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Dossier Finlande : petite mais francophile

Soleil de minuit sur le lac Kallavesi en Finlande. - Photo Patrick BERTRAND/HOA-QUI

Dossier Finlande : petite mais francophile

Invitée d’honneur de la Foire du livre de Francfort, du 8 au 12 octobre, la Finlande, dont la langue n’est parlée que par ses 5,4 millions d’habitants, a des atouts à faire valoir alors que la vague des polars nordiques amorce un reflux.

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Par Catherine Andreucci,
Créé le 03.10.2014 à 01h34 ,
Mis à jour le 03.10.2014 à 10h38

Ils se préparent depuis plusieurs années déjà. A mesure que se rapproche la Foire du livre de Francfort, dont la Finlande est l’invitée d’honneur du 8 au 12 octobre, éditeurs et agents finlandais sont sur le pied de guerre. Pour les éditeurs français aussi, c’est l’occasion d’accroître leurs échanges avec ce pays nordique qui, s’il reste un petit marché avec 5,4 millions d’habitants, n’en est pas moins un territoire à redécouvrir ou à défricher, tant pour les cessions que pour les achats de droits.

"Le côté très disjoncté, l’humour très noir sans être cynique, un peu loufoque, des auteurs finlandais semble plaire aux lecteurs français."Eva Bredin, Lattès- Photo OLIVIER DION

Entre les pays scandinaves, la Russie et les pays baltes, la Finlande possède une culture et une histoire bien à part, et une langue totalement incompréhensible même pour ses voisins, bien que 5,6 % de sa population soit suédophone. Pays hermétique, alors ? Loin de là, car les échanges franco-finlandais sont anciens et solides, comme en témoignent les catalogues d’Actes Sud, de Gaïa ou de Gallimard. Ils bénéficient en outre d’un atout incomparable : la présence d’éditeurs francophiles et souvent francophones dans presque toutes les grandes maisons d’édition, WSOY, Tammi, Otava, Gummerus, mais aussi dans les plus petites comme Teos ou Siltala.

Editeurs sélectifs

"Pour les cessions de droits, les Finlandais ne sont certes pas les premiers à réagir, mais quand ils achètent un roman, ce n’est pas un one-shot et ils suivent l’auteur", se félicite Eva Bredin, éditrice et responsable des cessions de droits chez Lattès. Pourtant, ajoute-t-elle, "les pays nordiques forment une des régions les plus compliquées. Il faut du temps pour les séduire". Cette prudence exige un travail de fond. "Comme c’est un marché restreint, les éditeurs sont sélectifs, dans le bon sens du terme, estime Anne-Solange Noble, responsable des cessions de droits à l’étranger chez Gallimard. On vend, parcimonieusement peut-être, mais régulièrement, et pas seulement le grand fonds, mais aussi des auteurs contemporains."

C’est au tournant des années 2000 que la production française a connu en Finlande un véritable essor, dépassant les grands auteurs classiques ou contemporains. Le succès d’Anna Gavalda, puis la traduction des Fourmis de Bernard Werber, de Suite française d’Irène Némirovsky, de L’élégance du hérisson de Muriel Barbery, ont fait fondre les éditeurs finlandais, qui se sont ouverts à Delphine de Vigan, Grégoire Delacourt, Joël Dicker… "Nous connaissons bien la littérature française, mais elle a longtemps souffert de la réputation d’être difficile, hermétique, souligne, dans un français parfait, Anna Baijars, directrice éditoriale chez Gummerus. Depuis, des auteurs plus commerciaux ont montré qu’elle pouvait aussi être grand public." Car le marché finlandais n’échappe pas aux difficultés que connaissent la plupart des pays en Europe. Si les best-sellers mondiaux se sont imposés, la place se restreint pour les découvertes. "Il est de plus en plus difficile de lancer de nouveaux auteurs étrangers, explique Anna Baijars. Les ventes de littérature étrangère ont baissé de 16 % ces cinq dernières années et, en 2014, le recul est déjà de 17,8 %. C’est inquiétant, et nous sommes donc tous un peu plus prudents. Il faut savoir que pour la littérature étrangère, 6 000 ou 7 000 exemplaires sont de très bonnes ventes. Et à 10 000, c’est un best-seller."

