cauquetoux, la responsable éditoriale. Le format et la maquette changent. Le prix passe de 16,50 euros à 14,90 euros." Hachette annonce quant à lui une remise à plat de la collection "Evasion" cette année. "Nous allons améliorer la cohérence entre les grands et les petits itinéraires qui y sont proposés", explique Nathalie Pujo, directrice générale d’Hachette Tourisme. Un créneau assez proche de celui de "Mode d’emploi" (Gallimard), la collection "la plus guidante" de l’éditeur, selon Line Karoubi. "Le lecteur y trouve tout ce qu’un guide humain pourrait lui dire sur le terrain. C’est pour les voyageurs prévoyants qui n’aiment pas être livrés à eux-mêmes", précise-t-elle. De la même façon, Lonely Planet lance en juin une nouvelle collection, "Sur la route", avec deux premiers titres consacrés aux Etats-Unis et un troisième intitulé Sur la route des régions de France, publié en partenariat avec une émission de télévision. "C’est une collection dédiée au tourisme en voiture. Nous proposons l’itinéraire, les photos immanquables à réaliser, les points d’intérêt et un carnet d’adresses simplifié", détaille Frédérique Sarfati-Romano. Michelin n’est pas en reste sur la thématique automobile puisque l’éditeur au bibendum annonce un guide consacré à la route mythique, la Ruta 40, en Argentine.

D’autres niches parviennent à séduire le lectorat. Les éditions Viatao, spécialisées dans le tourisme durable, proposent des guides de poche écrits par les habitants et contenant des adresses qui favorisent le contact avec les populations locales. "Nous sommes positionnés comme des guides de complément, décrypte la présidente de Viatao, Pascaline Deshayes. Le lecteur nous achète s’il connaît déjà la destination, ou s’il a des amis sur place." Une sorte de tourisme pour initiés qui correspond aussi à l’offre éditoriale de Jonglez. 85 % du catalogue de la petite maison d’édition fondée par Thomas Jonglez est concentré dans la série Insolite et secrète. "Nos guides parlent de ce qui n’est pas évoqué dans les ouvrages de la concurrence. Il est évident que vous n’en achèterez pas si vous visitez une ville pour la première fois", résume Thomas Jonglez. L’an dernier, Venise insolite et secrète s’est écoulé à 4 000 unités en France et constitue la meilleure vente de l’éditeur, qui vient de passer chez Volumen pour la diffusion et publiera trois nouveautés en mai prochain : Naples, Copenhague et Paris : nuits insolites. De son côté, Viatao annonce des titres consacrés à la Corse, à la Guadeloupe et un peu plus tard à la Catalogne, le Maroc, l’Italie et la Colombie.

Avec des guides comme Ladakh-Zanskar : avec 22 itinéraires de trekking dans l’Himalaya indien, les éditions Olizane occupent sans conteste une niche originale sur le marché. Leur patron Matthias Huber évoque malgré tout une année "en demi-teinte". "Nous proposons des guides d’auteurs sur des destinations rares avec une forte valeur ajoutée culturelle et historique, mais plusieurs d’entre elles (Mali, Libye, Liban…) subissent des troubles politiques qui tarissent le tourisme." En 2014, Olizane ne publiera aucune nouveauté, et se contentera de la mise à jour de quelques guides : Bhoutan, Cap-Vert, Madagascar

Les bons vieux classiques

Même pour un acteur important comme Le Petit Futé, la présence sur des destinations rares représente une bouée de sauvetage bien venue en période de crise. L’éditeur est notamment positionné sur l’Albanie, l’Ouzbékistan, la République centrafricaine ou encore le Burkina Faso… "Dans ces pays, on est loin de s’adresser au seul lectorat des touristes. Les avions sont pleins de Français qui vont travailler en Afrique, voir leurs familles, faire de l’humanitaire", explique Jean-Paul Labourdette. C’est aussi la logique du Jaguar, dont la petite série destinée aux enfants L’histoire de… est un succès de librairie en Afrique. Les deux premiers titres sur le Tchad et la Côte d’Ivoire tournent chacun autour de 3 000 unités vendues.

Le bon vieux guide classique n’est pas abandonné pour autant. Lonely Planet propose des nouveautés sur les Pouilles et Oman en "Guide de voyage" ; Michelin a publié deux nouveaux "Guide vert" (Norvège et Danemark-Suède) en février ; Le Petit Futé enrichira au printemps sa collection "Country guide" avec trois nouvelles références (Pays-Bas, Rhodes, El Salvador) ; National Geographic s’empare du Brésil, du Japon, de l’Inde et du Portugal ; Le Routard couvre Hong Kong, les Canaries, Macao et San Francisco tandis qu’Hachette poursuit le développement des "Guide bleu" avec des nouveautés à propos des Châteaux de la Loire et de Londres. "Cette collection est en recul, mais ça reste supportable, c’est sans doute conjoncturel en raison de la crise et lié au fait qu’on n’avait pas publié beaucoup de nouveautés", commente Nathalie Pujo. Enfin, Gallimard Loisirs complète "Géo-guide" avec des titres consacrés aux Canaries et aux Baléares. Avec "Cartoville", "Géo-guide" est la collection qui donne lieu au plus de développements chez Gallimard en 2014. La couverture est refondue - l’éditeur abandonne l’historique bande verte verticale pour une photo pleine page - et une vaste campagne de promotion est annoncée pour les prochains mois, qui prendra la forme d’une PLV en cabines de bain hautes de deux mètres et capables d’accueillir 80 volumes. National Geographic poursuit également sa politique de refonte. "Une soixantaine de titres de nos collections basculent dans une nouvelle maquette avec des couvertures revisitées. Ce travail de refonte entre dans sa deuxième année puisque nous avons déjà revu 25 % du catalogue", explique Françoise Kerlo, directrice éditoriale de National Geographic et Géo France.

