C’était un temps, le tournant des années 1950 et 1960 où tout paraissait plus clair. Les fachos et les cocos. Les filles et les garçons. Les bahuts et les vacances. De Gaulle et la jeunesse. Les "événements" d’Algérie dans une existence qui en était trop privée… Dans le coin de Bretagne où ils fomentaient de sombres projets d’avenir, François Contelec et Pierre-Alain Jézéquel pouvaient alors croire qu’il en irait toujours ainsi, qu’ils resteraient à jamais amis malgré ce qui les opposait (un succès inégal avec les filles, une famille d’instituteurs communistes pour l’un, de bourgeois d’extrême droite pour l’autre). Loïc Quéméner, un prof de français à peine plus âgé qu’eux, veillait en leur donnant, à eux deux comme à tous, le goût des textes, à préserver celui des conflits résolus et des amitiés triomphantes. Ceci jusqu’à ce qu’il parte, sursis résilié et appelé du contingent, du côté d’Alger et du djebel et finisse par trouver la mort lors d’une opération militaire à plus d’un titre mystérieuse… Aussi, lorsque près d’un demi-siècle plus tard François et Pierre-Alain se retrouveront dans un train pour la Bretagne, le premier obtiendra l’aide du second pour essayer de comprendre comment et pourquoi leur professeur est mort.

Avec Le disparu, cette histoire de passé qui ne passe pas et d’amitié qui peine à s’éteindre tout à fait, Jean-Pierre Le Dantec est au plus loin de ce que l’on croit savoir de lui (pour aller vite, les certitudes successives de l’ancien dirigeant de la Gauche prolétarienne, puis plus tard du directeur emblématique de l’école d’architecture de Paris La Villette), mais au plus près de sa vérité propre, la plus insaisissable, sa vérité d’écrivain. Bien sûr, le récit est gorgé de politique et d’histoire, mais c’est pour mieux les fondre dans la symphonie "mezzo voce" d’une éducation sentimentale. Ce n’est pas Sartre qui inspire ces lignes, mais plutôt l’enchantement amer du Larbaud de Fermina Márquez, ce grand roman de la perte. Olivier Mony