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Dossier papeterie et carterie: des libraires très courtisés

Olivier Dion

Dossier papeterie et carterie: des libraires très courtisés

Pourtant identifiée comme un relais de croissance naturel, et introduite avec succès dans un certain nombre de magasins, la papeterie souffre encore d’une image défavorable auprès d’une partie des libraires. Papetiers et grossistes développent des stratégies marketing et commerciales incitatrices pour lever ces freins.

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Par Cécile Charonnat,
Créé le 19.09.2014 à 02h32 ,
Mis à jour le 19.09.2014 à 11h20

Entre les libraires et les papetiers, les relations devraient être au beau fixe tant les défis apparaissent convergents. Les premiers sont en quête de diversifications pour pallier un marché du livre moins porteur. Les seconds recherchent de nouveaux relais de croissance, notamment pour compenser les manques à gagner liés à la disparition des réseaux Virgin et Chapitre. Il s’agit pour les uns comme pour les autres de retrouver du chiffre d’affaires alors que le marché de la papeterie, comme celui du livre, a enregistré en 2013, selon l’institut I+C, une baisse d’activité de 2,5 % en valeur et qu’à la mi-juillet les ventes plafonnaient toujours à - 2 %.

"L’offre marie la papeterie scolaire avec notre rayon parascolaire dans lequel nous assurons de bonnes performances."Elodie Perthuisot, Fnac- Photo OLIVIER DION

Pourtant, le discours volontariste des papetiers peine, de l’avis de la majorité des acteurs de la filière, à être entendu. Comme l’explique Martial Ardant, directeur général du groupe Hamelin (Oxford, Elba et Canson), les papetiers voudraient que "les libraires se repositionnent logiquement sur cette offre, qui leur est complémentaire et naturelle, pour contrer la disparition des papeteries traditionnelles des centres-villes". "On note bien un mouvement des libraires vers nos produits, mais ce n’est pas encore d’ampleur, déplore Guillaume Nusse, P-DG de Clairefontaine. Et il y a encore des opportunités qui ne sont pas saisies. Par exemple, c’est ahurissant que Julliard, boulevard Saint-Germain à Paris, n’ait pas réussi à trouver 2 mètres linéaires pour y installer de la papeterie alors qu’il n’y a rien autour", s’étrangle-t-il.

L’espace Moleskine dans la librairie Payot à Lausanne.- Photo OLIVIER DION

A contrario, la Fnac a franchi définitivement le pas cet été. Après une période de test en 2013 dans 15 magasins pilotes, la chaîne de grandes surfaces culturelles a équipé l’ensemble de ses points de vente d’un espace dont la taille varie de quelques mètres carrés à une centaine à Montparnasse ou à la Défense. L’offre marie la papeterie scolaire, "cohérente avec notre rayon parascolaire dans lequel nous assurons de bonnes performances", souligne Elodie Perthuisot, directrice produits et des gammes fantaisie, où la rotation des collections est importante afin de stimuler l’achat d’impulsion. "Ils ont compris qu’il fallait qu’ils accélèrent et qu’ils prennent une place souvent vide en centre-ville, sur le modèle de ce que Cultura a fait en périphérie", analyse Guillaume Nusse.

Manque d’appétence

Pour beaucoup de fournisseurs, ces initiatives restent néanmoins bien timides au regard de ce qui se fait à l’étranger, où le positionnement sur le "non-book" est ancien, notamment chez nos voisins allemands, anglais ou italiens. "Dans de nombreuses chaînes de magasins allemandes, l’objectif est fixé à 40 % de produits hors livre, pointe Michel Taillandier, directeur France de la marque japonaise de papeterie d’ambiance Marks. C’est un impératif, pas une option. Par conséquent, ils ont mis en marche un système de recrutement et de formation de leur personnel très volontariste." En France, malgré des atouts indéniables, telles la rentabilité au mètre carré ou sa capacité à attirer une nouvelle clientèle et à fidéliser celle déjà acquise, la papeterie est confrontée à des freins persistants. Les règles qui régissent la filière - minimum de commande, franco de port et achat en compte ferme - rebutent. La difficulté de composer un assortiment cohérent à partir d’une offre très généreuse effraie également les librairies, qui craignent en outre de dénaturer l’image de leur magasin. "Il existe aussi un manque d’appétence pour le produit, et un manque d’envie de se former pour acquérir des compétences propres à la gestion de la papeterie", reconnaît Stéphanie Terron, de la librairie L’Ecume des pages, à Paris (6e).

