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Dossier Loisirs créatifs : la fin des tendances

Olivier Dion

Dossier Loisirs créatifs : la fin des tendances

Privé, pour la troisième année d’affilée, d’un phénomène qui puisse emballer les ventes, le marché des livres de loisirs créatifs se polarise toujours plus sur deux grands axes : des ouvrages de moyenne gamme développant une technique poussée, et d’autres plus éphémères ou s’adressant aux grands débutants.

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Par Cécile Charonnat,
Créé le 15.09.2017 à 12h18

Certes il y a ce - 3 % (en volume et en valeur) qui s’affiche dans les colonnes de l’institut GFK en face des livres de loisirs créatifs et de bricolage pour la période août 2016 à juillet 2017. Certes, pour la troisième année d’affilée, aucune tendance forte ne s’est affirmée sur le marché, à tel point que les éditeurs s’interrogent même sur ce concept, à l’image de Viviane Rousset. "Les très gros sujets ont disparu, il n’y a plus que des phénomènes qui durent très peu de temps", assène la directrice des éditions de Saxe, pour qui "seules les bases fonctionnent toujours".

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Mais les chiffres et les absences de phénomènes sont trompeurs. "La forte baisse du coloriage masque la situation réelle du marché, et notamment la bonne santé de certains segments", nuance Tatiana Delesalle, directrice éditoriale du pôle pratique adulte chez Fleurus. En forme depuis plusieurs années, les beaux-arts et la couture gardent un certain dynamisme, alors que le bricolage opère un retour en force, porté notamment par la vague du Do it yourself (DIY, faites-le-vous-même), dont le champ s’élargit toujours. Sylvie Cattaneo-Naves, responsable éditoriale de Dessain et Tolra, y voit par exemple de "nouvelles opportunités" et annonce des "développements" en 2018. "Si le premier semestre n’a pas été bon, il faut plus y voir l’effet du décrochage général que celui d’une réelle crise", ajoute Eric Sulpice. Confiant, le directeur éditorial d’Eyrolles compte, pour renouer avec la croissance, sur la fin d’année, une période "plutôt forte depuis deux à trois ans. Il n’y a aucune raison pour que cela ne soit pas le cas en 2017".

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Public branché

Face aux contre-performances de la cuisine, les loisirs créatifs font presque figure "d’eldorado" dans lequel il est opportun d’investir ou de réinvestir. Entré discrètement sur le marché en 2015, Glénat double son volume de production annuel pour atteindre 18 titres à la fin 2017, s’aventurant désormais hors des arts du fil. Tana, qui avait délaissé le terrain depuis plusieurs années, y opère un retour offensif. S’appuyant sur son auteure phare, Raphaële Vidaling, Marie Baumann, directrice éditoriale de la marque d’Edi 8, publie quatre titres dont deux coffrets déclinés du concept porteur Comment épater… ainsi que Tout fabriquer soi-même, une "bible du petit bricolage très pratique, qui fantasme l’autonomie et s’adresse aux nouveaux Robinson avec une dimension écologique", détaille l’éditrice.

Si Marie Baumann vise un public rajeuni, branché et touche-à-tout, qui dynamise depuis quatre à cinq ans les loisirs créatifs, d’autres éditeurs adoptent une stratégie opposée. Dans un marché qui se polarise toujours plus sur deux grandes cibles, les consommatrices papillonnantes adeptes du DIY et les plus chevronnées qui cherchent de nouveaux défis, ils font le choix de revenir à une production qui "s’éloigne des livres de tendances éphémères ou destinés seulement à des lectrices qui souhaitent juste se divertir" pour privilégier "des ouvrages utiles, dont le public a réellement besoin et qui génèrent des ventes régulières", plaide Tatiana Delesalle, qui fait de cette politique "un axe de développement fort". Bénéficiant de "l’historique et du savoir-faire éditorial de Fleurus", l’éditrice se concentre sur des livres de référence qui visent à l’exhaustivité et contiennent des techniques absentes d’Internet ou désertées par la concurrence, tel Le grand livre de la poterie (octobre) ou celui du modelage (septembre), centrés sur une approche "utilitariste et fonctionnelle". Elle développe également des ouvrages "moins chers, dédiés à la découverte d’une technique ou d’un matériau qui reviennent ou sont à la mode mais qui devraient s’installer", tel le String art, arrivé en librairie en septembre. Déjà opéré sur les beaux-arts et le dessin, où plusieurs collections ont été remodelées et rajeunies, ce repositionnement s’étendra aux arts du fil en 2018.

