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Dossier : manga virus

Olivier Dion

Dossier : manga virus

Pour contourner les difficultés d’un marché en retrait depuis trois ans, les éditeurs de bande dessinée japonaise et asiatique soignent leurs nouveautés en développant pour elles marketing viral, bandes-annonces ou cross-promotion et en diffusant des livrets de prépublications. Des techniques qui donneront leur pleine mesure avec les gros lancements prévus pour Japan Expo, qui attend quelque 230 000 fans du 2 au 6 juillet.

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Par Anne-Laure Walter
Créé le 20.06.2014 à 02h32 ,
Mis à jour le 20.06.2014 à 11h38

Dans un monde dévasté… où la vermine pullule." Ce message, en blanc sur fond noir vient interrompre un jeu japonais azimuté sur la chaîne de télévision du câble J-One. Ce spot de publicité dévoile l’intrigue de Cagaster, la nouvelle série manga de Glénat, lancée le 2 juillet. Le manga se montre à la télévision mais aussi dans les transports en commun. Au Noël dernier, les Parisiens pouvaient découvrir, dans les couloirs du métro, la campagne Assassination Classroom, Hunter × Hunter et Naruto de Kana, jouxtant les affiches 4×3 faisant rêver à des vacances au soleil. Les éditeurs de manga s’immiscent jusque dans les salles obscures : installé devant le dernier X-Men ou le retour de Godzilla, on a de fortes chances de découvrir entre les spots "Oasis Be Fruit" et "M&M’s" la bande annonce de Dragon quest : emblem of Roto, manga pour les adolescents édité à la fin mai par Ki-oon. "Le shonen constitue le blockbuster du manga, et il est normal de le montrer au public venu voir des films comme X-Men ou Godzilla, estime Ahmed Agne, le cofondateur de la maison. Avant, le renouvellement du lectorat se faisait naturellement par la télévision avec la diffusion des dessins animés sur les grandes chaînes. Aujourd’hui, comme les animés sont diffusés sur le câble, il faut aller chercher les lecteurs, jeunes et adultes, partout où ils se trouvent."

"Aujourd’hui, comme les animés sont diffusés sur le câble, il faut aller chercher les lecteurs, jeunes et adultes, partout où ils se trouvent." Ahmed Agne, Ki-oon- Photo OLIVIER DION

Les dégâts du scan-trad

Pendant de nombreuses années, la bande dessinée japonaise se vendait toute seule, sans qu’il y ait besoin de communiquer énormément sur les sorties. La France rattrapait son retard dans la publication des best-sellers du manga. Le public était avide et captif. Avec, en 2013, près de 1 700 nouveautés et un marché devenu mature, le marketing devient indispensable pour attirer les lecteurs. "Lorsque j’étais libraire, j’ai vu trop de titres sortir sans aucun soutien promotionnel, se souvient Sam Souibgui, qui a monté l’an passé Komikku éditions. Ils arrivaient sur la table des nouveautés, personne n’en avait entendu parler et, deux mois plus tard, ils repartaient en retour chez le diffuseur après des ventes médiocres.Pour être dynamique, le marché doit, selon moi, être soutenu par des acteurs qui le portent et non qui le suivent", plaide-t-il.

"Nous sommes l’un des premiers éditeurs de manga à avoir communiqué via des interstitiels sur des sites clés comme Manga-news, pour Biorg trinity." Mehdi Benrabah, Kazé- Photo OLIVIER DION

Avec une activité du rayon fragilisée pour la troisième année consécutive, et qui s’inscrit encore, d’après Ipsos, à - 7,4 % en valeur depuis le début d’année, il est toutefois difficile de convaincre un contrôleur de gestion d’investir dans ce secteur. Seules les ventes de seinen (manga pour public plus adulte que la cible classique) ont timidement progressé en 2013. Les ventes des shonen (livres pour garçons), cœur du marché, s’érodent même pour les blockbusters tels Naruto (Kana), One piece (Glénat) et Fairy tail (Pika). L’activité du fonds s’effondre. "Son manque de tenue est au cœur de nos angoisses, admet Stéphane Ferrand, directeur de la branche manga de Glénat. Force est de constater que les fonds sont désormais vieux et lourds." Par ailleurs, malgré les nombreuses initiatives prises pour développer l’offre légale de manga numérique, le piratage reste très puissant et très organisé. Le P-DG de Pika, Alain Kahn, tient le scan-trad (planches scannées dans les magazines de prépublications japonais et traduites immédiatement en français), circulant sur Internet, pour responsable de la crise actuelle du rayon. "Le scan-trad détruit la librairie française de manga et de bande dessinée", affirme-t-il.