Pour lever ces obstacles, les papetiers prennent de plus en plus en compte les spécificités des libraires dans l’élaboration de leur politique commerciale. Si les gros opérateurs ont tendance à s’organiser avec les grossistes, plus souples dans leur fonctionnement et mieux à même de répondre aux attentes des libraires (voir p. 60), les petits acteurs s’attellent de très près au travail avec les librairies. C’est le cas par exemple de Sophie Caumeau, ancienne acheteuse des jeux et des jouets pour la Fnac, qui a repris en novembre 2013 le grossiste et créateur de produits fantaisie Letterbox. "Nos conditions de travail archaïques, comme la prise de commande presque effectuée à la main, nos équipes de vente mal formées à la librairie et l’absence de plan merchandising et marketing proposé à nos clients font que nous ne sommes pas des fournisseurs rassurants pour les libraires, admet-elle. Pour développer le chiffre des deux côtés, nous devons trouver une manière plus simple de travailler avec eux." Sophie Caumeau cherche donc un moyen de se faire référencer dans les logiciels de gestion des libraires afin de fluidifier le réassort, qui fonctionne trop par à-coups.

L’autre levier pour dynamiser l’activité consiste à baisser les minimums de commandes et les seuols de franco de port, fixés chez Letterbox respectivement à 350 et à 700 euros. Chez Marks, on ne peut commander en deçà de 200 euros. L’absence de telles contraintes chez les éditeurs de livres qui œuvrent dans la papeterie mais qui respectent les règles propres à la commercialisation du livre (remises, réassort à l’unité, absence de soldes et traitement par un diffuseur livre), tels Edi8 qui lance à la rentrée sa marque de papeterie Ultim, en font en revanche des interlocuteurs très appréciés des libraires.

"Shop in the shop"

Les papetiers investissent également volontiers dans le marketing en développant, a minima, des préconisations d’implantation, notamment "pour réduire le manque de sensibilité des libraires par rapport au produit", explique Michel Taillandier, voire, comme chez Stabilo ou Moleskine, en imaginant des "shops in the shop". Après les librairies indépendantes, Marc Galitzky, directeur de la Sofédis qui diffuse le célèbre carnet noir, a investi en 2014 les linéaires d’une vingtaine de Fnac avec des "îlots Moleskine" et d’une trentaine de Relay avec les "univers Moleskine", qui proposent carnets, agendas, produits d’écriture et housses pour iPad. Pour compléter, la marque lance cette année une gamme de sacs et d’accessoires de bagagerie, baptisée MyCloud. Pour autant, Moleskine ne délaisse pas le papier en lançant pour la fin d’année une nouvelle série limitée de carnets Lego, un carnet du voyageur au format portable conçu pour ranger impressions de mails, d’itinéraires ou de cartes, et une édition limitée de carnet The Hobbit.

"C’est aussi à nous de leur démontrer l’opportunité économique que représentent nos produits en leur fournissant, outre une présélection de l’offre, des données chiffrées", complète Xavière Leconte, directrice des éditions du même nom qui appartiennent, avec les cartes postales et de vœux Valoire-Estel et Le Goubey, au groupe A. Leconte. La maison, qui édite plans, guides et objets liés à Paris, est même allée plus loin en créant en 2013 une collection exclusive pour Gibert Jeune. Stylos, magnets, pots et carnets ont été déclinés selon trois univers graphiques différents et ont enregistré, notamment dans le magasin de la place Saint-Michel, de bonnes performances. Globalement, les papetiers restent attentifs à produire ou à dénicher des produits qui collent à l’identité et aux "valeurs" de la librairie, en portant notamment une attention particulière à la qualité de fabrication et de finition. Issue du groupe français Agoria, spécialisé dans la production de dossiers de presse, de brochures, de plaquettes et de signalétique, la toute jeune marque Moulinart, créée en octobre 2013 par Raphaël Thiéblemont, met ainsi sur le marché des carnets et de la petite maroquinerie qualifiés de "haute papeterie", dont le choix des matières et le façonnage sont particulièrement soignés. Le design fait aussi l’objet de toutes les attentions des papetiers. "Le régressif nostalgique mais retravaillé au goût du jour", constate Guillaume Nusse, mais aussi la couleur, le graphisme et la typographie, l’association de matières et de dessins sont fortement prisées pour les couvertures des carnets et de cahiers, rappelant fortement la tendance qui sévit pour les couvertures de livres. Quand ils le peuvent, ils font également appel à des créateurs. Les carnets de Martine Rupert, à l’effigie de Paris, font un tabac chez Marais Téma, qui diffuse notamment la marque allemande Te Neues. Blue Art joue la complémentarité avec des illustratrices auteures d’albums jeunesses, comme Mistigri (La Martinière), Lilidoll (Auzou) ou Magali Fournier (Magnard, Fleurus).

