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Dossier Scolaire : comment mieux faire ?

OLIVIER DION

Dossier Scolaire : comment mieux faire ?

Après des ventes record en 2011, les éditeurs scolaires prévoient un léger repli cette année. Le volume d'affaires global restera toutefois à un niveau élevé. Dans le numérique, l'édition s'est mise en ordre de bataille, mais les recettes sont toujours insignifiantes, ce qui arrange bien les libraires.

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Par Hervé Hugueny
Créé le 09.12.2014 à 20h32 ,
Mis à jour le 09.02.2015 à 16h16

Peut mieux faire : l'éternelle formule des profs serinée aux élèves doués mais dilettantes serait malvenue pour la prochaine rentrée de l'édition scolaire. L'an dernier, les ventes de manuels ont atteint "le record de la décennie", observe Guillaume Dervieux, P-DG de Magnard (groupe Albin Michel). "Au global, le marché a progressé de 5 %, estime Célia Rosentraub, directrice générale d'Hatier (groupe Hachette). Le primaire a de nouveau enregistré une légère régression ; le collège, qui représente un tiers de l'activité, est aussi en repli, de 2 à 3 % ; mais surtout le lycée a augmenté de 20 %."

"Les ventes de 2012 seront encore correctes, mais probablement inférieures à celles de l'an dernier." FRANÇOISE FOUGERON, NATHAN EDUCATION- Photo OLIVIER DION

Dans les séries générales des classes de première, tous les programmes étaient renouvelés, soit 320 000 élèves à équiper d'ouvrages volumineux et chers (25 à 30 euros en moyenne). Il fallait y ajouter pour les classes de seconde quelque 500 000 manuels de français, cette discipline ayant échappé à la grande refonte mise en oeuvre à partir de 2010 au second cycle du secondaire. >Appliquées aux chiffres 2010 disponibles au Syndicat national de l'édition, ces variations portent le marché scolaire aux alentours de 300 millions d'euros en 2011 (voir graphique ci-dessous).

"Les ventes de manuels ont atteint le record de la décennie en 2011." GUILLAUME DERVIEUX, MAGNARD- Photo OLIVIER DION

A venir cet été, les bilans des maisons du secteur devraient afficher de belles performances. "Le chiffre d'affaires de Magnard a progressé de 22 %", se félicite Guillaume Dervieux. Dans son rapport annuel pour 2011, Lagardère, actionnaire d'Hachette Livre, souligne que le scolaire s'est révélé très porteur, compensant en partie la fin du phénomène Stephenie Meyer. L'année dernière s'est d'ailleurs aussi caractérisée par quelques rééquilibrages au profit notamment d'Hachette Education et d'Hatier, et au détriment de Nathan, qui avait réalisé une année 2010 extraordinaire. Les libraires ont profité de cette embellie, d'autant que celle-ci a été amplifiée par la disparition de la Cuc, ex-leader des ventes aux établissements et aux associations de parents d'élèves (voir notre article p. 63).

"L'éducation civique est intégrée dans les manuels d'histoire-géographie, comme la grammaire l'a été dans les livres de français." MAHIN BAILLY, BORDAS- Photo OLIVIER DION

AMBIANCE DE FIN DE RÉFORME

Pour cette rentrée, la conjoncture passe donc de "très favorable" à "bonne". "Les ventes de 2012 seront encore correctes, mais probablement inférieures à celles de l'an dernier", prévoit Françoise Fougeron, directrice générale de Nathan Education. La filiale du groupe Editis revendique une place de leader au lycée, qui porte les fortes performances enregistrées depuis deux ans sur le marché scolaire. "Nous sommes dans une ambiance de fin de réforme", constate avec une certaine nostalgie la directrice générale d'Hatier, Célia Rosentraub. Le cycle de mise en oeuvre des nouveaux programmes se termine en 2012-2013 au collège et au lycée. Au primaire, ils datent de 2008. "On ne peut pas s'attendre à un miracle sur ce marché alors que nous serons en cinquième année de renouvellement de programme", prévoit avec lucidité Stéphanie Saïsse, directrice du département primaire d'Hachette et Istra.