Généralement, le budget marketing et communication d’un lancement manga représente 3 à 7 % du chiffre d’affaires attendu. Les efforts se focalisent sur quelques séries porteuses. "L’investissement est indexé sur la croissance de la collection", explique Arnaud Plumeri, directeur de Doki-doki. Comme le label manga de Bamboo se porte bien cette année (+ 11,6 % depuis janvier), l’enveloppe grossit légèrement. Mais étant donné que généralement les ventes moyennes au titre baissent, les investissements de la plupart des maisons sont moins soutenus. "Nous sommes complètement à contre-courant du marché car nous avons la chance d’être indépendant, sans contrôleur de gestion, explique Ahmed Agne pour Ki-oon, dont le chiffre d’affaires a augmenté de 15 % en 2013 et dont le budget marketing est en constante progression. Je ne me suis jamais enfermé dans le schéma selon lequel le budget marketing doit représenter 4 % des ventes projetées car, pour des titres comme Bride stories (30 000 ventes pour le premier tome) ou Ad Astra, on pouvait ambitionner au mieux 10 000 ventes, donc une page de pub dans un magazine spécialisé. Il faut surinvestir, faire des paris sur certains titres." Pour lancer en janvier Animal kingdom, qui cible les futurs lecteurs, l’éditeur a dû développer, en plus du marketing habituel pour le public du manga, une campagne de publicité à la télé sur Disney Channel, et il en a publié un chapitre dans LeJournal de Mickey. "C’est un gros investissement mais le public de ce titre, proche dans ses thématiques du Livre de la jungle, est là", justifie-t-il.

L’appel de la vidéo

De plus en plus d’éditeurs pensent leur marketing sous forme de films. "Depuis un an, l’irruption massive de vidéos, de bandes-annonces que l’on incruste dans les pavés classiques, s’est systématisée, avec un travail marketing qui rappelle celui du jeu vidéo : c’est la transformation majeure survenue dans la communication autour du manga", observe Renaud Dayen, le directeur commercial de Manga-news, un site spécialisé dans la bande dessinée japonaise qui est un relais de communication essentiel pour les éditeurs du secteur avec ses 400 000 visiteurs par mois pour 4 millions de pages vues. Le format interstitiel, qui permet d’afficher la vidéo en plein écran avant la consultation de la page Web demandée, est particulièrement prisé. "Si un gros lancement sur deux était annoncé en 2013 par une bande-annonce, en 2014, ce sera plus deux sur trois", prévoit-il.

Les éditeurs confient à des sociétés extérieures la réalisation de ces trailers, qui représentent un budget important, dégagé pour les séries à fort potentiel. "Les bandes-annonces se prêtent particulièrement bien aux titres d’action", explique Grégoire Hellot, le directeur du label manga d’Univers Poche, Kurokawa, qui en a commandé une pour Crimson wolf, lancé en avril, et une pour Red eyes sword - Akame ga kill !, sa série événement de la rentrée. Depuis la fin de 2009, Kazé, la filiale française des géants japonais Shueisha et Shogakukan, propose des bandes-annonces visibles sur son site. "Nous sommes l’un des premiers éditeurs de manga à avoir communiqué via des interstitiels sur des sites clés comme Manga-news, pour Biorg trinity. Aujourd’hui, nous sommes revenus à une campagne de bande-annonce cinéma produite tout spécialement pour le grand écran", précise Mehdi Benrabah, le directeur éditorial de Kazé. Pour le lancement, le 25 juin, d’All you need is kill, tiré d’un roman qui a donné l’adaptation au cinéma Edge of tomorrow, le trailer sera diffusé avant le film du spécialiste de l’action effrénée Doug Liman avec Tom Cruise, et rejoint les autres bandes-annonces sur l’espace dédié du site Internet de la maison. De plus, Kazé s’est associé à Warner pour lancer un concours avec un séjour à Londres offert et la possibilité pour le gagnant de rejouer une scène du film.

