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Décès de l'éditeur et auteur François Maspero

François Maspero. - Photo K. Sluban

Décès de l'éditeur et auteur François Maspero

Figure singulière de l'édition des années 60 et 70, ex-libraire, traducteur et auteur publié aux éditions du Seuil, François Maspero est mort chez lui, samedi 11 avril, à 83 ans.

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Par Marine Durand,
Créé le 13.04.2015 à 14h59

L'éditeur, auteur et traducteur François Maspero, 83 ans, est mort à son domicile samedi 11 avril. Annoncé par son ami Marcel-Francis Kahn dimanche soir sur Mediapart, le décès de cette figure singulière de l'édition des années soixante et soixante-dix a été confirmé à Livres Hebdo par La Découverte, la maison qui a pris en 1983 le relais des éditions Maspero qu'il avait fondé en 1959, ainsi que par les éditions du Seuil, "très peinées", qui éditaient ses romans.

Petit-fils de l'égyptologue Gaston Maspero, fils du sinologue Henri Maspero, François Maspero est né le 19 janvier 1932 à Paris. Pendant la guerre, sa mère est déportée à Ravensbruck, son père meurt à Buchenwald tandis que son frère, résistant, est tué sur le front d'Alsace. Après une année de khâgne au lycée Henri IV et une année à l'université en ethnologie, il rachète en 1954 la librairie de l'Escalier (ancienne libraire La Hune), avant de s'endetter pour acquérir une plus grande librairie, La Joie de lire, qui s'affirme, au 40 rue Saint-Séverin (Paris 5e), comme une librairie militante, rendez-vous de la gauche et de l'extrême-gauche de l'avant et de l'après-Mai 68.

Un éditeur engagé

François Maspero fonde dès 1959, en pleine guerre d'Algérie, les éditions Maspero, engagées à gauche, dans les sous-sols de sa librairie. "Je leur ai donné mon nom, tout simplement parce que l'époque me semblait un peu lâche ; que j'avais envie de signer mon travail non par gloriole, mais pour assumer entièrement ma responsabilité d'éditeur", expliquera-t-il le 26 mars 1982 dans Le Monde.

De cette période à 1983, date à laquelle il cesse de se consacrer à l'édition et passe la main à François Gèze, sous la direction duquel la maison devient La Découverte, l'éditeur crée différentes revues, dont Partisans et Tricontinental, et publie de nombreux textes politiques, voire de combat, des ouvrages de réflexion, et réédite des classiques.

François Maspero publie notamment La guerre d'Espagne, de Pietro Nenni, leader du parti socialiste italien en 1959 ; L'an V de la révolution algérienne, puis Les damnés de la terre, de Frantz Fanon, qui sera saisi, et dans lequel on verra le début du mouvement "tiers-mondiste".

Au début des années 60, les saisies et inculpations s'accumulent contre François Maspero, même si aucune procédure n'est menée à son terme. De 1959 à 1962, il publie une cinquantaine de livres dont près de vingt sur l'Algérie, et doit affronter régulièrement les attentats à l'explosif contre sa librairie. Outre l'Algérie, Maspero publie et diffuse également des textes engagés sur tous les grands problèmes du moment, de Fidel Castro parle, de Che Guevara, à Liberté pour l'Angola, de Mario de Andrade.

Au fil des ans, la maison s'ouvre à des livres plus largement théoriques : la collection "Théorie" est lancée en 1965 avec Pour Marx et Lire le capital, de Louis Althusser, puis Nous les nègres, de James Baldwin, Malcolm X et Martin Luther King. Ayant essuyé les refus de ses collègues pour publier ses livres en poche, l'éditeur lance en 1967 sa propre collection intitulée "Petite collection Maspero", facilement identifiable à ses couvertures monochromes aux couleurs vives, et à son emblème, un vendeur de journaux à la criée.

En 1968, François Maspero ouvre ses éditions à divers mouvements d'extrême-gauche de l'époque. Il adhère lui-même à la Ligue communiste révolutionnaire, qu'il quittera en 1975. Les ennuis judiciaires, notamment pour la publication de la revue Tricontinental mettent ses éditions en difficulté, et en 1969 de nombreux intellectuels signent, en vain, une pétition pour faire cesser les poursuites. Le système religieux de la Géorgie, publié en décembre 1968, inaugure la collection "La Découverte", inspirant la création des éditions du même nom.

Au début des années 70, si la dimension politique est encore très présente, avec entre autres les Mémoires d'un vieux bolchévik et la réédition du Petit livre rouge des écoliers et des lycéens, les éditions Maspero se diversifient avec une collection "Psychiatrie" et une collection "Histoire contemporaine". La Joie de lire reste confrontée à l'époque à de nombreuses difficultés et après un rachat avorté, la liquidation est actée en 1976.

En juin 1980, ce sont les éditions Maspero qui frôlent la faillite, mais l'éditeur tient, soutenu par des amis et secondé par François Gèze. En mai 1982, ce dernier, qui prendra les rênes de la maison jusqu'en 2014, trouve la lettre de démission de Maspero, qui émet le désir de reprendre son nom. Tandis que la maison est rebaptisée La Découverte, François Maspero décide de se consacrer à l'écriture et à la traduction.

Auteur de romans et traducteur au Seuil

En 1984, François Maspero signe Le sourire du chat, roman pour une large part autobiographique, publié au Seuil, qui restera son éditeur jusqu'à sa mort. Suivront entre autres Les passagers du Roissy Express, Prix Novembre en 1990, Balkans-Transit, Prix Radio France internationale "Témoins du monde", en 1997, ou Des saisons au bord de la mer, son dernier ouvrage, paru en 2009.

A partir de 1987, François Maspero consacre aussi une large part de son temps à la traduction, traduisant notamment Luis Sepulveda, Carlos Ruiz Zafon ou Arturo Perez Reverte, également au Seuil. Si aucune remise en place en librairie n'a pour l'instant été prévue, le service commercial de la maison a annoncé lundi qu'elle allait reproposer aux libraires des bons de commandes pour l'ensemble des ouvrages, poches et grand format, de François Maspero.

En 2014, un film, Les chemins de la liberté, lui avait été consacré, "hommage de ses amis à un homme dont la vie a assurément marqué une génération".






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