Retour de l’almanach

Pour jeter des ponts entre papeterie et livre, les éditeurs d’agendas sont aussi très forts. "Nos articles sont très riches en contenu éditorial, c’est une bonne façon de convaincre les libraires de se lancer", considère Bertrand Lobry, directeur général des éditions 365, qui publie une quinzaine d’"Almaniaks" et les célèbres organiseurs familiaux "Le Mémoniak", avec cette année un nouveau titre dédié aux seniors, un agenda des comptes pour la famille et trois blocs dont un détachable pour les listes de courses. Répondant bien à ce mélange de livre et d’agenda, l’almanach revient en force chez les éditeurs. Hugo & Cie lance ainsi le sien sous licence "Age tendre et tête de bois" conduit par Fabien Lecœuvre. "C’est la seule petite part du gâteau où nous n’étions pas présents, explique Simon Saint-Ouen, directeur commercial de la maison. Or, nous devons nous montrer agressifs en termes d’offre en développant des thématiques et des formats qui parlent aux libraires." A côté du trio de tête toujours gagnant que constituent les chats, les chevaux et les coins de paradis, Hugo & Cie mise donc, pour ses calendriers muraux, agendas, éphémérides et semainiers, sur les licences - Hunger games ou Simpson -, le sport avec 6 agendas dédiés à des clubs mythiques et la pédagogie avec Une question de culture générale par jour ou Une leçon d’anglais par jour.

Joël Recher : "On propose, le libraire dispose"

 

Le directeur général adjoint de RP diffusion (réseau Rouge Papier), l’un des principaux grossistes généralistes de papeterie, détaille la large palette de services qu’il propose aux libraires pour leur faciliter la vie.

 

Joël Recher.- Photo A. PAPAIS

Nous sommes un grossiste généraliste en papeterie et matériel de bureau né il y a dix ans du regroupement de quatre grossistes régionaux. RP diffusion réalise un chiffre d’affaires de 52 millions d’euros, dont la moitié provient de nos 560 adhérents qui forment le réseau Rouge Papier. Nous avons une forte activité historique avec le circuit de proximité, composé essentiellement du réseau Seddif [Maison de la presse et Mag Presse, NDLR] et des librairies indépendantes. Nous étions par exemple le principal grossiste référencé chez Chapitre. Parmi la trentaine de magasins repris, nous avons d’ailleurs ouvert 26 comptes, dont 20 ont le statut d’adhérents.

La palette est large. Nous mettons à la disposition de nos clients des conditions tarifaires privilégiées, des services logistiques adaptés pour assurer des livraisons rapides, et nous développons tout le pan marketing. Cela va de l’aide à la composition de l’assortiment d’implantation d’un rayon papeterie à son agencement au sein du magasin, en passant par son animation par des opérations commerciales ponctuelles. Nous créons aussi des catalogues ou des tracts que les libraires fourniront à leurs propres clients, écoles, collèges ou entreprises. Mais je tiens à souligner que notre système ne s’apparente pas à une franchise. Nous sommes beaucoup plus souples, nos adhérents n’ayant aucune obligation. On propose, le libraire dispose. Par ailleurs, nous nous effaçons derrière l’enseigne du libraire de façon à devenir transparents pour le consommateur final.

Les libraires, désormais mûrs pour s’ouvrir à la diversification, constituent un de nos axes de développement pour les prochaines années. Dans la foulée d’un travail de prospection, nous avons par exemple conçu pour eux un "espace cadeau". C’est un module clés en main adapté au contexte économique du magasin avec un assortiment type d’articles cadeau à mettre en place. A la portée de toutes les bourses, le concept véhicule nos plus grandes marques et apporte une réelle valeur ajoutée. Commencée début juillet, l’opération a déjà séduit une vingtaine de nouveaux clients.

Librairie : plus de chiffre d’affaires, plus de marge

 

Trois expériences récentes de libraires dans la Loire, à Paris et à Epernay permettent de préciser les conditions d’une diversification réussie dans la papeterie.

