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Dossier Edition technique : l’année du redressement

Olivier Dion

Dossier Edition technique : l’année du redressement

Renouant avec la croissance, les éditeurs de livres techniques s’appuient sur la réactualisation de leurs fondamentaux pour maintenir la dynamique, ciblant leur production sur des secteurs délimités ou des publics mixtes de professionnels et d’amateurs éclairés.

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Par Cécile Charonnat,
Créé le 06.05.2016 à 02h00 ,
Mis à jour le 06.05.2016 à 08h43

Espéré depuis quelques années, amorcé au dernier trimestre 2014, le redressement du marché des livres techniques s’est confirmé en 2015. Seuls quelques éditeurs affichent encore des résultats en repli, tels Technip, qui souffre de la crise dans l’industrie pétrolière, les Presses polytechniques et universitaires romandes (PPUR), qui sont confrontées notamment à l’érosion de l’euro par rapport au franc suisse, ou Dunod, dont le grand export et les ventes directes ont marqué le pas. La plupart des acteurs sont parvenus à renouer avec la croissance. "Ce n’est pas l’euphorie ni des progressions à deux chiffres, mais l’embellie est bien là : nous avons rompu avec la décroissance, constate Emmanuel Leclerc, directeur éditorial du groupe Lavoisier. Et cela ressemble à une tendance de fond, les gens reviennent au papier et aux ouvrages de référence", veut croire l’éditeur.

"Etant donné nos moyens limités, la réédition est une des seules façons de ne pas perdre la main sur ce secteur. " Sasan Mottaghian, Technip- Photo OLIVIER DION

Au Moniteur, l’euphorie est bien là. La maison a enregistré une progression de 10 % au global et de 17 % pour le technique. "Le chiffre a été porté par la VPC, c’est-à-dire les salons et la vente à distance, dont la proportion avec les librairies s’est inversée pour représenter 52 % de notre activité", souligne Claire de Gramont. La directrice du Moniteur pointe également la réédition de plusieurs titres phares du catalogue, qui ont généré d’excellentes ventes alors que la conjoncture dans le BTP était mauvaise. Si l’activité de l’artisanat du bâtiment en France a enfin légèrement progressé en début d’année 2015 selon l’Insee, c’est après avoir diminué pendant quinze trimestres d’affilée. Une politique d’ailleurs reconduite en 2016 avec la refonte, en juin, d’une des meilleures ventes du Moniteur, La construction, comment ça marche, qui gagne 150 pages et des informations complémentaires sur l’environnement des bâtiments. Elle sera suivie, le même mois, de la 5e édition du best-seller Accessibilité des bâtiments aux personnes handicapées, dans la collection "Mémento illustré", et de la deuxième version de Concevoir et construire une bibliothèque, réalisé en partenariat avec la direction générale des médias et industries culturelles du ministère de la Culture, également générateur de bonnes ventes.

"Nous avons choisi des thématiques fortes et un positionnement franco-français pour nous démarquer des grands éditeurs internationaux." Claire de Gramont, Le Moniteur- Photo OLIVIER DION

Politique de réédition

Dans le sillage de Claire de Gramont, et confrontés à la difficulté d’élaborer des nouveautés, notamment pour les ouvrages de références, les éditeurs s’appuient en effet cette année sur les rééditions de leurs bibles et de leurs locomotives pour assurer du chiffre d’affaires. Jean Arbeille, directeur de Quæ, a missionné une éditrice afin d’opérer une réactualisation du fonds. "Si la recette est courante chez nos confrères, elle ne se pratiquait pas du tout chez nous, relève l’éditeur. Or, cela reste un bon moyen de faire de la mise en place et de tirer du chiffre à moindre coût, en temps et en investissement financier." Pour fêter ses 10 ans, la maison réédite donc trois titres retravaillés par leurs auteurs originaux et qui intègrent les recherches récentes : en juin, le Petit lexique de pédologie de Denis Baize ; à l’automne, La photosynthèse, "un ouvrage historique qui fonctionnait bien", précise Jean Arbeille ; et en fin d’année, Du cacao au chocolat, du spécialiste Michel Barel, sorti initialement en 2009 et "enrichi et actualisé", promet l’éditeur.

