Niche

Encore cantonnés aux écrans il y a quinze ans, Zelda, Mario et autres Tetris prennent aujourd'hui d'assaut les librairies. La niche de l'édition d'ouvrages thématiques consacrés au jeu vidéo a pris son envol avec l'apparition, en 2007, de l'éditeur Pix'n'Love, premier acteur du marché. « Nous avons ouvert une brèche, assume le président de la maison, Marc Pétronille. Et comme souvent à la création d'un marché, il y a eu une ruée vers l'or, tout le monde veut se faire une place. » A commencer par les employés de Pix'n'Love : au début des années 2010, la maison d'édition connaît une « fuite des cerveaux » qui va contribuer à consolider le secteur. En 2011, le cofondateur Florent Gorges quitte l'entreprise pour monter Omaké Books. Il est suivi en 2013 par Jean-Marc Demoly, créateur de Geeks-Line, puis en 2015 de Nicolas Courcier et Mehdi El Kanafi, qui fondent Third Editions. Sur un marché du livre stagnant, le dynamisme insolent de ce segment peut surprendre. « La première année d'Omaké Books, j'ai publié 3 titres. Aujourd'hui, nous en publions de 24 à 36 par an », calcule Florent Gorges.

Chaque maison publie un à trois ouvrages par mois. Leurs catalogues cumulent des centaines d'essais, de guides, d'artbooks ou d'anthologies ancrés dans l'univers du jeu vidéo. Tous annoncent un premier tirage moyen entre 2000 et 3500 exemplaires par titre. «On peut monter à 10 000 ou 12 000 exemplaires pour les plus gros », souligne Marc Pétronille. Grâce à une forte présence à l'international et à des traductions en cinq langues, Third Editions revendique 50 000 exemplaires tirés de son livre consacré à la série de jeux d'aventure Zelda, et 35 000 exemplaires pour l'essai La légende Final Fantasy VII dédié au jeu éponyme, ses deux plus grands succès.

Fragmentation et complémentarité

Malgré la bonne santé de ce jeune secteur, Florent Gorges craint que « la fragmentation du marché » n'engendre un excès de production nuisible aux ventes. « Aux débuts de Pix'n'Love, on pouvait écouler 3 000 exemplaires d'un livre obscur parce que les fans avaient peu de choses à se mettre sous la dent. Aujoud'hui ils sont rassasiés et peuvent faire des choix », estime l'éditeur. Mehdi El Kanafi, de Third Editions, préfère voir dans la profusion de l'offre le signe d'une « maturité » du marché, dans lequel la production des différents éditeurs se complètent. « C'est assez comparable au secteur du manga, qui s'organise par sous-branches », dit-il. Son catalogue est essentiellement constitué d'essais analysant les grandes séries de jeux vidéo alors que Pix'n'Love s'est spécialisé dans les ouvrages d'histoire du jeu vidéo, Geeks-Line dans le rétrogaming et Omaké Books dans les mangas, guides et artbooks. « Cette variété est une force pour exister auprès des autres acteurs de la chaine du livre », juge Mehdi El Kanafi.

« L'arrivée progressive de plusieurs éditeurs sur cette niche a indéniablement favorisé une reconnaissance du marché et amélioré la distribution », reconnaît Florent Gorges. Tantôt rangés dans les rayons cinéma, graphisme ou informatique, les ouvrages sur les jeux vidéo ne bénéficiaient pas initialement de leur propre rayon, au détriment de leur visibilité. « Ensemble, nous avons bataillé auprès de l'AFNIL [qui attribue les ISBN, NDLR] pour ouvrir des références jeux vidéo afin que libraires et grandes surfaces puissent créer des rayons dédiés », explique Florent Gorges. Certaines succursales de grandes enseignes telle E. Leclerc ont mis en place des rayons ou des corners sur les ouvrages de jeux vidéo ou de pop-culture, mais cela ne satisfait pas complètement les éditeurs. « Dans 90 % des cas, nous restons rangés en informatique, alors que notre production est équivalente, voire supérieure à celle des éditeurs de livres sur le cinéma », déplore Mehdi El Kanafi. Pour Marc Pétronille, le placement en magasin reste « le plus gros défi à relever », avec à la clé « sans doute quelques milliers de lecteurs supplémentaires ». 

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