Louise de Vilmorin la surnommait « l'Edmondaine ». Jacques Chazot disait à qui voulait l'entendre qu'il s'était inspiré d'elle pour créer son personnage de Marie-Chantal. Comme toutes méchancetés bien senties, celles-ci étaient à la fois justes et injustes. Car s'il est vrai qu'Edmonde Charles-Roux (1920-2016) ne dédaignait vraiment pas la fréquentation des salons, l'assigner là à résidence relève de ce qu'elle aurait sans doute appelé « les mauvaises manières ». Et si elle eut, en presque un siècle d'existence particulièrement bien remplie, ses zones d'ombre, ses secrets, voire ses mensonges, elle fut avant tout une formidable combattante, une femme toujours libre, sculptant elle-même son destin.

Si Edmonde l'envolée, second volet (après Edmonde, Stock, 2019) d'un vaste diptyque biographique consacré à la vie de l'auteure d'Oublier Palerme est si beau, c'est parce que sans rien cacher des paradoxes de son sujet d'étude, Dominique de Saint-Pern, dans une langue précise et vive, excelle à en dessiner ses paysages intimes qui épousent près de soixante-dix ans de la vie de notre pays. Cette jeune femme qu'elle saisit ici au sortir de Seconde Guerre mondiale n'aura de cesse de se réinventer, dans la presse tout d'abord, puis en littérature en même temps qu'en politique auprès de son mari, Gaston Defferre, dans cette ville de Marseille à la fois aristocrate, métisse et populaire, comme elle le fut elle-même toujours. Il y eut donc Elle auprès des Lazareff, Vogue dont elle dirigea plus de dix ans l'édition française, et tant de rencontres plus ou moins amicales − comme avec Chanel, Aragon ou François Nourissier −, mais aussi amoureuses auprès de Derain, Maurice Druon ou François-Régis Bastide. Issue d'une riche et noble famille de diplomates, Edmonde Charles-Roux malgré l'insolence, aux yeux des siens, des libertés qu'elle conquiert, veille dans le même temps à demeurer fidèle aux obligations morales que lui donne cette ascendance. Pas une plainte, très peu d'explications, beaucoup trop de paroles pour mieux brouiller les pistes et faire silence sur ce qui lui importe vraiment. Aussi à l'aise chez les duchesses qu'à la fête de l'Huma, elle est un paradoxe fascinant en chignon et tailleur Chanel. Qu'en restera-t-il ? Au moins une figure de style.