Professeur à Sciences po, historien, spécialiste du Moyen-Orient et ancien diplomate, Jean-Pierre Filiu connaît bien ces territoires meurtris par les dictatures et la corruption. Il parle l’arabe dialectal, ce qui lui permet de savoir ce qui se dit dans la rue, autour de lui. A l’occasion d’un reportage paru dans la revue XXI cet automne, il livre dans Je vous écris d’Alep cette chronique au cœur de la rébellion contre Bachar al-Assad.

Il revient dans cette ville découverte en 1980 - il avait 18 ans - pour partager la vie de ces combattants. Accompagné du photographe franco-syrien Ammar Abd Rabbo, il observe le quotidien de cette population dans une cité interdite coupée en deux, dominée par la citadelle médiévale d’où le régime envoie ses troupes contre l’Armée syrienne libre (ASL).

Mais la guerre dans cet Orient compliqué, c’est aussi le mélange des genres, avec ces militaires qu’on ne distingue plus des civils, des baroudeurs religieux, des têtes brûlées, des adolescents snippers, des vies perdues. Et la population qui survit au milieu des incendies, des tirs, dans une horreur qui s’est banalisée.

Jean-Pierre Filiu ne prétend pas tout comprendre, mais saisir de l’intérieur cet épouvantable conflit devenu un enjeu médiatique avec le Qatar qui encourage les salafistes, et l’Arabie saoudite les jihadistes. On voit comment une révolution non violente s’est transformée devant la militarisation imposée par le régime d’Assad, présenté à tort comme laïc. « La Syrie des Assad, père et fils, n’est en effet laïque que dans l’esprit des thuriféraires de la dictature. »

Jean-Pierre Filiu se trouvait à Alep au moment où l’armée égyptienne renversait le président Mohammed Morsi. Quelques tirs un peu trop rapprochés l’ont incité à quitter cette cité de la peur. Par cette route où les journalistes Didier François, son ami, et Edouard Elias ont été kidnappés il y a plus de trois mois. On a appris depuis que deux autres reporters français, Nicolas Hénin et Pierre Torrès, avaient été enlevés un mois plus tôt. Pas de doute, l’enfer s’est bien installé en Syrie. L. L.