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Dossier Loisirs créatifs : un marché façon puzzle

Olivier Dion

Dossier Loisirs créatifs : un marché façon puzzle

Sans tendances fortes pour stimuler les ventes, le marché des livres de loisirs créatifs s’éparpille. Les éditeurs cherchent l’inspiration dans des segments délaissés au profit du coloriage, tels les beaux-arts, tout en se réappropriant les valeurs sûres avec des ouvrages de référence plus élaborés techniquement.

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Par Cécile Charonnat
Créé le 16.09.2016 à 01h30 ,
Mis à jour le 16.09.2016 à 10h54

Il y a eu les perles, les bracelets "Loom", les coloriages, et puis… rien. Depuis l’été 2015, le marché des livres de loisirs créatifs manque de couleurs, et surtout d’une locomotive capable d’émoustiller les éditeurs et d’emballer les chiffres de ventes. Toutefois, malgré cette absence, l’activité est parvenue à renouer avec la croissance, grâce notamment aux beaux-arts. La période août 2015-juillet 2016 enregistre, selon GFK, un encourageant 2,9 % en valeur. "Certes, il n’y a pas de phénomène, donc pas de ventes extraordinaires, mais pas de catastrophe non plus", se félicite Tatiana Delesalle, directrice éditoriale du pôle pratique adulte chez Fleurus-Mango.

"Nous n’en sommes plus aux grands apprentissages. Les lectrices ont acquis une technique assez affutée et picorent beaucoup sur Internet."Sylvie Cattaneo-Naves, Dessain et Tolra - Photo OLIVIER DION

Sans mode sur laquelle surfer, les éditeurs conçoivent en 2016 une production morcelée, qui balance entre des marchés de niche que chacun teste selon ses appétences, comme la création de mobilier ou la sculpture sur bois, et des thématiques ultraclassiques, faisant office de valeurs sûres et déjà à l’honneur il y a cinq ans, tels l’origami ou la couture. Sont aussi privilégiés les bibles et les livres plus chers qui proposent des modèles ou des techniques plus élaborés. "Nous n’en sommes plus aux grands apprentissages, souligne Sylvie Cattaneo-Naves, directrice éditoriale de Dessain et Tolra. Les lectrices ont acquis une technique assez affutée et picorent beaucoup sur Internet. Aux éditeurs d’être une force de proposition et d’apporter une offre très pensée et qualitative."

"Certes, il n’y a pas de phénomène, donc pas de ventes extraordinaires, mais pas de catastrophe non plus."Tatiana Delesalle, fleurus-mango- Photo OLIVIER DION

Eduquer l’œil des gens

Arrivée sur le marché l’année dernière, La Plage s’inscrit dans cette stratégie en commercialisant en octobre un ambitieux Coudre. De la compréhension et du perfectionnement de la fabrication des vêtements à l’éducation au stylisme, les grands principes des couturiers y sont dévoilés sur 352 pages pour "éduquer l’œil des gens qui font déjà de la couture et les inciter à développer leur créativité", explique Laurence Auger, directrice éditoriale de la maison.

"Le marché du coloriage est en train d’adopter un comportement identique à celui des jeux comme le sudoku, où la demande reste pérenne. A nous de l’animer avec des formats, sujets et façonnages différents."Anne Le Meur, Hachette Pratique- Photo OLIVIER DION

Positionné sur un traitement plus grand public, Hachette Pratique a aussi choisi de sortir de ses cartons des bibles "qui manquaient au catalogue", estime Céline Le Lamer, directrice de projets loisirs créatifs d’Hachette Pratique. En juillet, les libraires ont donc vu arriver La bible des bijoux, suivie en août de La bible du tricot et de La bible du papier par Fifi Mandirac, trois ouvrages au traitement graphique adapté à l’air du temps, marqué notamment par de grands aplats de couleurs. Côté couture, Simplissime : le livre de couture le plus facile du monde, de la créatrice Stéphanie Colin et de Sandrine Mallet (septembre), devrait faire office de livre de chevet pour toutes les couturières débutantes. Fondé sur quatre points, avec ou sans machine, le livre propose 125 modèles et pourra être décliné si les ventes suivent le même chemin que son grand frère du secteur cuisine, sur lequel il est entièrement calqué. Parallèlement, l’éditrice freine "Les petits ateliers", sa collection de tendances à prix modiques dont les ventes restent modestes en France malgré de bons scores à l’étranger.

