Vue sur le lac Léman et le mont Blanc, tintements de cloches de vaches. Ici, c’est pourtant le livre qui est l’objet de toutes les attentions. La Maison de l’écriture, inaugurée en mai dernier, à Montricher (Suisse), au milieu des alpages, accueille les bureaux de la Fondation Jan Michalski. Créée en 2007, celle-ci finance des projets en lien avec l’écriture et la littérature, et décerne depuis quatre ans un prix littéraire (dont le dernier a été remis ce 13 novembre, voir ci-contre). Originalité ? Sa vocation internationale.
«Nous avons construit un bâtiment dédié à l’écrit, pas un mausolée », prévient d’emblée Vera Michalski. Veuve de l’éditeur polonais Jan Michalski, cette femme à la voix douce, mais ferme, héritière du groupe pharmaceutique suisse Hoffmann-Laroche et présidente du groupe d’édition Libella, sait ce qu’elle veut : « La Maison de l’écriture, tout comme la Fondation, sont tournées vers le futur : nous cherchons à faire découvrir la littérature qui vient de l’Est et de bien plus loin encore. Ce qui nous intéresse au premier chef, c’est le contenu sous toutes ses formes ou supports. » A l’époque des écrans rois, la création littéraire et la pratique de la lecture ont grand besoin de soutien, estime-t-elle : « Après vingt-cinq ans d’expérience d’éditeur, j’ai fini par savoir ce qui manque aux auteurs. Très peu vivent de leur plume et très peu ont les possibilités matérielles d’écrire. »
Freiner l’érosion de la lecture
La Fondation est financée sur les fonds privés de Vera Michalski, en toute indépendance de Libella. En six ans, elle a soutenu 216 projets, avec des montants allant de 400 euros à 2 000 euros et plus. Elle appuie ainsi des manifestations liées au livre, de façon récurrente, et distribue des aides ponctuelles à la publication. « Nous épaulons toutes les pratiques qui freinent l’érosion de la lecture en mettant les gens en contact avec le livre », détaille la mécène.En 2013, la Fondation a accompagné, entre autres choses, le festival Terres de paroles, en Normandie, qui permet « d’écouter les livres » dans des sites historiques, le festival Babel de littérature et traduction, en Suisse italienne, et le festival Absolut Zentral, à Zurich, qui met en avant des littératures émergentes, comme celles des Balkans ou de la Turquie. Elle accompagne aussi la publication au long cours, en français, des livres du pédiatre polonais méconnu Janusz Korczak, et une nouvelle traduction de l’œuvre complète de Kafka en allemand, enrichie de notes savantes et d’inédits, ignorés par Max Brod, l’ami de l’auteur.
La Maison de l’écriture se veut tout aussi ouverte sur le monde, avec un espace d’exposition, un auditorium, une bibliothèque. « Nous mettons en valeur l’écrit au sens large : les calligraphies chinoise ou arabe qui demandent à être sauvegardées, mais surtout l’objet livre, comme outil de transmission. C’est une manière de s’assurer que les gens continuent à le voir et à le toucher, précise Vera Michalski. Rien ne remplace la main d’un livre, son odeur. Tout ce qu’un ebook ne rendra jamais. »
Pour organiser les expositions, l’éditrice puise du côté des écrivains peintres et dessinateurs. La première met en ce moment à l’honneur le dramaturge polonais Slawomir Mrozek, également dessinateur et ami de la famille, décédé en août dernier. Il avait cédé toutes ses archives à la Fondation : affiches de ses pièces de théâtre, manuscrits et dessins originaux, photos, écrits intimes, films.
L’auditorium proposera bientôt des colloques autour du livre, des réunions de traducteurs, des mises en espace de pièces de théâtre, des lectures. La bibliothèque, riche à terme de 85 000 ouvrages, permettra au public d’emprunter des livres issus de la littérature mondiale du XXe et du XXIe siècle, en langue originale et traduits.