"Au global, le marché a progressé de 5 % en 2011." CÉLIA ROSENTRAUB, HATIER- Photo OLIVIER DION

Dans les filières professionnelles et technologiques, après les réorganisations importantes des précédentes rentrées, 2012 sera encore "une bonne année", prévoit Olivier Jaoui, directeur général de Foucher, avec des "réformes assez considérables sur l'ensemble de la filière", ajoute Charles Bimbenet, directeur de Nathan Technique.

Après les rythmes frénétiques que les équipes d'auteurs et d'éditeurs ont dû tenir depuis le printemps 2010, la rentrée prochaine se caractérise aussi par le retour à un calendrier "normal". Au collège comme au lycée, dans les filières générales comme dans les séries technologiques et l'enseignement professionnel, la quasi-totalité des programmes était connue depuis l'an dernier. Cela a laissé à tous le temps de réalisation nécessaire. Les enseignants trouveront les spécimens au retour des vacances de Pâques, et pourront fournir aux libraires leurs listes en mai et juin, pour le lancement des commandes dans le courant de l'été.

"Si on a bien marché en première, les positions acquises devraient se maintenir en terminale ." ODILE MARDON, HACHETTE ÉDUCATION- Photo OLIVIER DION

Le terrain des nouveautés est bien balisé (voir encadré p. 62). Au collège (3,1 millions d'élèves en 2010 selon les statistiques de l'Education nationale), le renouvellement des programmes de français, histoire-géographie et éducation civique s'appliquera à la rentrée aux classes de troisième (766 000 élèves), et arrive ainsi à son terme. Comme c'est aussi l'année du brevet, dont la Direction générale de l'enseignenement scolaire (Dgesco) a redéfini le cadre, les éditeurs espèrent un bon niveau de rééquipement des établissements. Tous déplorent un recul au cours des années précédentes, qui n'a d'autre explication que les arbitrages budgétaires : les manuels des collèges sont financés par le ministère de l'Education, qui serre son budget au plus juste, et les départements, compétents sur ce segment, préfèrent investir dans du matériel numérique.

"Nous ne publions pas des manuels au rabais ; la quasi-totalité est maintenant imprimée en quadrichromie et ces supports demandent une pédagogie très élaborée." CHARLES BIMBENET, NATHAN TECHNIQUE- Photo OLIVIER DION

DYNAMIQUE DE L'EXAMEN

Comptant sur cette dynamique de l'examen, tous les éditeurs publient aussi en maths, et quelques-uns (Bordas, Belin) en physique-chimie, ainsi qu'en SVT, pour se mettre en conformité avec quelques aménagements intervenus dans la redéfinition des contenus de ces disciplines, explique Mahin Bailly, directrice générale de Bordas. L'entreprise, dont la création remontait à 1941, a été dissoute et fusionna l'an dernier avec Nathan, mais la marque conserve sa pleine indépendance éditoriale, insiste sa directrice. Mahin Bailly souligne une tendance dans la production au collège, qui répond à un besoin d'économies : "L'éducation civique est intégrée dans les manuels d'histoire-géographie, comme la grammaire l'a été dans les livres de français."

Tous les éditeurs proposent également des nouveautés en langues vivantes, le plus souvent en cinquième et en anglais, bien que les "taux d'ouverture", qui désignent la proportion d'achats de manuels par rapport aux effectifs des élèves, se soient révélés décevants en 2011 selon Stéphanie Manlot, directrice du marketing de Didier (filiale d'Hatier), leader sur ces disciplines. "Mais les niveaux sont très satisfaisants au lycée", tempère-t-elle. L'enseignement linguistique est le seul à avoir vu l'arrivée d'un nouvel acteur ces dernières années, événement rare dans l'édition de manuels scolaires, avec la Maison des langues ouverte en 2008, filiale de l'allemand Klett.

A l'inverse, Bréal s'est presque entièrement retiré du secondaire, ne publiant que sur "des spécialités du programme de sciences éco. Le marché est devenu trop concurrentiel, les grandes maisons ont multiplié les collections et les formats, justifie Cécile Colonna, P-DG de la maison. En français, les profs ont reçu une vingtaine de manuels pour la seconde et la première. L'investissement et le temps nécessaires sont trop importants pour atteindre seulement l'équilibre sur ces lancements, nous avons arbitré cette année avec des projets grand public".