Ralentir le rythme

La stratégie est assez proche chez Eyrolles qui ralentit le rythme de "Qu’est-ce que tu fais de beau ?", une collection à 10,90 euros dont la rentabilité reste difficile à trouver, pour creuser la veine de la professionnalisation des créatrices et des ouvrages offrant des techniques plus pointues. La collection "Blogueuses créatives" s’enrichit ainsi en septembre de Créer sa boutique couture en ligne. Pour compléter, la maison publie à la même date Créer et animer des ateliers couture, qui délivre des conseils sur la construction d’une démarche pédagogique, des programmes types et des expériences de passionnées de coutures déjà lancées dans l’aventure. Toujours en septembre, L’ajustement de patrons de couture offre la patte professionnelle d’Eyrolles sur une thématique - les patrons - traitée par les autres éditeurs plutôt sous un angle grand public. Marie Claire, a simplifié à l’extrême les techniques de l’école américaine Parsons pour que les 12 modèles et patrons proposés dans Mon cours de style"soient réalisables chez soi", note Thierry Lamarre, directeur de la diversification de Marie Claire Idées. Inspiration et facilité de réalisation président également à la conception de deux nouvelles séries de Dessain et Tolra. Classiques, les quatre titres de "Ma pochette patron Modes & travaux" sont parus en mai alors qu’en septembre arrivent les quatre références de "C’est moi le patron" de Coralie Bijasson, une créatrice qui commercialise sur Internet ses "modèles déclinables et faciles à porter pour un public jeune et tendance", observe Sylvie Cattaneo-Naves.

Moderniser la production

Sans négliger les livres d’inspiration tel Ma garde-robe à coudre pour toute l’année de Charlotte Auzou, qui proposera en octobre chez Mango 25 modèles et accessoires pour les quatre saisons, Tatiana Delesalle, directrice éditoriale du pôle pratique adulte chez Fleurus-Mango, s’est attaquée cette année à la modernisation de tout un pan de sa production dédiée aux techniques dites traditionnelles, comme la céramique ou la poterie, délaissées depuis quelques années. "Ce sont des terrains où la concurrence est moins vive et où les amateurs ont réellement besoin d’un ouvrage", plaide-t-elle. Elle lancera également une offensive sur les beaux-arts en 2017, promettant notamment la relance de deux collections historiques "Les techniques du peintre", en sommeil depuis 2004, et "Les cahiers du peintre", stoppée en 2005. "C’est un petit segment qui va bien et où le nombre d’acteurs est réduit", argumente Tatiana Delesalle.

En outre, la programmation sur France 2 de l’émission-concours "A vos pinceaux", animée à la rentrée par Marianne James qui aiguise déjà les appétits, devrait contribuer à faire des beaux-arts l’axe éditorial fort de 2017. Déjà labouré depuis deux ans par Eyrolles, qui s’est constitué une gamme couvrant désormais tous les publics sur le dessin, le champ est également réinvesti par Dessain et Tolra. Sylvie Cattaneo-Naves a entrepris dès cette année un profond travail de rénovation des maquettes des livres dédiés au dessin, mais aussi à la peinture et à l’aquarelle, "épines dorsales de la maison", rappelle l’éditrice, tout en explorant des sujets plus pointus comme le dessin "kawaii" ou l’enluminure des lettres. Ces acteurs historiques seront rejoints en 2017 par les éditions de Saxe. Plus spécialisées dans les arts du fil, elles annoncent un renforcement de leur production en beaux-arts, confortées par le succès du livre de Mireille Cardon Les pigments, publié en juillet et qui constitue "l’une des meilleures mises en place de 2016", selon Viviane Rousset, qui dirige la maison.

Les petits prix dominent

Ces ouvrages bénéficieront aussi de la place laissée libre en librairie par le coloriage pour adultes, dont les "ventes s’écroulent. On atteint désormais un niveau qui relève du loisir créatif et non plus du phénomène", pointe Elisabeth Darets, directrice de Marabout, qui publie tout de même en novembre un nouveau livre de son auteure phare, Johanna Basford (Joyeux Noël !). Maintenu par une production dominée par les petits prix et les petits formats, le segment voit se contracter le nombre d’acteurs, Dessain et Tolra et Fleurus jetant progressivement l’éponge cette année.

"Le marché est en train d’adopter un comportement identique à celui des jeux comme le sudoku, où la demande reste pérenne. A nous de l’animer avec des formats, sujets et façonnages différents", insiste Anne Le Meur. Pour se diversifier et tenir, la directrice de la marque ombrelle d’Hachette Pratique, Art-thérapie, a notamment développé les licences, qui ont l’avantage d’être "non substituables et qui satisfont une large palette de publics".