Plum ou prochainement Prison school, chez Soleil, bénéficient d’une bande-annonce tout comme, chez Delcourt, Shojo relook puis Urban rivals, dont le spot sera aussi diffusé sur la chaîne Game One, partenaire du lancement. "Nos vidéos ont plusieurs usages : elles permettent une présentation aux équipes de diffusion en amont, de la communication virale, de la publicité…", souligne, chez Pika, Alain Kahn. Pour lancer, le 25 juin, Area D, un manga "survival fantastic", Pika diffusera le trailer sur la chaîne SciFi, partenaire du lancement. Même Stéphane Duval, le fondateur du Lézard noir, qui n’a pas d’attaché de presse, mise sur ce mode de communication pour les publications importantes comme l’anthologie Sex and fury de Bonten Taro, ou Eros X SF de Shotaro Ishinomori en septembre, puis Les femmes de la constellation de Miyako Maki. "Je ne fais pas forcément à chaque fois des teasers, mais pour ceux-là je l’ai fait car cela amplifie l’annonce, cela montre l’importance de ces titres", explique-t-il. Chez Ki-oon, Ahmed Agne confirme que "la bande-annonce est au cœur de notre stratégie. Son story-board est très travaillé car elle est destinée à plusieurs supports : télévision, cinéma, site Web, YouTube, Ki-oon TV sur notre site." D’ailleurs, cet éditeur est l’un des seuls à faire appel à des comédiens pour faire des voix off sur le film. "Nous développons surtout des vidéos ciblées sur des sites de partage de vidéos, poursuit l’éditeur. Pour Assassins creed, qui s’adresse au public du jeu vidéo, nous mettons sur YouTube notre publicité en prévidéo avant celle recherchée sur le jeu, ce qui nous permet d’avoir un taux d’écoute très élevé, pile dans la cible."

 

Tous sur les réseaux

"Par rapport au public de la bande dessinée franco-belge, les lecteurs de manga sont bien plus proactifs, les réseaux marchent bien, c’est un bon levier." Perrine Baschieri, Delcourt Manga et Tonkam- Photo OLIVIER DION

Les bandes-annonces s’adaptent particulièrement au support d’Internet, elles peuvent être partagées et diffusées. Sur YouTube, on trouve désormais des chaînes Ankama TV, Kazé TV, Glénat BD, Delcourt, Komikku ou Tonkam, car le marketing viral reste primordial pour ce public particulièrement connecté. "Par rapport au public de la bande dessinée franco-belge, les lecteurs de manga sont bien plus proactifs, les réseaux marchent bien, c’est un bon levier", constate Perrine Baschieri, la responsable marketing de Delcourt Manga et de Tonkam, ex-filiale désormais intégrée à Delcourt comme une collection. Les éditeurs refont régulièrement leur site Internet et créent des postes pour s’occuper des réseaux sociaux. Un community manager vient d’être embauché chez Kana, un autre arrive en septembre chez Casterman. Soleil a créé ce poste l’an passé et, depuis, le nombre de fans qui suivent la page Facebook a été multiplié par dix. "Notre cœur de cible est sur Facebook", affirme Iker Bilbao, responsable éditorial de Soleil Manga. En janvier, une page Delcourt Manga a été lancée sur les réseaux sociaux, un community manager vient d’arriver et une chaîne YouTube a été créée. Des mini-sites sont même pensés pour les grosses séries comme Food wars (septembre).

En plus de son site éditeur, Kurokawa communique en direct avec ses lecteurs au moyen d’un blog (le kuroblog), de Facebook depuis 2009 et de Twitter depuis 2010. "Il s’agit de dialoguer de manière encore plus active avec la communauté des fans, précise Grégoire Hellot. Kurokawa est un éditeur très dynamique sur les réseaux sociaux et a effectivement une community manager depuis plusieurs années. En plus de l’actualité de nos publications, nous profitons de notre position d’éditeur bilingue pour apporter des informations exclusives en direct du Japon."