L’attention se porte évidemment vers les succès, titres grand public, littérature de genre ou prix littéraires. Mais leurs destins sont contrastés. Si La vérité sur l’affaire Harry Quebert de Joël Dicker n’a eu aucun mal à trouver preneur (Tammi), Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre, Goncourt 2013, a été acheté "tardivement, après la Foire de Londres, alors que tous les autres pays l’avaient acheté dès l’automne, raconte Arabella Cruse, de l’agence Wandel Cruse qui représente Albin Michel (voir encadré p. 63). Les réticences tenaient au sujet : l’après-Première Guerre mondiale en France. C’est d’ailleurs un éditeur d’histoire, Minerva, en train de développer la littérature, qui le publie le mois prochain." Les intermédiaires qui, comme elle, connaissent bien les réalités des deux pays sont du coup indispensables pour cibler le bon titre pour le bon éditeur et faciliter les négociations. "Siltala s’est emballé pour Le capital au XXIe siècle de Thomas Piketty, explique-t-elle. En histoire, les Finlandais sont très intéressés par la Deuxième Guerre mondiale, et j’ai déjà eu deux offres pour Lettres de la Wehrmacht qui vient de paraître chez Perrin."

 

Littérature "exotique"

En dépit des difficultés du marché, les éditeurs finlandais restent très attentifs à la production française. Leur proximité avec les autres pays nordiques est un atout pour les éditeurs français qui prospectent la région. "Editeurs finlandais et suédois se connaissent très bien et se conseillent mutuellement, ils surveillent ce qui se passe chez leurs voisins", remarque Eva Bredin. A ce titre, la Foire du livre de Göteborg en Suède, dont la 30e édition vient de se tenir du 25 au 28 septembre, joue un rôle crucial. C’est là que se rencontrent tous les éditeurs de la région. Surtout, la foire a mis l’accent ces dernières années sur les échanges professionnels, avec un "Rights centre" qui prend de l’ampleur. "C’est de plus en plus international. On s’y rencontre dans une atmosphère beaucoup plus détendue, beaucoup moins stressée qu’à Francfort. Et comme c’est une ou deux semaines avant, on a déjà eu des discussions et préparé le terrain…", raconte Nina Paavolainen, directrice de Teos. De plus en plus d’éditeurs français s’y rendent, attirés par l’aspect informel des échanges et par les potentialités des marchés nordiques. Le Bureau international de l’édition française (Bief) y sera d’ailleurs présent en 2015 dans le cadre de son opération "Foire du monde".

C’est cependant surtout à Londres et à Francfort que les éditeurs se rencontrent. Cette année, à Francfort, les Finlandais viendront avec une pléiade d’auteurs, car la littérature finlandaise a indéniablement une carte à jouer au moment où la vague du polar nordique commence à s’essouffler. "Elle peut bénéficier du fait d’être un peu à part, exotique en quelque sorte", estime Susanne Juul, directrice de Gaïa, maison spécialisée dans la littérature nordique. Le succès des romans d’Arto Paasilinna (Denoël) au début des années 1990 avait ouvert la voie. "Le côté très disjoncté, l’humour très noir sans être cynique, un peu loufoque, des auteurs finlandais semble plaire aux lecteurs français", estime Eva Bredin. Les romans plus sombres ne font pas exception.

L’immense succès de Purge de Sofi Oksanen (Stock, 2010) a braqué les projecteurs sur la nouvelle génération d’auteurs qui renouvelle le paysage littéraire finlandais. En 2012, L’armoire des robes oubliées de Riikka Pulkkinen (Albin Michel) a confirmé l’intérêt des lecteurs. L’émergence d’auteurs issus de l’immigration donne un nouveau ton et suscite la curiosité. Sur les conseils de la scoute anglaise Koukla McLehose, Denoël a ainsi acheté les droits de My cat Yugoslavia de Pajtim Statovci, un Serbe émigré en Finlande, qui écrit en finnois.

La langue reste bien sûr une barrière, et oblige les éditeurs français à se décider sur un simple extrait en anglais ou sur la foi de rapports de lecture. "Nous travaillons sur la base des contacts, et de la confiance que l’on fait à telle ou telle personne, explique Marie-Pierre Gracedieu, éditrice de Sofi Oksanen, aujourd’hui chez Gallimard. C’est toujours compliqué de s’engager pour un auteur que l’on n’a pas lu dans sa langue. Mais les Finlandais font entendre des voix différentes, issues de cette société très tourmentée, âpre, avec une façon de se rire de tout."