La chute du coloriage ne signifie pas pour autant la fin de la thématique bien-être au rayon des loisirs créatifs. Au contraire, le sujet irrigue désormais l’ensemble des ouvrages. Soit par le choix des sujets - les doudous n’ont jamais eu autant la cote - , soit dans le traitement des livres qui peuvent être "agrémentés de conseil de posture ou qui expliquent en quoi faire une activité créatrice procure de la détente", analyse Tatiana Delesalle. En automne, arriveront sur les tables des librairies un coffret Origami zen (Mango), qui propose 20 pliages modulaires pour "la méditation et la détente", Tricothérapie (Flammarion), qui affirme que le tricot est "un nouveau yoga", ou La déco qui nous veut du bien (Eyrolles), un guide de "décothérapie" à la croisée du développement personnel, du bien-être et de la décoration. Ils côtoieront la décoration fait maison, une niche qui marie Do it yourself (DIY), couture et décoration et que les éditeurs ont largement explorée en fin d’année. Marie Claire publie ainsi J’apprends à coudre pour ma déco, Mango Le grand livre de la couture pour la maison, et Hachette Pratique Design it yourself, de Heju, le blog d’un couple d’architectes d’intérieur fraîchement sortis de l’école et qui proposent de faire du design avec un budget n’excédant pas les 50 euros. Avant, pronostique Emmanuelle Prot, qui dirige Créapassions, le grand retour en 2017 des perles et du tissage, une activité qui affole les réseaux sociaux.

Les loisirs créatifs en chiffres

L’effet blogueuses s’estompe

 

Si les blogs et les réseaux sociaux restent encore une bonne manière de repérer de nouveaux talents et de recruter des auteures en loisirs créatifs, les éditeurs, échaudés par quelques déconvenues, manifestent une certaine prudence.

 

"Elles sont moins à l’écoute de ce que veut l’éditeur, ont moins de souplesse et du mal à rentrer dans un cadre et un planning."Thierry Lamarre, éditions Marie Claire- Photo OLIVIER DION

Elles ont fait, au tournant des années 2010, les belles heures du marché des livres de loisirs créatifs, contribuant, par leur créativité et leur dynamisme, au dépoussiérage de la discipline et au renouvellement des ouvrages. Cinq ans plus tard, les blogueuses n’ont pourtant plus autant la cote, et désertent même certains programmes éditoriaux. "Nous sommes dans une sorte de repli", convient Tatiana Delesalle, directrice éditoriale du pôle pratique adulte chez Fleurus-Mango.

S’ils continuent de s’appuyer sur ce vivier, L’Inédite comptant ainsi y puiser quelques nouvelles signatures, les éditeurs procèdent désormais avec une certaine prudence. Confrontés à la surabondance, engendrée par un effet d’opportunité lié notamment à quelques belles histoires, ils ont été aussi échaudés par des ventes décevantes, et parfois des ego et des exigences "impossibles à gérer", reconnaît Tatiana Delesalle.

Les critères pour recruter une blogueuse sont donc devenus plus stricts. Derrière la blogueuse ou la youtubeuse, les éditeurs cherchent aujourd’hui la créatrice qui possède un style et une identité forte. La qualité technique des réalisations, l’animation d’ateliers, un nombre de suiveurs important et une interactivité riche avec leur communauté sont également scrutés. "Une fille avec un talent de créatrice, qui se sert de son blog ou des réseaux sociaux comme d’un outil, a un meilleur potentiel commercial que celle qui a un talent pour exploiter son image et dont le blog est une fin en soi", détaille la directrice éditoriale de Fleurus-Mango.

Former un auteur : une activité chronophage

De telles pépites sont d’autant plus difficiles à dénicher que les réseaux sociaux, qui supplantent désormais les blogs, ont explosé, entraînant une dilution des contenus et incitant davantage les amatrices de loisirs créatifs au copier-coller. "On y trouve tout et n’importe quoi, constate Emmanuelle Prot, fondatrice des éditions Créapassions et ancienne blogueuse. Mais surtout, la prime à l’aspect visuel qu’induit Instagram ou Pinterest favorise l’objet final bien ficelé, bien packagé, mais pas la création pure. L’exemple type reste le Do it yourself (DIY), qui est très propice à ce genre de réalisations jolies à voir mais qui, au final, ne produit rien de nouveau."