Pour multiplier les partages d’information sur les réseaux, beaucoup d’éditeurs essaient de mettre en place des stratégies de cross-média, qui surfent sur les synergies entre les différents supports de la création japonaise : manga, dessin animé, jeu vidéo… "Nous avons la chance d’être à la fois éditeur de manga et de DVD, et nous possédons un site de vidéo à la demande ADN créé en partenariat avec Kana", se félicite Mehdi Benrabah chez Kazé. Cette plateforme, destinée à endiguer le piratage, permet de voir les dessins animés, sous-titrés, juste après leur diffusion au Japon (le simulcast). Ainsi le manga Kuroko’s basket, paru en 2012, est relancé par la sortie du DVD en juin et de la diffusion de la saison 2 en simulcast avec le Japon sur la plateforme ADN, puis sur la chaîne de télé J-One. Pour compléter le dispositif, l’éditeur a trouvé un ambassadeur de basket professionnel (le sujet du manga), Antoine Diot, qui vient d’être élu meilleur joueur français de basket de l’année 2013-2014. Kazé avait aussi mené un partenariat avec la Fédération française de volley-ball pour Haikyu !! et Delcourt s’associe à une personnalité, Celian Varini, le présentateur du catch en France, pour le lancement de son manga sur ce sport : Lock up.

Christel Hoolans, la directrice éditoriale de Kana, s’oriente aussi vers "une stratégie à 360 degrés permettant de travailler la licence complète, quand on a la chance d’avoir des licences développées sur plusieurs supports". Ainsi Witchcraft works a été lancé en janvier à la fois en manga et en simulcast sur ADN et J-One. "Nous gagnons en visibilité en touchant un public plus large, sur une durée plus longue par ces passerelles entre les supports." Les ponts avec les jeux se font naturellement. Ankama, qui a créé Dofus à partir d’un jeu en ligne, créera en septembre un jeu de rôles adapté de son manga City hall. Tonkam redéploie tout l’univers de Jojo en éditant en juillet Phantom blood, première partie de la série JoJo’s bizarre adventure, et en s’appuyant sur Bandai qui promeut le jeu pour PlayStation et Crunchyroll, site de streaming, qui diffuse le dessin animé. "Nous jouons au maximum la cross-promotion", assume Perrine Baschieri qui, par ailleurs, pour le lancement d’Urban rivals, inspiré d’un jeu vidéo en ligne qui réunit 3 millions de joueurs, a inséré dans le manga un code qui donne accès à un personnage du jeu. Dans cette même idée de toucher à la fois les mangavores et les gamers, Ki-oon a noué un partenariat avec Ubisoft qui permet d’offrir au lecteur d’Assassins creed un code de téléchargement donnant accès à une arme exclusive dans le jeu vidéo. Même type d’initiative pour Kurokawa qui a imprimé à la fin du volume Pokémon noir & blanc des QR-codes permettant aux lecteurs de visualiser des Pokémon en 3D sur une console.

Travail de terrain

Mais ce marketing viral ne dispense pas d’un vrai travail de terrain dans les points de vente, qui passe par de la PLV, des tournées d’auteurs en librairie mais aussi, plus récemment, par la diffusion d’épreuves au moins cinq mois avant la parution, ou du moins de booklets, plaquettes reproduisant un chapitre. "Dans un marché sinistré par le scan-trad, le rôle d’un éditeur est de sortir des titres forts portés par un marketing à destination des libraires", martèle Alain Kahn qui, dès novembre dernier, diffusait les épreuves de Seven deadly sins, paru en mars entouré d’une grosse PLV, d’un concours de vitrine et de la distribution de booklets. "La réponse à un marché difficile est l’anticipation, c’est donc une course contre la montre, confirme Wladimir Labaere, chargé du manga chez Casterman. Nous essayons de coller aux sorties japonaises et, depuis l’arrivée de Benoît Mouchart et Charlotte Gallimard, de travailler les titres, notamment en donnant des épreuves aux représentants cinq ou six mois en amont." Pour Wet moon, une série proche de l’univers de Twin Peaks, qui s’adresse à un public plus large que celui du manga et dont l’auteur était présent à Angoulême, les représentants ont pu lire des éléments dès la rentrée 2013, et ils disposent des épreuves du dernier tome qui paraîtra en septembre. Des plaquettes reproduisant le premier chapitre de La cité des esclaves seront distribuées en librairie pour attirer des lecteurs vers ce récit de survie, à paraître en septembre chez "Sakka", qui était un label et devient une collection de Casterman. "Depuis plusieurs années, nous accompagnons systématiquement nos nouvelles séries des bandes-annonces vidéo, mais aussi de livrets d’extraits en librairie", appuie Arnaud Plumeri chez Doki-doki, qui a appliqué la recette pour Mr. Nobody, en trois volumes publiés entre mai et septembre, "un type de série qui contribue à amener un autre type de public au manga, comme c’est le cas pour Les gouttes de Dieu, estime l’éditeur. Nous avons d’ailleurs fait un traitement type roman poche-polar pour ce titre, comme l’atteste le bandeau qui accompagne sa couverture."