 

Photo OLIVIER DION

Si Gilbert Castellino a implanté le 8 décembre 2012 dans sa librairie Bleue comme une orange, à La Talaudière (Loire), un rayon papeterie, c’est d’abord pour dépanner la clientèle. Catherine Rigon, elle, a ouvert en avril 2013, avec la participation financière de la librairie Atout Livre (Paris 12e) et en face de celle-ci, où elle officiait depuis plus de dix ans, le magasin Couleur papier parce que, excepté un Monoprix, il n’y avait plus d’offre dans le quartier. Sylvain Daniel, qui dirige L’Apostrophe à Epernay (51), a profité de son côté de l’abandon de la presse début 2012 pour redéployer le rayon papeterie, présent historiquement dans sa librairie. Mais ces trois expériences différentes débouchent toutes sur le même constat : bien gérée et joliment théâtralisée, la papeterie se révèle pour le libraire un heureux complément, qui fait grimper son chiffre d’affaires et augmenter sa marge globale.

Mettre en scène

Concernant l’agencement, Catherine Rigon a choisi de diviser les 50 m2 de son magasin en deux parties bien distinctes pour accueillir d’un côté la papeterie utilitaire et scolaire, et de l’autre les gammes fantaisie, complétées d’un choix de petits objets de décoration et de beaux stylos. Au fil du temps et de l’augmentation de la largeur de son rayon, Gilbert Castellino a opéré la même combinaison entre papeterie traditionnelle et papeterie dite d’ambiance. Son rayon occupe désormais 8 mètres linéaires sur 1,50 mètre de large et 2 mètres de hauteur. Il n’y a pas d’exposition sur table, mais chaque meuble est modulable. "La mise en scène doit jouer sur l’esthétisme pour marquer la différence ; nous nous devons d’être inventifs sur ce plan", souligne le libraire. A L’Apostrophe, Sylvain Daniel a consacré à la papeterie, au fond du magasin, 40 m2 qui forment une espèce de "corner". Ici, les deux types de papeterie sont réunis pour laisser une large place aux jeux et aux jouets. Occupant un peu plus d’un dixième de la surface totale, la papeterie apporte environ 7,5 % du chiffre d’affaires, soit 90 000 euros pour un CA total de 1,198 million d’euros. Chez Gilbert Castellino, la proportion augmente jusqu’à 20 % du CA total, fixé à 225 000 euros, pour un poids financier de stock équivalent. Couleur papier a, pour sa première année, réalisé un CA de 135 000 euros, atteignant presque le prévisionnel établi à 150 000 euros. "L’apport de chiffre d’affaires complémentaire par la papeterie n’est pas négligeable et m’a permis de compenser la suppression de la presse, souligne Sylvain Daniel. Mais pour cela, elle doit être bien achetée et bien gérée. A ces conditions, elle assure une meilleure rentabilité au mètre carré que le livre : elle prend moins de place et dégage plus de chiffre. Ici, 2 mètres carrés de papeterie me paient mon loyer. Je n’ai même pas calculé combien de mètres de livres il me faudrait pour cela."

Bien gérer ses stocks

L’achat et la gestion des stocks constituent en effet le nerf de la guerre. Et pour les trois libraires, cela ne peut se faire sans une excellente connaissance de la zone de chalandise, de la concurrence, de la clientèle et de son pouvoir d’achat. De l’analyse de ces données découle le calcul du potentiel de vente, donc la fixation de quantités justes et de prix qui ne découragent pas les clients tout en préservant la marge brute, qui oscille entre 40 et 55 %. "L’important n’est pas tant d’arracher l’impossible à un représentant ou à un fournisseur, mais d’acheter au plus juste pour écouler correctement la marchandise. Une fois que l’on maîtrise ces données, on peut réellement négocier", témoigne Sylvain Daniel. Le libraire préfère également "trouver des interlocuteurs qui soient peu ou prou de la même taille que la librairie, souvent plus souples commercialement que les gros papetiers, qui imposent des conditions impossibles à atteindre pour des structures comme L’Apostrophe". Un minimum de commandes et le franco de port régissent en effet l’achat de papeterie, un système que son confrère de La Talaudière qualifie volontiers de "cruel".

Se différencier

Gilbert Castellino mise aussi sur la différenciation, conçue comme un enjeu capital. "Il faut sélectionner des articles différents de la concurrence et surtout des grandes surfaces, aller au-delà des basiques et privilégier la qualité", assure le libraire. Par ailleurs, la papeterie d’ambiance étant soumise à de forts effets de mode, le libraire reste attentif à varier régulièrement ses références et à ne pas trop se charger en privilégiant les petites commandes. Un savant équilibre qui, pour être atteint, "nécessite tout de même du temps", pointe Catherine Rigon. Le temps aussi pour les libraires d’appréhender ce métier de papetier qu’ils apprennent en général sur le terrain et sans vraiment de formation.


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