Le retour des patrons

Constatant également "le retour de jeunes actifs vers des activités manuelles voire l’artisanat", Thierry Lamarre, directeur de la diversification chez Marie Claire, testera en 2018 chez Massin une petite production autour de la céramique, après s’être lancé cet automne dans le dessin. "C’est rassurant de voir qu’il reste un public qui demande de la technique ou des thèmes plus classiques", se félicite Eric Sulpice. Après un élargissement vers le grand public ces trois dernières années, afin notamment "d’accentuer la visibilité de la maison auprès des chaînes spécialisées", le directeur éditorial revient lui aussi "à des livres de moyenne gamme, qui correspondent plus au créneau habituel d’Eyrolles". Il aborde ainsi la mode des patrons en couture en s’adressant aux passionnées qui veulent les créer elles-mêmes (Les patrons de base sur mesure, novembre), ou produit en octobre un très technique Tricot : le guide des torsades. Déjà ancrée sur cette ligne, La Plage creuse le sillon avec un nouveau concept. Commercialisé en septembre avec trois références, "Les basiques d’Emilie" comprend un livre et un patron, et se concentre, dans chaque ouvrage, sur un vêtement de base. Si la collection peut être utilisée par des débutantes, grâce notamment à des liens renvoyant à des vidéos, elle vise tout autant les couturières aguerries, qui seront intéressées par les multiples variantes proposées.

A l’opposé de cette stratégie, d’autres maisons choisissent de s’orienter vers des ouvrages présentant les grandes bases ou ceux rassemblant diverses activités autour d’une mode ou d’un univers, censés toucher les inconditionnelles du DIY, "ces filles hyper débrouillardes qui possèdent peu de technique mais se lancent sur à peu près tout et détournent beaucoup", analyse Anne-Sophie Pawlas. Dans cette optique, la directrice du Temps apprivoisé (LTA) a conçu cette année deux nouvelles séries, 100 % DIY et Just do it yourself, dont les maquettes, le vocabulaire et les modèles sont "adaptés à cette génération de l’image, biberonnée à Instagram et à Facebook". Les six ouvrages - un dernier sortira en 2018 - explorent tous les domaines et fonctionnent par tendances, pour lesquelles 4 à 5 créations sont proposées et dont certaines sont minutées, une piste que l’éditrice explorera davantage l’année prochaine. "Les livres de DIY qui développent un univers, sur le modèle lifestyle, fonctionnent bien, corrobore Sylvie Cattaneo-Naves. Les clientes ne sont plus mono-passion, elles testent de multiples activités, osent plus de choses, mais n’ont pas forcément envie d’aller plus loin." Forte de ce constat, la directrice éditoriale de Dessain et Tolra a choisi de se concentrer sur des ouvrages proposant "les bases et les fondamentaux" et promet en 2018 un redéploiement de la couture et du tricot.

Hygge et bullet

En attendant, elle compte tirer profit de la tendance "hygge". Venue du Danemark et irriguant tout le pratique, cette mode du "cocooning" scandinave déferle en fin d’année dans les programmes de loisirs créatifs, donnant naissance à bon nombre de ces livres qualifiés d’"éphémères". Elle est accompagnée du phénomène qui cartonne sur Internet, le Bullet journal, qui consiste à fabriquer soi-même son agenda. Du guide pratique, comme aux éditions de Saxe ou LTA (Petit guide pour grand bullet) aux aides à la création qui fournissent plus ou moins de modèles, quasiment tous les éditeurs s’emparent du sujet, le déclinant parfois pour le tricot ou le développement personnel, comme le Bullet journal pour tricopathe et Bullet therapy, tous deux commercialisés par Eyrolles à l’automne.

Marier loisirs créatifs et développement personnel constitue en effet une autre manière de capter ce public moins expert. Tel est l’angle d’attaque de la nouvelle collection créée par Aurélie Aminian et Barbara Astruc, chargées de L’Inédite depuis son rachat par Leduc.s en 2016. "Il y a une certaine cohérence à faire converger ces deux lignes, qui constituent le cœur du groupe Leduc.s et sur lesquelles il y a encore beaucoup à dire et à faire", assurent les éditrices. Inaugurée en septembre avec un Origami modulaire, suivi en novembre de Happy tricot et Crochet cocooning, "Créer pour mieux vivre" proposera des "livres moins experts, mais dont l’usage est réconfortant, qui privilégient les couleurs et les matériaux créant une ambiance douce, qui présentent des trucs et astuces en référence au bien-être, et qui vantent les bienfaits des activités", détaille Aurélie Aminian. Parallèlement, la maison conserve quelques collections beaucoup plus pointues, telle "Patrimoine de la dentelle européenne" ou "Atelier du fil", qui permettent à L’Inédite de jouer sur les deux tableaux.

Les loisirs créatifs en chiffres

La jeunesse, nouveau relais de croissance ?

 

Pré carré des éditeurs jeunesse, les activités manuelles et artistiques suscitent les appétits des maisons spécialisées en loisirs créatifs, comme les éditions de Saxe ou L’Inédite, qui espèrent profiter de l’engouement pour les pédagogies alternatives.

 

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Effet crise, besoin de manipuler face au poids prégnant des écrans, image rajeunie et branchée délivrée par le Do it yourself qui touche jusqu’aux très jeunes adolescents, libération de la créativité des enfants grâce aux pédagogies alternatives… Les facteurs ne manquent pas pour expliquer le rebond des ouvrages de loisirs créatifs pour enfants constaté depuis deux à trois ans. "Le phénomène s’est installé crescendo, dopé notamment par l’envie de faire soi-même avec peu de moyens tout en en produisant quelque chose de gratifiant", confirme Emmanuelle Braine-Bonnaire, directrice éditoriale du pôle jeunesse et activités chez Fleurus.