Ce retrait confirme l'importance des barrières à l'entrée de ce marché, que le numérique ne permet pas vraiment de contourner pour le moment (voir article p. 65). L'investissement dans le lancement d'une nouveauté coûte entre 120 000 et 150 000 euros, ce qui est plutôt une fourchette basse pour certains ouvrages onéreux en droits et en iconographie, comme le français et l'histoire, ou en composition comme les maths. Et il faut financer l'impression et l'envoi de spécimens par dizaines de milliers. On mesure donc la trésorerie nécessaire pour une maison comme Nathan, qui publie 27 nouveautés cette année.

POSITIONS ACQUISES

Pour les éditeurs publiant à destination des classes de terminale, l'exercice sera néanmoins plus tranquille car l'essentiel s'est joué l'an dernier. "Si on a bien marché en première, les positions acquises devraient se maintenir en terminale", prévoit Odile Mardon, directrice du département secondaire chez Hachette Education. Les programmes changent dans toutes les disciplines pour cette dernière année du lycée, sauf en philosophie, où Bordas et Hatier publient néanmoins des nouveautés. Il n'y aura plus d'achats en français, d'où le recul attendu, et l'histoire-géographie devrait baisser, n'étant plus qu'une matière à option en terminale S, qui draine toujours les effectifs les plus nombreux (168 000 élèves dans cette section en 2010, contre 102 000 en ES et 50 000 en L).

Au primaire, les éditeurs bouclent la mise en conformité de leurs collections avec les programmes de 2008 : toutes les disciplines, dans tous les niveaux, avaient été réécrites par la Dgesco au printemps pour une application à la rentrée. Devant l'impossibilité évidente de suivre ce rythme, les éditeurs ont étalé les refontes de leurs manuels sur plusieurs années, en commençant de préférence par les maths et le français, les matières auxquelles les enseignants affectent en priorité les crédits limités que votent les communes. A côté de l'histoire-géo et des langues (Bordas, Hachette, Hatier), la plupart des maisons renouvellent certains de leurs ouvrages en lecture ou en maths (Bordas, Hachette, Hatier, Nathan, Sedrap, Retz).

Dans les séries professionnelles (environ 705 000 élèves en 2010), l'installation de la filière gestion-administration constitue la principale innovation, en remplacement des bacs pro secrétariat et comptabilité, deux des principales spécialités de formation (113 000 élèves en 2010). Foucher (filiale d'Hatier) publie dans les matières concernées. "Nous tenons notre position de leader historique dans l'enseignement professionnel", insiste Olivier Jaoui. Bertrand-Lacoste, GEP (filiale d'Eyrolles), Hachette et Nathan Technique sont aussi bien présents. Dans la santé, l'ancien BEP carrières sanitaires et sociales (6 500 élèves) devient un bac d'accompagnement soins et services à la personne (ASSP). Dans toutes les séries tertiaires du bac pro, le nouveau programme d'économie-droit (Bertrand-Lacoste, GEP, Hachette et Nathan Technique) arrive maintenant en terminale.

MARCHÉS DE NICHE

Hachette Technique et Nathan Technique publient évidemment à destination des élèves préparant un baccalauréat professionnel, mais les deux maisons revendiquent des parts de marché plus importantes en séries technologiques, qui connaissent cette année un renouvellement de programme complet à compter de la première (140 000 élèves). "Nous sommes très bien implantés dans la filière industrielle des bacs STI2D et STL", souligne Caroline Boulassier, directrice du département Hachette Technique. Quelques modifications interviennent aussi en ST2S (santé). Et Nathan entend bien tenir sa place de leader dans la filière tertiaire (bac STMG, environ 75 000 élèves par an), également refondue, insiste Charles Bimbenet.

