C’est une nuit. Une nuit d’hiver. Un coup de téléphone dans la nuit de Tokyo. Un de ces moments où la vie se déchire comme une feuille de papier. De la bouche (de la voix, plutôt) d’un ami commun, Michaël Ferrier apprend la mort de François et de sa fille, Bahia, noyés au large d’une plage des îles Canaries. Que faire de cela? Que faire de cette mort que Barthes disait être "l’événement même" ? Il faudra du temps au romancier français pour apporter à ces questions une réponse. François, portrait d’un absent est le début, grave, adamantin et noir, de cette réponse. Puisque, après tout, après que tout est consommé, "la littérature est l’art du deuil par excellence", écrit-il.
En fait, ce François-là est à la fois le portrait d’un absent et celui d’une absence. L’un et l’autre se "répondant" en un même tombeau. Au début, il n’y a que le fait même. "François est mort, François est mort. Cette phrase revient constamment, comme si elle était à la fois une question et sa seule réponse." Ensuite, il y aura une vie, deux, une amitié. L’écrivain en dévide la "carte du tendre". Depuis ses 17 ans, la classe préparatoire du lycée Lakanal à Sceaux. Les souvenirs sont beaucoup plus que des souvenirs. Ce sont d’abord ceux du corps de l’autre, de son inscription dans l’espace, des nuits blanches, de l’alcool, des musiques écoutées, Thelonious Monk ou Gustav Leonhardt, de l’internat, d’une amitié, malgré Montaigne et les autres, ontologiquement indéfinissable. Ensuite, il y aura les plaisirs et les jours de ce François qui ne saura se faire oublier ni se départir jamais tout à fait de son charisme premier. Il y aura ainsi le cinéma dont il accompagnera ce qu’il estime être sa mort. Il en fera tout de même, ce François Christophe, qui n’aime guère que les hors-la-loi et les pas de côté, signant un documentaire magnifique sur un vagabond céleste qu’il intitulera Thierry, portrait d’un absent. La vie passe comme ça, l’amitié demeure, même si elle se fait lointaine lorsque Michaël Ferrier part vivre au Japon (il y est encore, enseignant la littérature). Un jour, pour que le temps soit retrouvé, François l’y rejoindra. Au début du siècle, le voilà marié et père, et cela lui vient comme une grâce, alors qu’il débute une "vita nuova" comme réalisateur à Radio France. Et puis, cette île qui porte si bien son nom, "Graciosa", la gracieuse où, à jamais, lui et sa fille basculent dans leur mystère.
De Michaël Ferrier, les lecteurs savent déjà, de Fukushima, récit d’un désastre à Mémoires d’outre-mer (Gallimard, 2012 et 2015), l’infinie délicatesse de plume, son sens aigu d’une "ligne claire" narrative absolument moderne dans le récit de soi, la mixité des genres et à même de traquer les fantômes. Ce François, portrait d’un absent est peut-être son plus beau livre dans sa volonté de n’y accepter l’émotion que transfigurée par le prisme de la littérature. En un récit qui musarde autant du côté de chez Barthes que des essais autobiographiques d’une Chantal Thomas, le deuil ici se fait livre.
Olivier Mony