Misant sur la mode généralisée de la littérature fantastique, la Finlande a bien compris l’avantage qu’elle pouvait tirer à présenter certains de ses auteurs sous l’appellation "Finnish weird". Plutôt tournées vers le domaine anglo-saxon, les Presses de la Cité ont ainsi acquis les droits de deux ouvrages l’an dernier : Nymphes de Sari Luhtanen et Miiko Oikkonen, novélisation d’une série télévisée finlandaise, paraît le 16 octobre, et La fille de l’eau d’Emmi Itäranta, à paraître en janvier 2015, a aussi été acquise par HarperCollins. "Ça s’est passé à Göteborg, où je suis allée en 2013 pour fêter la sortie du nouveau livre de Jonas Jonasson, raconte Frédérique Polet, directrice éditoriale du domaine étranger. Comme j’avais déjà publié un polar islandais, les éditeurs et agents m’ont repérée et contactée."

 

Agences et traducteurs

Car, sous l’effet de l’engouement globalisé pour les auteurs nordiques, les Finlandais sont désormais beaucoup plus actifs à l’international. "Ils ont compris qu’ils pouvaient exporter leur littérature. Ils visent tous les pays en même temps, ce qui est efficace et leur donne une visibilité plus importante. Des agences se sont créées, adoptant des méthodes offensives, détaille Anne Colin du Terrail, la traductrice d’Arto Paasilinna. Les auteurs sont demandeurs : alors qu’ils imaginaient rarement être traduits avant, ils pensent aujourd’hui mondialement et prennent un agent pour l’étranger." Les cessions de droits se sont considérablement professionnalisées. Propriété du puissant groupe suédois Bonnier, WSOY a récemment vu son département des droits rejoindre celui de la maison mère dans un "Bonnier rights Finland". Les grandes maisons ont désormais des agences internes bien structurées. Surtout, des agences indépendantes ont émergé. L’ancienne éditrice Elina Ahlbäck a créé sa propre agence en 2009, Elina Ahlbäck Agency. "Il n’y avait aucune agence finlandaise il y a cinq ans, justifie-t-elle. Or, nous avons besoin de promouvoir notre littérature comme les Américains le font. Longtemps, la vente des droits n’a pas été considérée comme une source de revenus. Aujourd’hui, les éditeurs ont compris que je pouvais exporter leurs auteurs dans le monde entier." A présent, quatre personnes travaillent dans son agence, et elle vient d’ouvrir un bureau à New York. Sa stratégie porte ses fruits. Calmann-Lévy vient de remporter des enchères pour un livre de Minna Lindgren, tandis qu’une trilogie "young adults" de Salla Simukka paraît cet automne chez Hachette et au Livre de poche. Mais les auteurs finlandais restent aussi attirés par les agences suédoises, Stilton par exemple, qui est implantée à Helsinki, mais surtout Salomonsson, à Stockholm, qui représente Sofi Oksanen ainsi que Monika Fagerholm, qui écrit en suédois.

Traductions et soutien institutionnel

Reste à traduire les livres. Ce n’est pas une mince affaire, en raison du petit nombre de traducteurs du finnois en français. Après la génération d’Anne Colin du Terrail ou Jean-Luc Moreau, de jeunes traducteurs assurent la relève, comme Sébastien Cagnoli, Claire Saint-Germain, Martin Carayol, Alexandre André. "Editeurs et institutions ont milité pour dire aux jeunes que la traduction littéraire d’une langue minoritaire pouvait être un métier, qu’il y avait du travail, explique Susanne Juul chez Gaïa. Mais il reste difficile de trouver un traducteur car ils sont tous très pris, étant peu nombreux."

Le soutien des institutions finlandaises joue aussi un rôle capital dans la présence des auteurs finlandais en France, à commencer par celui qu’apporte le Fili (voir article ci-contre). A Paris, l’Institut finlandais est considéré par les éditeurs français comme un partenaire indispensable pour faire venir des auteurs, organiser des événements, faire le lien avec les acteurs finlandais. Sa directrice, Meena Kaunisto, est une ancienne éditrice. "La grande curiosité des éditeurs français est admirable, dit-elle. Dans un contexte général pas facile, ils font un vrai effort et restent prêts à prendre des risques."

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