Caractérisés par une multitude de spécialités, les bacs technologiques, et plus encore les bacs professionnels, ne réunissent parfois que quelques milliers d'élèves - 3 800 pour les techniques de l'imprimerie et de l'édition, par exemple. Cela laisse leur chance à de petits éditeurs bien dimensionnés pour ces marchés de niche. Mais la concentration rattrape aussi ce secteur de l'édition scolaire. Seuls BPI (hôtellerie-restauration), Bertrand-Lacoste et Fontaine Picard restent indépendants. Eyrolles a repris GEP (filières tertiaires) en 2007, Magnard a racheté successivement Delagrave (qui appartenait déjà à Flammarion), puis Casteilla l'an dernier. Se jugeant, plus encore que leurs confrères du collège ou des filières de l'enseignement général du lycée, ignorés voire méprisés par les maisons littéraires, les éditeurs de l'enseignement professionnel défendent un savoir-faire très pointu. "Nous ne publions pas des manuels au rabais ; la quasi-totalité est maintenant imprimée en quadrichromie et ces supports demandent une pédagogie très élaborée", souligne Charles Bimbenet.

L'an prochain, les filières professionnelles et technologiques prendront d'ailleurs une importance toute particulière dans les branches scolaires des groupes avec la poursuite des réformes engagées cette année, alors que ce sera une période de vaches maigres pour l'édition de manuels à destination du collège et des séries générales du lycée, faute de nouveaux programmes. De leur côté, les écoles primaires, marquées par un sous-équipement chronique, pourraient devenir le marché de demain si les éditeurs parviennent à transformer en commandes concrètes leur idée de "cartable essentiel", composé d'un nombre minimal de livres à jour des programmes. Par sondage, l'idée est plébiscitée, et les maires des municipalités comme les parents interrogés se disaient prêts à payer pour.

TROIS ANS DE HAUSSE*

En millions d'euros.- Photo SOURCES : SNE

Les ventes de 2012 resteront à un niveau élevé, mais ne bénéficieront pas d'un contexte aussi favorable que l'an dernier. Pour les éditeurs scolaires, 2011 a été le record de la décennie.

Les nouveautés de la rentrée

Le manuel, bon pour les libraires

 

La vente de manuels scolaires reste moins concentrée que leur production. Dans cette activité où le service est avant tout logistique, la Librairie des étudiants, à Strasbourg, émerge comme un nouveau leader des appels d'offres.

 

"En termes de délai et de coût, livrer un collège à Dijon ou à Lille n'entraîne pas de grande différence. Ce qui compte, c'est l'accessibilité, qui renchérit par exemple les livraisons dans les communes de montagne." LOÏC HEYDORFF, EMLS- Photo DR

En progression de plus de 20 % entre 2009 et 2011 selon les données des éditeurs, le marché scolaire a apporté sur cette période une bouffée d'air aux libraires qui s'y intéressent, comme l'a confirmé notre classement Livres Hebdo des 400 premières librairies françaises (1). La prochaine rentrée s'inscrira dans la tendance des deux années précédentes. La disparition de l'ex-leader, la Coopérative de l'université club (Cuc), a entraîné aussi une redistribution des cartes dont tous les revendeurs du scolaire ont profité. "Lorsqu'un acteur de cette dimension disparaît, la répartition de son activité entre ses concurrents correspond à peu près à leur part de marché respective", estime Frédéric Fritsch, directeur général et cofondateur de la Librairie des étudiants (LDE), à Strasbourg.

"Les libraires spécialisés dans le scolaire connaissent bien leur travail." OLIVIER JAOUI, FOUCHER- Photo OLIVIER DION

La LDE est le nouveau leader de la vente de manuels scolaires en France, avec un chiffre d'affaires qui a progressé de 60 % en 2011, approchant les 30 millions d'euros. L'entreprise a profité de l'envolée du lycée, son principal marché. Elle a aussi remporté les appels d'offres de la Ville de Paris (8 millions d'euros pour les écoles et collèges) et de la région Languedoc-Roussillon, ce dernier aux dépens de Sauramps, à Montpellier, qui a dû licencier une partie de son service aux collectivités à la suite de la perte de ce client majeur.

DANGEREUX

Photo OLIVIER DION

"Ces très gros marchés peuvent être dangereux pour l'activité d'une entreprise", estime Loïc Heydorff, gérant des Entrepôts méditerranéens du livre scolaire (EMLS), qui viennent tout juste de s'agrandir en déménageant à Vitrolles. Bien qu'elle soit installée en Provence-Alpes-Côte d'Azur, région limitrophe du Languedoc, et même s'il y avait un chiffre d'affaires de 2 à 3 millions d'euros à la clé, l'entreprise s'est gardée d'entrer sérieusement dans la compétition. Le gain d'appels d'offres plus petits et plus nombreux est moins risqué. "Nous avons gagné une cinquantaine de clients, et notre chiffre d'affaires a atteint 13 millions d'euros, en hausse de 10 % », se félicite Loïc Heydorff.