Ce regain n’a pas échappé aux éditeurs de loisirs créatifs. Sortant de leur prudence coutumière sur ce terrain, "qui fait peu de bruit mais qui assure des volumes de ventes très réguliers", soutient Emmanuelle Braine-Bonnaire, ils sont plusieurs à lancer des offres élaborées et structurées, chargées de fournir de nouveaux relais de croissance. Vivianne Rousset, qui dirige les éditions de Saxe, affirme vouloir y consacrer une "bonne part de sa production d’ici à mars 2018". Une politique qu’a déjà adoptée sa consœur du Temps apprivoisé, Anne-Sophie Pawlas, qui a créé en 2016 une nouvelle marque, Le Temps apprivoisé Jeunesse. Inaugurée avec la collection de coffrets "Mon atelier ré’créatif", qui comprend 5 références et a rencontré des succès inégaux, la marque s’est enrichie en avril de Petites expériences avec ses sens. Déjà réimprimé, l’ouvrage, qui "emprunte à la pédagogie Montessori, rencontre un succès encourageant", se félicite Anne-Sophie Pawlas.

Créations et pédagogie

Entendant profiter de cet engouement croissant, les éditeurs de loisirs créatifs s’appuient sur les pédagogies alternatives, qui font la part belle aux manipulations et autres expériences, pour concevoir et promouvoir leurs ouvrages. "La libération de la créativité des enfants est dans l’air du temps", relèvent Aurélie Aminian et Barbara Astruc, chargées de l’éditorial chez L’Inédite, et qui citent en exemple la multiplication "des ateliers pratiques. Au-delà, c’est aussi une manière de renouer avec ses enfants et de partager un moment." Elles ont fait de ce segment l’un des axes forts de la reconstruction du catalogue de L’Inédite, lui dédiant l’une des deux collections créées cette année. Résolument positionnés comme du loisir créatif, les quatre titres des "Petites créa faciles" s’appuient sur des auteurs spécialisés dans ce domaine, "accompagnés pour déployer une pédagogie propre aux enfants", explique Aurélie Aminian, qui a par exemple imaginé deux mascottes afin d’introduire une narration et a déployé des pas-à-pas illustrés et non photographiés. Bénéficiant d’une double lecture afin que les ouvrages puissent être aussi utilisés par les parents, la collection répond également "à une demande dans les écoles et les centres de loisirs" et devrait s’enrichir de nouveaux titres avant les vacances scolaires.

Plus prudent, Eyrolles se limite à la publication d’un seul titre sur le sujet, adossé à la méthode Reggio (L’atelier créatif avec les enfants, septembre), qui s’apparente plus "à une opportunité qu’à un axe de développement", admet Eric Sulpice, directeur éditorial. Echaudé par des échecs précédents, Thierry Lamarre, directeur de la diversification chez Marie Claire, se montre tout aussi méfiant. Un seul titre figure à son catalogue en 2017, Atelier DIY pour enfants, paru en mai, et qui n’annonce pas, pour le moment, de collection. "L’enfant, c’est plus risqué : la monotechnique risque de les lasser et le coffret, sans doute l’une des meilleures formules, reste difficile à fabriquer en raison notamment de l’équation entre matériel adapté et de qualité, et prix bas", analyse Thierry Lamarre, qui pointe par ailleurs "l’absence de demande de la part des distributeurs".

Les meilleures ventes: effet "Simplissime"

Partout où la marque phare d’Hachette Pratique passe, les premières places des classements se ressemblent. Celles des 50 meilleures ventes des livres de loisirs créatifs sur la période d’août 2016 à juillet 2017 n’échappent pas à la règle. Lancé à l’automne 2016, Simplissime, le livre de couture le plus facile du monde écrase la concurrence et se place largement en tête du palmarès : il s’en est écoulé deux fois plus que son challenger, le carnet de coloriage dédié au personnage créé par Disney, Tsum Tsum, édité aussi par Hachette Pratique.

Plus globalement, la couture confirme son statut de valeur sûre des loisirs créatifs : 12 titres figurent dans le top dont les indémodables Intemporels d’Astrid Le Provost et L’encyclopédie de la couture, édités par Flammarion. Malgré une réduction drastique de la voilure sur le secteur, la maison du groupe Madrigall réussit un beau coup en plaçant son Tricothérapie, publié en septembre et quasiment unique ouvrage de loisirs créatifs de la maison en 2016, en 5e position.

Autre secteur en forme, le dessin maintient ses positions et classe 10 titres dans le palmarès, essentiellement dédiés à l’apprentissage facile ou rapide de la technique. Ce n’est plus le cas de l’origami, qui ne parvient à hisser que quatre ouvrages dans le classement, dont trois en queue de peloton. Un recul qui bénéfice au bricolage. L’activité montante des loisirs créatifs, dynamisée par le succès du mouvement faire soi-même (DIY, Do it yourself), arrache quatre places dont la 6e pour L’essentiel du bricolage, conçu par Fleurus.

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