Sasan Mottaghian, directeur de Technip, a carrément bâti son programme 2016 sur des rééditions, notamment pour tout ce qui concerne les sciences du pétrole et du forage. "Etant donné nos moyens limités, c’est une des seules façons de ne pas perdre la main sur ce secteur", plaide le dirigeant. Chez Dunod, pour qui les rééditions des fondamentaux constituent plutôt "un investissement sur les années à venir et assoient le chiffre", assure Jean-Baptiste Gugès, directeur éditorial sciences et technique, l’année est ponctuée par la 3e édition de L’audionumérique, parue en février, et la refonte des Cours de photographie (juin) et Cours de vidéo (automne) de René Bouillot.

Toujours engagé dans une politique de clarification de l’offre et de resserrement des collections pour Hermès, Emmanuel Leclerc se concentre également cette année sur le rajeunissement de deux collections de Tec & doc, autre marque du groupe Lavoisier. Il a chargé un comité éditorial de relancer "Sciences et techniques agroalimentaires" et "Agriculture d’aujourd’hui", deux collections "un peu vieillissantes, où il ne se passait plus grand-chose. Or nous disposons là d’un fonds historique, sur lequel nous sommes légitimes et où la concurrence est moins rude", note l’éditeur. Chaque gamme devrait s’enrichir de 5 à 6 titres, parmi lesquels de gros ouvrages de référence sur les aliments fonctionnels (juin), le fromage ou les emballages agroalimentaires. Pour accompagner cette offensive, l’éditeur lance une nouvelle collection, dédiée à l’œnologie et à la viticulture technique, "Cave et terroir". Quatre titres inaugurent la série : Manuel de viticulture en mars, Champagne en mai, Pinot noir en juin et, à l’automne, un ouvrage sur l’interaction du bois sur la vinification.

Nouvelles niches

C’est sur le terrain de l’agriculture et de l’alimentation que se niche en effet cette année une partie des nouveautés. L’éditeur très scientifique EDP Sciences y fait par exemple un pas de côté et nourrit avec deux titres inédits (Le sel dans tous ses états et Les vertus de l’huile de palme) une collection lancée en 2014, "Alimentation et santé". Destinée au public des médecins et des diététiciens, elle creuse le sillon "du bien-être et de l’intérêt des Français pour la nutrition", détaille France Citrini, directrice éditoriale d’EDP Sciences.

Chez France agricole, Marie-Laure Dechâtre, directrice du pôle édition du groupe, inaugure également une nouvelle collection. Avec "10 clés pour réussir", elle choisit de s’adresser à "ces nouveaux paysans qui arrivent dans le métier, souvent par reconversion, qui s’émancipent des modes de pensée et d’installations traditionnelles et court-circuitent la logique en place." Elle leur a concocté des ouvrages pratiques et utiles, traitant de problématiques actuelles et bénéficiant d’une politique tarifaire "attractive", à 29 euros. Lancée en mars avec 10 clés pour réussir dans les circuits courts, la collection se poursuit en mai avec 10 clés pour réussir sa reconversion au bio et en juillet de 10 clés pour réussir le redressement de son entreprise agricole. "Je crois davantage en cette cible qu’au grand public élargi que nous avons visé l’année dernière avec des livres bâtis sur une approche sociétale et sans parti pris, que finalement, nous ne savons pas bien faire", défend Marie-Laure Dechâtre, déçue notamment des ventes d’Ethique des relations homme-animal, commercialisé en novembre 2015.

L’électronique et l’architecture constituent les deux autres champs qui suscitent de nombreuses nouveautés. Redynamisé par les "fab lab", l’électronique continue d’avoir le vent en poupe. Déjà bien présent sur le créneau, Eyrolles prévoit d’y publier une petite dizaine de livres, notamment autour des cartes en licence libre Arduino et des drones. La maison a aussi entamé fin 2015 une déclinaison pour les enfants. "Beaucoup d’ateliers pratiques existent et c’est encore plus ludique que la programmation informatique", observe Eric Sulpice, qui a notamment prévu en septembre L’électronique pour les enfants.