Cufay, à Abbeville, à la fois libraire en centre-ville et adjudicataire des marchés aux collectivités, a de même développé son chiffre d'affaires livres (+ 4,6 millions d'euros) grâce au scolaire et optimisé la surface de son entrepôt. "Les spécialistes des appels d'offres ont repris une partie de l'activité de la Cuc, mais ils n'ont pas tout récupéré ; de nombreuses librairies traditionnelles ont aussi trouvé de nouveaux clients", observe Stéphane Merlet, directeur commercial de Nathan.

Les parts de marché des libraires sont toutefois relativement stables. "Un nouveau venu ne peut pas s'imposer du jour au lendemain en raflant de gros appels d'offres à l'aide de fortes remises : il faut négocier l'encourt avec les éditeurs, qui surveillent particulièrement ce poste car c'est le plus risqué pour eux, les achats et les livraisons étant concentrés sur une très courte période", souligne Thierry Damagnez. Mais le gérant de Cufay, dans le scolaire depuis les débuts de la librairie au XIXe siècle, regrette de ne plus avoir que des relations financières avec les éditeurs du secteur, et ne voit aucun représentant, sauf parfois "des délégués pédagogiques, anciens dans le métier, qui prennent encore la peine de passer".

31,5 % MAXI

"Les libraires spécialisés dans le scolaire connaissent bien leur travail", rappelle le directeur général de Foucher, Olivier Jaoui. Ce savoir-faire explique peut-être ces relations distantes avec des revendeurs expérimentés, mais qui ne sont pas prescripteurs et n'ont pas besoin des éditeurs dans le travail logistique qui leur incombe. De plus, les règles commerciales sont fixées depuis des temps presque immémoriaux. Personne ne se souvient de l'origine du plafonnement de la remise à 31,5 %, un maximum atteint avec quelques milliers d'euros de commande, et qui ne constitue pas un point de discussion. "Sur les marchés collectifs, où la concurrence peut être féroce, une hausse de la remise libraire serait de toute façon repassée à l'établissement", estime Thierry Damagnez, de chez Cufay. Dans les régions à aides directes aux familles, qui achètent en librairie et où il n'y a pas d'appels d'offres, la situation du libraire s'en trouverait améliorée, mais il est impossible de faire la différence entre les deux circuits.

S'il est important, le prix n'est toutefois pas l'unique critère retenu dans les marchés publics, comme le montre l'exemple de la LDE, dont les ristournes sont en général inférieures à celles que proposent les autres adjudicataires. "Nous mettons en avant notre logiciel de gestion de prêt et d'étiquetage", explique Frédéric Fritsch. Même le tribunal administratif n'a rien trouvé à redire, dans le différend qui a opposé la LDE à Sauramps, pourtant moins cher sur le marché du Languedoc-Roussillon.

Sur le camionnage, en revanche, il y aurait matière à discussion. Les manuels des écoles parisiennes sont ainsi véhiculés d'entrepôts situés en Ile-de-France jusqu'à Strasbourg d'où ils sont réacheminés après traitement. Idem pour ceux des lycées du Languedoc. Mais là, c'est l'économie du transport qui intervient : "En termes de délai et de coût, livrer un collège à Dijon ou à Lille n'entraîne pas de grande différence. Ce qui compte, c'est l'accessibilité, qui renchérit par exemple les livraisons dans les communes de montagne", explique Loïc Heydorff, qui ne prospecte pas pour autant au-delà du quart sud-est de la France.

Tout cela n'empêche pas les libraires de se préparer, comme les éditeurs, à un repli de leurs ventes du rayon scolaire en 2013. Sauf ceux qui vendent aussi de l'occasion et se trouvent dans des régions où les lycéens achètent leurs manuels à l'aide de chèques-lire ou de cartes à puce. 1) Voir LH >901, du 16.3.2012, p. 14-28.

Numérique, y es-tu ?

