Exposer constitue un moyen privilégié de donner accès à une œuvre et à son auteur. Mais, dans le domaine littéraire, comment présenter une production conçue au départ pour être lue et non pour être vue, sous une forme expositionnelle ? A-t-on le droit de transposer la pensée littéraire, au risque de la transformer et de la trahir ? L’ouvrage collectif Exposer la littérature (1), paru le 17 août aux éditions du Cercle de la librairie, explore pour la première fois tous les aspects de cette aventure singulière que constitue un projet d’exposition littéraire. Il met en lumière les principaux enjeux littéraires, artistiques ou institutionnels qui lui sont attachés, et donne les clés pratiques pour concrétiser dans les meilleures conditions un projet, de la recherche de financements aux questions de droit d’auteur ou de conservation des documents, en passant par les actions de communication et de médiation.
"Rendre visible le lisible"
Puisant dans leur propre expérience et donnant en exemple les grandes expositions littéraires réalisées ces dernières années, en particulier par la Bibliothèque nationale de France et le Centre Pompidou, les contributeurs proposent une réflexion passionnante, propre à inspirer les institutions dédiées au livre, petites ou grandes, et plus largement tous les professionnels du secteur culturel amenés, au fil de leur parcours, à concevoir une exposition littéraire, et par là même à œuvrer pour "rendre visible le lisible", selon la belle expression de l’écrivain et cinéaste Alain Fleischer, l’un des auteurs du livre.
La littérature "n’ayant pas de visage", comme le rappelle l’essayiste Dominique Viart, les premiers défis auxquels se confrontent les concepteurs d’une exposition concernent la forme à trouver pour exprimer l’identité profonde de l’œuvre. Ces dernières années, de nouvelles propositions sont apparues, hybridations de différents courants et disciplines. En 1984, l’exposition "Le siècle de Kafka", au Centre Pompidou, avait donné le ton en choisissant, plutôt que de montrer classiquement les conditions de vie et de travail de l’écrivain, la reconstitution fictionnelle de son univers au travers de vidéos, de conférences, d’œuvres placées dans un environnement visuel évoquant Prague. Dans l’exposition réalisée, également au Centre Pompidou, en 2002 sur Roland Barthes, des artistes étaient invités à réaliser des œuvres conçues spécialement pour l’occasion. L’exposition, souligne Jérôme Glicenstein, auteur et enseignant, est alors pensée comme le terrain de prolongement d’une œuvre.
En 2014, la Biennale d’architecture de Venise propose une exposition chorégraphiée : dans une salle vide, des étudiants en architecture amènent une par une les archives de l’architecte utopiste Cedric Price, expliquent le projet, puis rapportent le document dans l’espace de stockage.
Exposer sans manuscrit
Parmi les différentes formes de médiation de la littérature, la lecture à voix haute se taille aujourd’hui une place de choix, au point d’être au cœur du concept de certaines manifestations telles que Les Ritournelles, créée à Bordeaux en 2000, ou encore Vives voix à Sète depuis 2010. La lecture, affirme Olivier Chaudenson, directeur de la Maison de la poésie de Paris et du festival Les Correspondances de Manosque, est devenu un vecteur important de la transmission littéraire et un outil incontournable de la promotion du livre. Certains auteurs, parmi lesquels Pascal Quignard, Nancy Houston ou Daniel Pennac, ont même fait de la lecture en public une partie spécifique de leur travail, parfois sous des formes très abouties et en lien avec des artistes d’autres champs disciplinaires.
Le numérique, qui conduira à la raréfaction du manuscrit, influencera à l’avenir la manière d’exposer la littérature. De nouvelles expériences émergent déjà, comme celle menée par l’écrivain Orhan Pamuk, créateur à Istanbul du musée de l’Innocence, qui est à la fois un roman et un musée présentant des objets réels qui en nourrissent la fiction.