Autre effet provoqué par les réseaux sociaux : l’émergence de microtendances, "qui ne font pas un livre et encore moins des ventes", analyse Sylvie Cattanéo-Navès. La directrice éditoriale de Dessain et Tolra reconnaît en outre, comme ses confrères, que recruter des blogueuses est une activité chronophage et que la charge de travail éditorial pour les transformer en auteures reste très lourde. "Elles sont moins à l’écoute de ce que veut l’éditeur, ont moins de souplesse et du mal à rentrer dans un cadre et un planning", estime Thierry Lamarre, directeur de la diversification chez Marie Claire. D’autant que pour la plupart d’entre elles, le loisir créatif ne représente pas leur activité principale et qu’elles préfèrent vendre directement leurs réalisations ou leurs patrons sur Internet, qui constitue une meilleure source de profit. "Faire un livre reste certes une belle reconnaissance de notre travail, mais l’exercice manque de spontanéité et n’est guère payant", reconnaît Gaëlle Guérin, auteure de deux livres chez Tutti frutti.

Privilégier des livres haut de gamme

Dans son armada de blogueuses, Emmanuelle Prot n’aura ainsi finalement déniché que quelques auteures "pérennes" : Anne Alletto (six livres), Laëtitia Gheno (Laëtibricole, cinq livres) et Edwige Foissac (trois livres dont en septembre L’univers en couture de la Petite Cabane Mavada). Il en est de même aux éditions de Saxe, où Viviane Rousset travaille régulièrement avec Lindsey Tricot (six livres) et Isabelle Guiot-Hullot dont le troisième ouvrage, Poésie de papier en hiver, sort en octobre. L’éditrice a même mis en sommeil sa collection à petit prix "Secrets de blogueuses" lancée en 2013, pour privilégier des livres plus haut de gamme, tel Mes jolis sacs… mais pas que… d’Hélène Mora, commercialisé en novembre. "Les blogueuses ont envie de publier de beaux objets, avec un packaging qui a du chien, ce qui a aussi plus d’impact auprès de leurs suiveuses", témoigne Viviane Rousset, qui, parallèlement, teste un autre format pour tirer parti de leur influence. Lancé en décembre 2015, le webzine Journaldesaxe.com réunit six blogueuses "inspirantes" qui publient une douzaine d’articles par mois, du bricolage au tricot, accompagnés de tutoriels inédits et de liens vers les livres des éditions de Saxe. "Cela dynamise les ventes et draine beaucoup d’internautes", affirme Viviane Rousset, qui revendique 80 432 utilisateurs et 255 503 pages vues. Une matière dont elle a fini par se servir pour un livre, Saxe, le journal récréatif, à paraître en octobre.

Leduc.s relance L’Inédite

 

Reprise pendant l’été, la maison spécialisée doit connaître une nouvelle phase de développement pour retrouver une part de marché de 5 %.

 

Karine Bailly de Robien, directrice éditoriale- Photo OLIVIER DION

Créée en 1995, rachetée en 1999 par Nadia Daniel, qui la spécialise alors dans les loisirs créatifs, L’Inédite a rejoint cet été Leduc.s. Un achat qui s’inscrit dans la politique de diversification du groupe, active depuis trois ans, et qui est "pleinement cohérent avec l’ensemble des 6 marques et avec l’esprit de la maison", affirme sa directrice éditoriale, Karine Bailly de Robien. Sous sa houlette, et celle de Nadia Daniel, qui en devient conseillère éditoriale, L’Inédite connaîtra dès 2017 une nouvelle phase de développement, pour retrouver son niveau habituel de parts de marché, soit 5 %. Pour bâtir sa stratégie de croissance, la directrice éditoriale s’est d’abord appuyée sur les lignes de force de la maison : une production maîtrisée dont la vitesse de croisière oscille autour de 25 titres par an, un positionnement "haut de gamme" pour des livres de fonds aux thématiques diversifiées et six collections phares bien identifiées, "Fragments", "L’art de", "Des livres pour créer", "Les cahiers de l’amateur", "Esprit créatif" et "L’atelier du fil".

Les évolutions s’effectueront sur le plan de la fabrication, du marketing et de la communication. "Nous voulons valoriser davantage les atouts des livres en optimisant les photos et le choix du papier, et en affichant dès la couverture la promesse client et leur aspect ultrapratique", détaille l’éditrice. A côté des auteurs clés de la maison, telle Mélanie Voituriez, de nouvelles signatures intègrent également le catalogue comme Dominique Ribour, créatrice des sacs Malice, annoncée en janvier avec Les sacs et accessoires chics et glamour. Cette politique éditoriale s’accompagne d’un travail autour de la marque sur les réseaux sociaux, qui s’intensifiera en 2017.

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