Sans oublier le petit grain de folie du lieu : des résidences d’écrivains venant de tous les pays qui s’installeront, dès 2015, dans six cabanes perchées sur des piliers figurant des arbres, au milieu de la verdure. Ils y séjourneront pendant une durée variable d’un mois à un an. « Nous voulons que les auteurs soient au calme pour créer et tout ce qui est réalisé dans ce centre culturel pourra nourrir leur inspiration. »
S. M.
Glénat aide les jeunes talents et dévoile sa collection d’art
Vous croyez ne pas connaître le peintre lyonnais Pierre Novat, et pourtant sa représentation du monde sous forme de lignes vertes, bleues, rouges ou noires vous est forcément familière. Ce panoramiste est le créateur en 1962 des cartes de domaines skiables, soit plus de 160 stations représentées en France et à l’étranger. Son travail est à découvrir à partir du 20 novembre au couvent Sainte-Cécile, à Grenoble, siège depuis 2009 des éditions Glénat. Chose rare dans le monde du livre, l’éditeur a créé à la fin de l’année dernière une fondation d’entreprise ainsi qu’un fonds de dotation pour « assurer la vie culturelle du bâtiment du couvent Sainte-Cécile avec des concerts, des conférences et des expositions, ainsi que pour gérer les œuvres d’art qui sont la propriété du groupe », explique Jacques Glénat. Les éditions et leur fondateur possèdent en effet une vaste collection de peintures sur la montagne, quelques toiles de peintres flamands, dont des tableaux de Bruegel, du mobilier de la dynastie Hache, famille d’ébénistes grenoblois fournisseurs de Louis XIV, des affiches et des photographies anciennes, ainsi que de nombreuses planches, cadeaux des auteurs qui nourrissent le catalogue BD depuis quarante ans. « La maison devenait un magasin d’antiquité, se souvient son P-DG. Il fallait faire l’inventaire de la collection, photographier, code-barrer et décrire chaque œuvre. On a recruté quelqu’un pour s’occuper de cette gestion et pouvoir pratiquer des échanges. » La fondation est une forme qui permet plus aisément, sans connotation commerciale, d’emprunter des œuvres. Une importante exposition est attendue à partir du 14 février, « La grimace du monde », sur le fantastique dans la peinture flamande du XVIe siècle et dans la BD, présentant notamment des toiles de Bosch et de Bruegel. Glénat publiera le catalogue et l’exposition s’installera ensuite, au Salon du livre de Genève, recevant le soutien de Vera Michalski.
L’autre but de la fondation, abondée tous les ans par les éditions, est de soutenir les jeunes créateurs via cinq bourses (1), sponsorisées, d’une valeur de 2 000 à 15 000 euros à destination des 18-30 ans : bourse numérique Région Rhône-Alpes, bourse BD ou manga, bourse recherche, bourse photo, bourse littéraire. Les dossiers commencent à arriver et les premières bourses seront attribuées dans le courant de l’année prochaine.
A.-L. W.
(1) Tous les détails sur le site http://www.fondation-glenat.com, rubrique « Bourses ».
Un prix littéraire ouvert sur l’ailleurs
C’est Mahmoud Dowlatabadi (Le colonel, Buchet-Chastel, 2012), qui a remporté, mercredi 13 novembre, le prix international de littérature Jan-Michalski. Il récompense un ouvrage, tous genres confondus, d’auteurs issus du monde entier. « Nous pouvons remonter jusqu’à cinq ans en arrière sur l’année de publication afin de ne pas passer à côté d’un livre qui n’aurait été traduit que récemment », indique Vera Michalski. D’où l’intérêt de regrouper des membres du jury de plusieurs nationalités (Yannick Haenel, Georges Nivat, Tarun J. Tejpal, Marek Bienczyk…). « Il arrive qu’on traduise des extraits de textes sélectionnés pour que tout le monde puisse se faire une idée. » Le prix est doté de 50 000 francs suisses (40 600 euros environ). Trois livres figuraient dans la dernière sélection : L’aigle et le dragon de Serge Gruzinski (Fayard, 2012), Les dépossédés de Steve Sem-Sandberg (Robert Laffont, 2012) et Le colonel de Mahmoud Dowlatabadi.
S. M.