Architecture et numérique

Egalement présent en électronique avec sa collection "Tous makers !", qui a trouvé son rythme de croisière avec quatre livres par an, Dunod a toutefois choisi de concentrer ses forces en 2016 sur l’architecture et y "lance un bel assaut", signale Jean-Baptiste Gugès. Architecture et design d’intérieur et le Petit manuel d’architecture marquent ainsi le début de l’année alors que deux poids lourds sont attendus à l’automne. Traduits de l’anglais, Architecture paysagère et Architecture contemporaine obéissent au même concept : "Ils réunissent des milliers de schémas et de croquis à la main qui expliquent et détaillent les choix des architectes et des paysagistes. Ce sont des livres innovants, qui, par leur composition, vont forcément toucher un public mixte de professionnels et d’amateurs", espère l’éditeur. Pour contrer l’offensive, Le Moniteur propose en mai et juin deux beaux livres présentant une trentaine de réalisations en bois et reposant sur des techniques écologiques. "Nous avons choisi des thématiques fortes et un positionnement franco-français pour nous démarquer des grands éditeurs internationaux", souligne Claire de Gramont, qui espère que les libraires joueront le jeu dès le départ, "ce genre de livres ayant désormais une durée de vie relativement courte".

Mais cette année, la pure innovation est à chercher du côté du numérique et de la Suisse. Parallèlement à leur collection grand public "Big now", annoncée en 2015 mais commercialisée cette année, les PPUR expérimentent une nouvelle forme de livres, liés aux moocs. Baptisés "Booc’s", ce sont des supports compagnons des cours en ligne, composés de "notes de cours écrites selon un principe collaboratif, relues et éditorialisées par nos soins puis validées par l’enseignant et offertes uniquement à la consultation et sur Internet", détaille Olivier Babel. Ce nouveau support s’accompagne d’un format plus classique, les "TextBooc’s", des manuels traditionnels renvoyant, grâce à des QR codes, aux moocs correspondants. La formule, inédite en France, y est observée de près, notamment chez Quæ, qui cherche également un moyen de tirer profit de ces cours en ligne. d

Sciences et techniques en chiffres

L’informatique de 4 à 77 ans

 

De moins en moins nombreux, les éditeurs d’informatique défrichent des segments découverts l’année dernière, comme la programmation pour enfants, qui leur ont permis de développer leur activité.

 

"Sans l’impulsion de l’Education nationale, qui tarde à venir, il semble difficile d’aller plus loin pour le moment." Jean-Pierre Cano, First- Photo OLIVIER DION

Dans un marché du livre informatique encore estimé à la baisse par GFK en 2015, les éditeurs de ce secteur ont, paradoxalement, retrouvé le sourire. Tous ont enregistré une progression de leur activité, portée notamment par des ventes dynamiques en fin d’année à la suite de l’arrivée de Windows 10. "La mise à jour est gratuite, le système est stable et fonctionne plutôt bien. Cette version a été une bonne surprise et a engendré une très bonne année pour l’informatique grand public", se réjouit Eric Sulpice, directeur éditorial d’Eyrolles. Ce retournement de conjoncture peut s’expliquer en partie par la quasi-absence de publications chez Micro Application, réduites à une dizaine en 2015 malgré son rachat par Eska. Cette pause d’un des acteurs importants du secteur a contribué à accroître l’activité chez les quatre éditeurs restant sur le marché, Dunod, Eyrolles, First Interactive et ENI. "Nous avons gagné en visibilité en librairie, ce qui nous permet d’afficher, sur ce canal, une progression à deux chiffres", observe Antoine Gilles, responsable de la communication et du commerce en ligne d’ENI, qui a aussi conquis de nouveaux clients grâce à son offre d’abonnement globale à l’ensemble des contenus de la maison.