 

Si tous les manuels papier sont disponibles sous une forme numérique, les ventes restent marginales. Le ministère de l'Education nationale a programmé 30 millions d'euros de subvention sur trois ans. Nathan Technique tente une expérience de vente via les librairies.

 

"Nous reviendrons lorsque le numérique sera bien installé, qu'il permettra de réduire les coûts de production et qu'il ne sera plus nécessaire d'envoyer des spécimens papier" CÉCILE COLONNA, BRÉAL- Photo DR

«L'utilisation des manuels numériques dépend de la construction d'infrastructures et de l'équipement des élèves en terminaux - un processus long et coûteux. L'Europe continentale est encore loin derrière les Etats-Unis et le Royaume-Uni", >déclare le groupe Lagardère dans une présentation destinée à rassurer les analystes financiers anglo-saxons sur la pérennité de l'activité de sa filiale Hachette Livre face à de (fausses) menaces qui viendraient du numérique. Comme dans la comptine apprise aux enfants pour les aider à maîtriser leur peur de l'inconnu, le loup numérique ne serait donc pas encore prêt à chasser sur les terres du marché scolaire. Et pour être tout à fait clair, le mémo ajoute que les "marges sur les ebooks sont potentiellement supérieures à celles des livres papier, car les coûts d'impression, de stockage et de transport sont supprimés".

"Les utilisateurs ayant acheté les versions précédentes de nos Lib auront accès gratuitement aux versions sur tablettes." SÉBASTIEN LEPLAIDEUR, LIVRE INTERACTIF BELIN (LIB)

Aujourd'hui, c'est encore un investissement coûteux en temps comme en droits d'auteur supplémentaires, se plaignent les éditeurs. Ces nouvelles charges ont poussé Bréal à se retirer du scolaire, alors que ses manuels papier étaient tout juste équilibrés. "Nous reviendrons lorsque le numérique sera bien installé, qu'il permettra de réduire les coûts de production et qu'il ne sera plus nécessaire d'envoyer des spécimens papier", estime la P-DG, Cécile Colonna. Pour le moment, seuls deux acteurs sont entrés sur le marché via le numérique : Sésamath, avec une économie particulière fondée sur le bénévolat de ses auteurs, et Lelivrescolaire.com, qui n'est en fait que la vitrine d'une entreprise essentiellement technologique, qui se propose de fournir un outil de production aux éditeurs (voir encadré page 66).

CHRONOPHAGE

Ceux-ci cherchent le moyen d'intégrer la réalisation de leurs e-manuels et des contenus enrichis qui les accompagnent sans que ce travail devienne chronophage. "L'organisation de flux de copies et de BAT numériques automatisés est un véritable enjeu pour nos maisons", souligne Guillaume Dervieux, P-DG de Magnard. Ils doivent aussi savoir dire non : "Nous sommes sollicités par des collectivités locales et des établissements qui cherchent des contenus adaptés à leurs expérimentations, notamment sur des tablettes, mais nous ne pouvons pas nous contenter d'une production artisanale, au coup par coup, explique Odile Mardon, directrice du département Hachette secondaire. Sur les tablettes, il n'y pas encore de standard, rien n'est stabilisé, d'autres technologies restent à venir, notamment celle de Microsoft."

Sans attendre, Belin, qui s'investit beaucoup dans le numérique, annonce le lancement d'une version iPad et Android de la totalité de sa production en Livre interactif Belin (Lib), soit 75 ouvrages au total, précise Sébastien Leplaideur, directeur du développement numérique. Le CNL a soutenu le projet. "Les utilisateurs ayant acheté les versions précédentes de nos Lib auront accès gratuitement à celles-ci", ajoute-t-il. Et la maison a confié la commercialisation de sa technologie à Immanens, qui a développé le portage sur tablettes. Pour un éditeur, le coût d'accès annuel est de 15 000 euros (support technique, maintenance, mise à jour) auxquels il faut ajouter un forfait de quelques milliers d'euros par réalisation d'ouvrage, mais aucuns droits ultérieurs sur les ventes.