Chez Delcourt, l’événement de fin d’année sera le retour de Natsuki Takaya, reine du shojo et auteure de Fruits basket, avec en novembre Liselotte et la forêt des sorcières, accompagné de la distribution de livrets de prépublications imprimés à plus de 20 000 exemplaires. Kurokawa a prévu pour le seinen Red eyes sword - Akame ga kill !, programmé le 11 septembre, une triple prépublication : prépublication à la suite du dernier tome de Soul eater (parution juillet) ; extraits disponibles en librairie (août) ; et enfin extraits on-line quelques semaines avant parution.

S’affranchir du Japon

Bandes-annonces ou distribution de booklets sont des techniques de communication depuis longtemps éprouvées par les éditeurs de bande dessinée franco-belges ou de comics, mais elles n’arrivent que récemment dans le manga. En cause, la réticence des éditeurs japonais, cessionnaires de droits. "Il y a des choses très simples à faire en termes de marketing et que nous avons mis longtemps à faire à cause des questions de copyrights des détenteurs de droits japonais, explique Christel Hoolans. Mais les choses s’assouplissent aujourd’hui." La difficulté du marché mais aussi des collaborations de longue durée ont permis aux éditeurs français de faire céder un peu leurs homologues japonais sur la diffusion du manga numérique ainsi que sur les moyens promotionnels. Cependant, pour Soleil Manga, par exemple, qui s’est initié aux bandes-annonces en octobre dernier avec Cage of Eden et en prépare une pour Prison school le 2 juillet, la négociation a été possible mais dans le cadre de la promotion, limitée dans le temps et uniquement sur des canaux dont l’éditeur contrôle la diffusion.

Pour s’affranchir de cette dépendance à l’égard des éditeurs japonais, plusieurs maisons françaises s’essaient à la création. Pika vient de publier le tome 14 de Dreamland de Reno Lemaire. Ankama produit Dofus ou City hall, Delcourt Urban rivals, ou Kana Save me pythie. Dans ces cas, plus de limites dans les goodies et autres outils promotionnels, ni dans la communication, les photos des auteurs, les interviews. Autre possibilité, comme Glénat y est parvenu : acquérir la licence pour les produits dérivés. La maison française a négocié auprès de Kodansha la licence merchandising et audiovisuelle Chi : une vie de chat. "De fait, nous avons développé cette fois la licence et non le manga seul. C’est un cas unique pour nous, mais qui marche très bien", précise Stéphane Ferrand. L’étape suivante consiste à travailler avec des mangakas non édités dans leur pays. Ki-oon s’est lancé il y a dix ans : à défaut de se voir ouvrir les portes des majors japonais pour leur acheter des droits, les fondateurs, Ahmed Agne et Cécile Pournin, parlant le japonais, rapportent du Comiket, immense salon du manga indépendant, près de 300 doujinshi, des fanzines en noir et blanc d’une trentaine de pages souvent autoédités. Fan de fantasy, ils sont séduits par Element line de Mamiya Takizaki. Ils l’éditent directement en français. Ils renouvelleront l’expérience avec Tetsuya Tsutsui - qui deviendra un de leurs auteurs phares - après avoir découvert par hasard sur le Web l’intégralité de Duds hunt.

Poursuivant la piste de la création immédiate, Ahmed Agne espère que dans dix ans la part d’achats de droits pour son catalogue aura diminué de moitié. Chez Casterman, qui avait déjà collaboré sans intermédiaire avec Jiro Taniguchi, Wladimir Labaere travaille actuellement sur deux projets avec des mangakas. Et dès juillet, Glénat présentera son premier manga réalisé directement avec une auteure japonaise. L’une de ses éditrices, Satoko Inata, a découvert Kachou Hashimoto, autopubliée sur Internet, et a travaillé avec elle sur les six volumes à paraître de Cagaster. "C’est l’occasion pour nous de mettre en place un processus de marketing ample, puisqu’il n’y a pas d’éditeur japonais pour nous interdire de faire ceci ou cela, précise Stéphane Ferrand. Tout ici est vu directement avec l’auteur, et, du coup, le processus est ambitieux et innovant" Une bande-annonce a été réalisée et est présentée sur le site, sur les réseaux sociaux chez les partenaires Web, et un booklet a été diffusé dès juin. En avril, à l’occasion du festival d’animation de Tokyo, des équipes françaises se sont déplacées pour des interviews, avec la liberté de poser des questions à l’auteure sur sa vie et même sur la société japonaise. Ce type d’interview est généralement impossible pour les mangakas envoyés par les maisons d’édition japonaises. L’auteure viendra faire une tournée en France au moment de Japan Expo, dédicacera, fera une master class et acceptera même de poser pour des photos. Un pas de géant en termes de communication que ne manqueront pas d’apprécier les fans français, habitués à des codes bien plus verrouillés.

