Avant-Critique Roman

Il faudra attendre la presque toute fin du livre, lorsque le narrateur se trouve en Espagne dans la station de Sitarraf, la plus gay friendly qui soit, où il fait le gigolo chez Roberto (une histoire qui s'achèvera par ailleurs mal), et rencontre le jeune Juan, serveur-sculpteur au bar L'Azuria, pour que celui-ci explicite le titre du roman de Corentin Durand : l'inclinaison, c'est le mouvement qu'il imprime de ses mains, devenues calleuses, à ses sculptures, des vases tordus et assez moches. Avant de rentrer en France, à Sète, retrouver le Bleu, son grand amour platonique − contrairement à lui, ce voyou « n'en est pas » −, il a repris des forces, fait l'amour avec passion, ce qui est rare chez lui. « Je désirais les hommes, écrit-il, et je préférais mourir que les embrasser. » Dans un autre passage de ce qui se présente comme une confession, il se définit comme « tout à fait pédé », et « homophobe ». On imagine que sa vie ne va pas de soi.

Pour le narrateur (on ignorera son prénom), la vingtaine, parisien, tout a commencé quand il a rencontré la bande du Grand Djhou, le Vicomte, le Petit Bleu et son frère le Bleu (en fait, un beur qui s'appelle Hocine). Des petits trafiquants, à qui il vend des drogues chimiques. La nuit, aussi, il participe à des partouzes tarifées. Après avoir balancé à la police son propre père, puis d'autres, le Bleu disparaît un jour, parti pour la Costa del Sol. Le narrateur va tout faire pour l'y rejoindre, avant d'ultimes retrouvailles à Sète, où la balance s'est refait une petite vie tranquille, sous sa vraie identité. Entre-temps, il aura vécu bien des mésaventures, racontées en alternance avec le souvenir de son oncle André, mort du sida, comme son compagnon Philippe, en 1996, l'année de naissance du narrateur, et celui de l'écrivain Jacques Costan − une sorte de Modiano − qui s'est suicidé en 1994.

Tout cela est embrouillé à plaisir, dense, servi par une langue sophistiquée, des descriptions superbes et obsédantes, tant des paysages, des situations, que des corps masculins : on pense à Pierre Guyotat, à Patrick Drevet. Corentin Durand, qui a l'âge de son personnage, fait une entrée bien singulière en littérature, comme on s'infligerait une mortification.

Corentin Durand
L'inclinaison
Gallimard
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 20 € ; 304 p.
ISBN: 9782072948619

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