"A l’intersection entre les maths appliquées et l’informatique, la question des data sciences reste complexe. Nos livres ont cet objectif : dresser des passerelles entre ces deux mondes." Éric Sulpice, Eyrolles- Photo OLIVIER DION

Viser les plus jeunes

La capacité à défricher de nouveaux champs, tels l’informatique pour les plus jeunes ou les big data et le machine learning, ont aussi permis aux éditeurs de progresser. Des sujets "désormais installés dans le paysage", estime Eric Sulpice, et sur lesquels ils s’appuient en 2016. Fort de son succès, Eyrolles creuse ainsi le sillon de la programmation pour enfants, en déclinant thématiques et tranches d’âge, des plus petits aux lycéens, et crée la collection "Pour les kids", inaugurée l’année dernière avec Scratch pour les kids dès 8 ans. Au moins six titres arriveront sur les tables d’ici à la rentrée, dont un Cahier d’activités 3D en mai, suivi notamment d’Apprendre à coder avec Minecraft, Scratch Junior et Python pour les maths, destiné aux collégiens et lycéens.

Pour ne pas laisser Eyrolles seul sur cette niche, First Interactive développe sa propre collection. Inaugurée au dernier trimestre 2015 avec trois titres, "En s’amusant", estampillée discrètement "Pour les nuls", est composée d’ouvrages colorés, ludiques et construits autour de projets à réaliser. Elle s’enrichira de trois références cette année , dont une sur le langage de programmation libre Ruby. "Cette diversification fonctionne bien et le marché s’installe progressivement, analyse Jean-Pierre Cano, directeur éditorial informatique et vie numérique chez First. Mais sans l’impulsion de l’Education nationale, qui tarde à venir, il semble difficile d’aller plus loin pour le moment."

Pour consolider ses ventes, la filiale d’Editis mise donc sur la valeur sûre Windows 10 et sur Office, qui représentent près de 50 % de son activité. La trentaine de titres dédiés au système d’exploitation de Microsoft et à son environnement seront ainsi réactualisés au cours de l’été pour tenir compte des plus récentes mises à jour. "Il nous reste encore un bon potentiel sur ce sujet, qui devrait nous tenir jusqu’en mars 2017", assure Jean-Pierre Cano. L’éditeur de la maison grand public explore également cette année les confins de l’informatique et prépare des projets en robotique, en électronique et sur la méthode agile Scrum, qui a plutôt bien réussi à Dunod l’année dernière.

Big data

Toujours en quête de sujets émergents, la filiale d’Hachette sonde en 2016 le mariage du développement et de l’opérationnel avec deux titres : Découvrir DevOps (mars) et Mettre en œuvre DevOps (juin). "Cette nouvelle organisation des entreprises nécessite une collaboration entre deux métiers qui n’ont pas l’habitude de discuter, c’est vraiment de l’informatique révolutionnaire et l’offre est inexistante en France", explique Jean-Luc Blanc, responsable éditorial ches Dunod. Autre mariage et mêmes espoirs chez Eyrolles qui parie sur les big data et les data sciences. "A l’intersection entre les maths appliquées et l’informatique, le sujet reste complexe, notamment pour les développeurs informatiques qui ont besoin d’acquérir un certain vernis. Nos livres ont cet objectif : dresser des passerelles entre ces deux mondes", détaille Eric Sulpice, qui publiera quatre livres d’ici à octobre. Ce sera également l’un des thèmes forts d’une nouvelle collection lancée par Hermes à l’automne, qui "plus globalement sera dédiée à l’informatique d’entreprise", indique Emmanuel Leclerc, directeur éditorial pour le groupe Lavoisier.

Très ancré dans ce domaine, ENI compte, pour animer sa fin d’année, sur Windows Server 16, outil indispensable aux entreprises. Mais, comme ses confrères, la maison nantaise élargit son offre à des sujets nouveaux et connexes, tels les objets connectés ou l’expérience mobile des utilisateurs avec notamment UX mobile, paru en avril. En septembre, elle testera Corp-up, une méthode pour adapter les pratiques des start-up aux grandes entreprises, voire pour les intégrer. d

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