"Tous les éditeurs utilisent des plateformes et des applications de lecture différentes", >regrette Guillaume Dervieux. "C'est un des freins au développement du numérique en classe, alors que la technologie ne devrait pas être un enjeu concurrentiel", renchérit Sébastien Leplaideur. Philippe Belin, président d'Immanens, qui avait réalisé la totalité des versions numériques des maisons du groupe Hachette, et de Magnard, seul client resté fidèle, regrette évidemment cette dispersion et plaide pour une solution simple, ce que veut être le Lib, "tant que la production reste organisée autour du papier et que le numérique n'a pas décollé", note Philippe Belin.

0,5 % DES VENTES.

De fait, il y a encore un peu de marge. "Le numérique représente au maximum 0,5 % des ventes", selon Célia Rosentraub, directrice générale d'Hatier. Pourtant, depuis deux ans, les éditeurs scolaires ouvrent leurs catalogues avec une double page présentant les versions numériques de leurs manuels. Ils comptent cette année sur le "plan Chatel", un programme lancé en octobre dernier par le ministre de l'Education nationale, et qui réserve expressément un budget de 30 millions d'euros sur trois ans à l'achat de contenus numériques. Mais les libraires restent exclus de la distribution de ces ressources numériques, cataloguées sur le site du CNDP, et téléchargeables sur les plateformes du KNE (groupe Hachette) ou du CNS (Editis).

"La place du libraire est un grand point d'interrogation dans le numérique scolaire", s'inquiète Frédéric Fritsch, directeur général de la Librairie des étudiants (LDE), à Strasbourg. Nathan Technique y apporte une première réponse expérimentale. "Nous proposons pour cette rentrée des i-Manuel, dont les licences seront activables par un code imprimé sur les ouvrages papier, explique Charles Bimbenet, directeur de Nathan Technique. L'accès individuel vaut 2 euros, qui seront incorporés dans le prix de l'ouvrage si l'établissement a retenu cette option, et donc dans le chiffre d'affaires des libraires qui les commercialiseront."

GUTENBERG VEUT RÉVOLUTIONNER LA PRODUCTION DES MANUELS

"Actuellement, le manuel numérique est réalisé à partir du fichier conçu pour l'impression, et il faut refaire le travail pour chaque système d'exploitation ou terminal de lecture. Nous proposons de travailler les contenus directement dans notre base de données, à partir de laquelle ils seront publiables sur smartphones ou tablettes tactiles, quel que soit leur système d'exploitation, ou imprimés", explique François-Xavier Hussherr, directeur général et principal actionnaire de Gutenberg Technology. La société qui exploite la plateforme Gutenberg 3.0 a été créée en 2010. Financée à hauteur de 3 millions d'euros, elle s'affirme prête, avec cette technologie, à révolutionner la production de livres comme le premier imprimeur, dont elle a repris le nom, l'avait fait au XVe siècle.

"Dans le cadre du grand emprunt, le consortium que nous avons monté avec Alcatel et Telecom Paristech a été sélectionné par l'Etat", se félicite François-Xavier Hussherr. Gutenberg Technology possède aussi une filiale, Lelivrescolaire.com, qui a déjà publié 7 titres et en publiera 5 autres d'ici à janvier (voir tableau p. 62), pour le collège uniquement et avant tout pour montrer que son système fonctionne. Plusieurs centaines d'auteurs-enseignants participent à leur réalisation. Mais si leur nombre fait penser au collectif de Wikipédia, tous sont payés, insiste le fondateur, lui même ancien enseignant en économie et normalien.

Les éditeurs auxquels ce projet a été présenté s'inquiètent de la maîtrise de la technologie et du stockage des contenus, qui ne seront plus sur leurs serveurs. "Ce type de réalisation suppose aussi une standardisation de nos maquettes à laquelle nous ne sommes pas prêts aujourd'hui, mais il faudra peut-être y venir", reconnaît Odile Mardon, directrice du département secondaire chez Hachette Education. Gutenberg, qui a ouvert un bureau aux Etats-Unis, a signé un premier contrat avec Pearson. Suivant le nombre de livres, le coût d'usage de la plateforme va de 600 à 15 000 euros. Les investisseurs se montrent déjà convaincus. La troisième augmentation de capital valorise l'entreprise à 9,7 millions d'euros. "D'ici à quatre ou cinq ans, le scolaire basculera dans le numérique, et ce sera alors très rapide", assure François-Xavier Hussherr.

09.12 2014

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