Les trois mousquetaires. Pour une fois, voici des mousquetaires qui furent trois, du moins un certain temps, et dans des circonstances particulières : si Joseph Kessel dit Jef (1898-1979) et Maurice Druon (1918-2009) étaient liés par le sang (le second était le fils illégitime de Lazare Kessel, le jeune frère de Jef, qui se suicida en 1920), Germaine Sablon (1899-1985), chanteuse et comédienne, était la maîtresse du premier, jusqu'à ce qu'en 1945, il rompe brutalement. Elle ne s'en remit jamais vraiment, et ne se remaria pas. Car tout ce petit monde avait une vie sentimentale plus que tumultueuse.
Ce qui les a rassemblés, et c'est là que s'ouvre le livre de Dominique Bona, c'est la guerre. Kessel, écrivain célèbre, était antifasciste, et juif. Son neveu, écrivain en devenir, l'était également, même s'il était catholique par son beau-père René, qui l'avait adopté et lui avait donné son nom. Germaine, elle, était une résistante de la première heure, membre du réseau Carte dès 1941, qui s'engagea dans le corps des ambulancières Spears et fut de toutes les campagnes jusqu'à la Libération. De Gaulle, qu'elle détestait pourtant sur un malentendu, lui remit la Légion d'honneur à titre militaire.
On suit les trois héros dès la fin du mois de décembre 1942, lorsqu'ils essaient de passer en Espagne puis au Portugal afin de gagner Londres. D'abord les deux garçons, Germaine se débrouillant pour les rejoindre après. Ils refuseront, en revanche, de fuir comme tant d'autres vers les États-Unis. À Londres, ils rencontrent de Gaulle, qui leur demande de mettre leurs plumes au service de la France libre. Et ils font la fête. Druon cause dans le poste, écrit une préface au Silence de la mer de Vercors, ainsi que ses Lettres d'un Européen, son premier livre, qui paraîtra en 1944 chez Charlot, à Alger, éditeur résistant. Et puis, bien sûr, il y a l'épisode du Chant des partisans, qui deviendra l'hymne tragique de la Résistance. À l'origine, une œuvre collective : Emmanuel d'Astier de la Vigerie voulait écrire une chanson pour Germaine Sablon, mais Anna Marly, chanteuse russe, siffle Partisansky, un air de son pays, alors Druon et Kessel mettent des paroles dessus. C'était le 30 mai 1943. Dès le lendemain, Germaine l'enregistre, dépossédant Anna Marly de la création de la chanson. Elle en demeure cependant et pour l'histoire la coautrice.
Après leur séparation, chacun fera sa vie. Surtout les deux écrivains, chacun parvenant aux sommets à sa façon et en son temps : grands prix, ventes considérables, gloire, honneurs, Académie française... Ministre, même, pour Druon. En dépit de froideurs - notamment à cause de Michèle, la dernière femme de Jef, alcoolique, qui lui fit vivre un véritable enfer - l'oncle Verseau, juif russe errant, un peu anar, romantique et désespéré, et le neveu Taureau, solaire, positif, sybarite et classique, ne se perdirent jamais de vue, jusqu'à 1979 et la mort de « Tolstoïevski ». Le surnom est de Druon.
Dominique Bona embrasse et brasse cette matière considérable, ces destins qui participèrent de notre histoire, avec sa maestria et son sérieux coutumiers. Non sans glisser, parfois, un « je » d'enquêtrice, voire de témoin, mais toujours avec élégance et modestie. De la belle ouvrage.
Les partisans.Kessel et Druon, une histoire de famille
Gallimard
Tirage: 25 000 ex.
Prix: 24 € ; 528 p.
ISBN: 9782073015549