Du côté des guides à vocation sportive, la Fédération française de randonnée (FFR) évoque une année "modérée", selon Annie Sissoko, responsable du département adhésion, développement et commercialisation. "Nous avons légèrement reculé en volume, mais nous avons conservé notre chiffre d’affaires. On s’en sort assez bien, mais cela implique de sortir des nouveautés, d’être réactifs et dynamiques pour maintenir le chiffre". Les très bons résultats de GR 2013 Marseille-Provence, paru en coédition avec Wildproject à l’occasion de l’année Marseille capitale européenne de la culture et vendu à 18 000 exemplaires, ont "clairement soutenu le bilan global". Editeur de fonds avant tout, la FFR publie en moyenne 10 nouveautés par an, contre une cinquantaine de nouvelles éditions. Cette année, elle proposera notamment un ouvrage consacré à la randonnée dans le parc national du Mercantour.

Chez Ouest-France, la collection "Vélo guide" s’est bien comportée et fera l’objet de développements en 2014 : les nouveautés Les plages du Débarquement à vélo et Sur les chemins de la Grande Guerre seront notamment proposées. Egalement dans la thématique des commémorations, Le Routard annonce pour fin mars un titre dédié à la bataille de Normandie agrémenté de photos inédites, tandis que la FFR publiera un topoguide sur la Picardie pendant la Première Guerre mondiale. <

Le tourisme 2013 en chiffres

Les sentiers du numérique

 

Jugeant le marché peu réceptif aux guides numériques, les éditeurs testent néanmoins des formules qui leur permettent de se préparer en douceur.

 

Loin de tenir ses promesses, le marché du numérique reste encore balbutiant. Cela n’empêche pas certains acteurs d’anticiper un décollage perçu comme inéluctable. Si le Petit Futé, très offensif avec le lancement de la collection "Ebook Futé" (lire encadré ci-contre), propose déjà l’intégralité de ses titres en version numérique - l’ebook est même offert avec le guide papier -, les autres éditeurs sont encore loin d’investir aussi massivement. Plutôt que de proposer une solution ebook, National Geographic annonce un partenariat d’envergure avec TripAdvisor. L’éditeur et le site de notation de services touristiques lancent un site dédié accessible grâce à un code inséré dans les guides papier. Le lecteur bénéficie alors d’une offre complémentaire d’informations pratiques régulièrement remises à jour. "C’est un partenariat sur lequel nous allons beaucoup communiquer via des campagnes d’emailing et de l’achat d’espaces dans les titres du groupe Prisma, annonce Françoise Kerlo, directrice éditoriale de National Geographic et de Geo France. Les guides National Geographic ont un caractère culturel. Grâce à TripAdvisor, nous en renforçons l’aspect pratique."

Plus circonspect, Hachette Tourisme s’appuie sur Routard.com pour inciter les internautes à acheter ses guides, qui sont encore très peu proposés en version numérique (la collection "Un grand week-end" essentiellement). "Le marché n’est pas encore prêt, estime Nathalie Pujo, la directrice éditoriale. Les offres existantes, surtout au niveau de la cartographie, n’atteignent pas une qualité satisfaisante." Un sentiment partagé par Line Karoubi, chez Gallimard Loisirs, qui préfère concentrer ses actions sur la vingtaine d’applis SmartCity week-end. "Aujourd’hui, nous sommes dans une situation d’attente avant de savoir où aller en termes de langage technique et de forme", résume la directrice générale. L’approche est identique chez Michelin qui, pour la première fois en 2013, a inséré dans ses guides des QR codes ouvrant accès à des applications. Mais concernant les livres numériques stricto sensu, "le marché n’est pas encore mûr", confirme Paul Carril, directeur de la cartographie et des guides.

 

Chiffre d’affaires doublé.

Lonely Planet annonce de meilleures performances sur la trentaine de ses titres faisant l’objet d’une déclinaison numérique avec un chiffre d’affaires "doublé en un an". La directrice de Lonely Planet, Frédérique Sarfati-Romano, se félicite : "Notre proposition spécifique du Pick & Mix, qui permet la vente de chapitres à l’unité, répond aux attentes des lecteurs." Mais cette offre ne concerne que quelques titres de la collection "Guides de voyage" et exclut notamment tous les ouvrages illustrés. "Sur les guides illustrés, le résultat n’est pas encore satisfaisant en termes d’expérience client", reconnaît l’éditrice. Plus optimiste, Viatao a inauguré une offre au format ePub fin 2013. La présidente de la maison, Pascaline Deshayes, espère que cette nouvelle activité "représentera 15 à 20 % du chiffre d’affaires d’ici à 2015". <

 


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