Qu'est-ce qu'une enfance dans la France des années 1970 - en l'occurrence à Décines, près de Lyon ? Les déjeuners du dimanche où les adultes parlent fort et boivent un peu trop, la toile cirée, les papiers peints et les fleurs au jardin, le piano au salon, Papa grattant sa guitare, les mercredis après-midi chez les grands-parents, la farfouille au grenier, les virées en vélo avec les copains, les bêtises - parfois fatales -, les tubes qu'on enregistre du transistor sur son minicassette ou encore L'étrange créature du lac noir vue soi-disant en 3D sur un téléviseur en noir et blanc. Trente ans seulement après la fin de la Seconde Guerre mondiale, c'est aussi une période profondément imprégnée, en dépit de la dynamique du baby-boom qui porte les parents, du souvenir édifiant des épreuves traversées par les grands-parents au mitan du siècle.

Héros ou victimes ? D'origine espagnole, les grands-pères de David Sala ont été les deux. Le paternel s'est battu parmi les républicains espagnols sur le front d'Aragon. Interné côté français après la défaite, il est parvenu à s'échapper d'un train, rejoignant un maquis des Francs tireurs et partisans (FTP) pour le reste de la guerre. Le maternel, lui, successivement militant républicain condamné à mort par Franco, et combattant sous l'uniforme français face aux nazis en 1940, a été déporté à Mauthausen.

Il en est revenu, mais c'était hier. On en parle encore en famille et avec les amis. Le petit David en fait des cauchemars. Il dessine aussi, recopiant les comics de Spiderman. C'est grâce au dessin, peaufiné par la suite à l'école Émile Cohl, qu'il peut quitter l'enfance. C'est également grâce à lui qu'il peut y revenir quarante ans plus tard avec son album le plus personnel, aussi coloré que son propos est mélancolique.

On peut y voir, de la part de cet adepte de la ligne picturale qui inspire aujourd'hui nombre d'auteurs de BD, un hommage au flower power des seventies. Mais David Sala convoque aussi bien Malevitch et Chagall, Edvard Munch ou George Grosz, les naïfs russes et la Sécession viennoise. Syncrétisme historique, syncrétisme graphique, l'auteur rassemble dans Le poids des héros tous les matériaux qui font d'un enfant un homme.

David Sala
Le poids des héros
Casterman
Tirage: 22 000 EX.
Prix: 24 € ; 176 p.
ISBN: 9782203215764