Elle a été Rosemonde dans La salamandre d'Alain Tanner en 1971, Ariane « dominatrice professionnelle » aux côtés du jeune Gérard Depardieu dans Maîtresse de son mari Barbet Schroeder. A tourné plusieurs fois avec Jacques Rivette dont L'amour fou, « son film préféré », Luis Buñuel dans Le charme discret de la bourgeoisie, Werner Schroeter, Manoel de Oliveira... Elle a joué au théâtre, Duras avec Madeleine Renaud, la mère de Christine Angot dans Un amour impossible et a obtenu un molière pour Rêve d'automne de Shakespeare, monté par son cher Patrice Chéreau en 2010...

Bulle Ogier, 80 ans, a confié à la plume attentionnée de la journaliste Anne Diatkine le soin de raconter sa vie et sa carrière, même si le mot ne paraît pas très juste tant cette comédienne a conduit ses choix sans calcul, au gré des rencontres, si proche de ce drôle de prénom dont elle raconte l'origine ici. Et on la retrouve telle que l'ont fait imaginer ces rôles qu'elle ne pensait jamais « pour elle »: fille des années 70, très jeune mère peu conventionnelle, amie intime de Bernadette Laffont, amoureuse au long cours de son cinéaste de compagnon. Habitant depuis quarante ans le même appartement à géométrie variable, entre Paris et Los Angeles, les Champs-Elysées et Hollywood, un grenier rempli de lettres jamais lues, elle qui « ne jette rien ». On la reconnaît telle qu'elle se décrit, « mélancolique et nonchalante », esquivant le conflit, dans ces mémoires à trous, ce contre « Je me souviens ». « C'est fou comme on n'oublie jamais la météo d'un tournage alors que le reste s'étiole en l'incertitude ». Revenir sur son parcours, c'est croiser en toute intimité le monde international du cinéma d'auteurs, se souvenir d'un nombre de films rares voire invisibles comme ce Notre-Dame-de-la-Croisette tourné avec son ami Daniel Schmid...« J'ai mon petit snobisme : j'ai préféré être une actrice de cinémathèque, plutôt que de la grande distribution, et être filmée par des gens qui ont un regard. Aujourd'hui, je ne conseillerai à aucune actrice d'entrer dans mes pas. Ce serait un suicide professionnel radical. »

Dans J'ai oublié, il y a aussi bien sûr l'inoubliable de cette vie d'abord  « très amusante et joyeuse » qui « s'est coupée en deux » avec la mort à 26 ans de sa fille Pascale, étoile des rohmériennes Nuits de la pleine lune, évoquée de mille gracieuses façons dans ce récit sans pathos mais non sans émotion.