Récit/Biélorussie 18 avril H.Leivick

Les éditions de l'Antilope fêtent leurs trois ans. Elles ont fait un pari audacieux sortant certaines œuvres de l'oubli. Ainsi celle d'H. Leivick, un poète « emblématique du XXe siècle », comme le note sa traductrice Rachel Ertel. Son parcours, son souffle romanesque plongent dans les abîmes de l'Histoire. « Tu n'es qu'un grain de poussière dans la grande tempête de l'ensemble de la Russie, mais cette poussière doit porter en elle la responsabilité pour toute la tempête. » Leivick s'en empare en la dotant de mots, puisés au cœur de son enfance en Biélorussie. C'est là qu'il naît, dans un shtetl, en 1888. Pauvre comme Job, sa famille compte neuf enfants. Il est l'aîné, mais Leivick Halpern (son vrai nom) possède un tempérament rebelle. Ainsi, il délaisse la religion et emprunte un chemin engagé. En 1906, il est accusé d'être « un révolutionnaire juif opposé au régime tsariste. » Sa peine s'avère lourde, très lourde : six ans de travaux forcés, que ce récit s'efforce de restituer avec fidélité. Écrite dans sa langue maternelle - le yiddish - il ressemble d'avantage à un roman qu'à un témoignage. « Je ne l'ai pas lu dans les livres. Je l'ai lu dans ma propre vie. » Il nous immerge dans un cachot étouffant. Ses codétenus le bousculent ou le réchauffent, mais leurs conditions carcérales les mènent au bord de la folie. Leivick s'accroche au passé pour ne pas sombrer. Son père s'invite, telle une figure messianique, dans ce lieu improbable, à l'attente interminable.

A 21 ans, le narrateur a déjà connu quatre ans de prison. La promiscuité et la survie rythment ce quotidien infernal, dans lequel on peut néanmoins se faire des amis. Or la situation extrême fend les armures et révèle les vrais visages. Comment lutter contre les désillusions ? « L'homme est un être pitoyable. »Leivick n'est point au bout de ses peines. Condamné à s'enterrer en Sibérie, il doit parcourir une partie de son pays, en ayant les pieds enchaînés. Son récit vire à la radiographie de la Russie, ses paysages et ses naufragés humains, résultant d'une justice kafkaïenne. « Tu es presque toujours en route. Une seule chose ne varie pas : les prisons sont toutes sales. Tu es assigné à résidence pour toujours, mais tu espères que tu parviendras à t'enfuir. »La fuite comme ultime fenêtre sur une vie hors des ténèbres. Malgré toutes ces épreuves, la conscience de l'écrivain reste éveillée. On se croirait dans « Les carnets du sous-sol » de Dostoïevski. « Liberté, où es-tu ? Qui me donnera la vraie liberté ? Devenir libre de moi-même. »L'écriture constitue le moyen idéal. Sa force : jongler entre le récit réaliste, le roman onirique, le désespoir drolatique et la limpidité poétique. D'une modernité étonnante, Leivick nous renvoie aux récits de détention de la Chine ou de la Turquie actuelle. D'après sa traductrice, il nous enseigne « que même si ses crimes sont impardonnables, « l'espèce humaine » est une. »L'écrivain ne veut pas « perdre ma foi en l'homme. Je vous assure. »

Halpern Leivick
Dans les bagnes du tsar - Traduit du yiddish par Rachel Ertel
L’Antilope
Tirage: 2 800 ex.
Prix: 23,50 euros ; 512 p.
ISBN: 979-10-95360-91-9

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