Le manga en chiffres

Trois nouveaux éditeurs

 

Les nouvelles maisons créées depuis moins d’un an témoignent de l’élargissement du champ de la bande dessinée asiatique, qui ne se limite plus au shonen et au shojo.

 

De belles bandes-annonces, des interviews vidéo, des prépublications sur un site dédié, des partenariats…, Dominique Véret n’est pas un novice. Fondateur d’Akata, longtemps label manga de Delcourt, il a pris son indépendance avec, pour diffuseur, Interforum. Après avoir publié dès septembre 2013, en avant-première, Seediq Bale, les guerriers de l’arc-en-ciel, du Taïwanais Row-long Chiu, il a réellement lancé son catalogue le 1er janvier 2014, avec un manhwa très bio, Moi, jardinier citadin, de Min-ho Choi. Le 28 juin, il lance une collection "WTF ? !", à savoir "What the fuck !", à la ligne peu explicite, inaugurée par deux titres : Magical girl of the end, qui revisite les traditionnelles magical girls à la sauce zombie, et Daisy, qui aborde les conséquences du tsunami de 2011. En 2015, l’éditeur espère arriver à un rythme de cinq livres par mois.

Si Akata essaie de donner une image de la diversité de la création asiatique, Isan Manga, lancé il y a un an, a choisi un positionnement haut de gamme, avec des titres cartonnés vendus autour de 20 euros, mettant en valeur le patrimoine de la bande dessinée japonaise. Créé par Karim Talbi, qui a débuté sa carrière dans l’édition en 2005 comme maquettiste, la maison repose sur les contacts d’Etienne Barral, installé à Tokyo. Le 18 juin dernier, l’éditeur a publié un inédit d’Osamu Tezuka, La nouvelle île au trésor. Il annonce sept à dix titres en 2014, dont l’intégrale du manga à l’origine du dessin animé, Judo boy : Kurenai Sanshiro.

Enfin, le dernier arrivé n’est pas non plus un novice dans l’édition : PIE Books est une maison japonaise qui existe depuis 1985, mais qui est arrivée le 1er avril en diffusion chez Interart. Spécialisé dans les livres illustrés, PIE Books a édité le 20 mai un grand format qui reprend toutes les affiches de Katsuhiro Otomo, le créateur d’Akira. Pour soutenir le lancement en France d’Otomo Posters, vendu 62 euros, l’éditeur a envoyé des affiches originales de l’artiste pour une vitrine chez Junku et une petite exposition au Manga Space.

Les 50 meilleures ventes mangas janvier-mai 2014: concentrées, mais moins polarisées

Les meilleures ventes du rayon manga restent toujours aussi concentrées sur quelques titres. Pour la période de janvier à mai 2014, elles se répartissent sur 14 séries publiées par six éditeurs, soit un de plus que l’an passé à la même période. Cependant, la polarisation vers les trois blockbusters que sont One piece, Fairy tail et Naruto se fait moins forte puisque, en cumulé, ces gros vendeurs ne représentent plus que 60 % des titres du classement contre 80 % l’an passé à la même période.

Plusieurs nouvelles séries émergent et pourraient prendre le relais. Deux séries lancées par Pika dans les douze derniers mois parviennent à s’installer dans le classement : Seven deadly sins avec deux volumes dans le palmarès, et L’attaque des titans avec trois opus. Autre série récente, King’s game, qui a débuté en France en 2013, conserve trois volumes dans le palmarès. Son éditeur, Ki-oon, gagne d’ailleurs encore un peu de terrain avec cinq titres dans le palmarès contre trois l’an passé. Kurokawa n’a plus qu’un titre, Saint seiya, en 38e position, et Akileos fait son entrée dans le Top 50 avec le 3e volume d’Amour sucré, au 33e rang.


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