Rencontre

Claudie Guérin, la bibliothécaire de l'AP-HP

Claudie Guérin coordinatrice des bibliothèques de l'AP-HP - Photo Olivier DionOlivier Dion

Claudie Guérin, la bibliothécaire de l'AP-HP

Quel rôle peut avoir la lecture dans l'accompagnement des personnes hospitalisées et des soignants ? De surcroît, en période de pandémie ? Les hôpitaux ne doivent pas être des îlots à part de l'univers du livre : tel est le credo de la directrice du Centre de documentation de l'AP-HP et du Centre Inter-Médiathèques, le service de coordination du réseau des médiathèques des patients et des personnels. Rencontre.

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Par Maïa Courtois,
Créé le 15.03.2021 à 21h16

Lors du premier confinement, elle a dû fermer les portes de toutes les médiathèques qu'elle coordonne. Alors que la pandémie de Covid-19 mobilisait comme jamais les soignants, une seule a fait exception : celle de l'hôpital Raymond Poincaré. « Pour le personnel, c'était essentiel : il n'y avait pas d'autre lieu en dehors du soin pour se poser dans la folie de leur journée », raconte Claudie Guérin. « Pour les patients très isolés aussi, c'était important ». Plusieurs événements ont dû être annulés, dont la « Carte blanche aux médiathèques » proposant une centaine d'actions culturelles, chaque mois de novembre. « On voulait s'associer à l'Année de la BD... On essaiera de la faire en 2021, cette Carte Blanche autour de la BD », promet la professionnelle.

Maintenir le lien à la lecture, envers et contre tout. Ce mot d'ordre guide Claudie Guérin depuis le début de sa carrière. « Nous allions tous les mercredis dans les jardins et les cages d'escalier pour rencontrer les enfants et leurs parents », se souvient celle qui rejoint, au début des années quatre-vingt, La Joie par les livres, à Clamart (Hauts-de-Seine). « La bibliothèque était à deux pas, mais ils ne s'y rendaient pas. Alors il était important de venir à eux. C'est un droit qu'on leur doit ».

Offrir de tout, sans censurer

Entrée à l'AP-HP en 1996, elle prend la direction de son Centre Inter-Médiathèques coordonnant les médiathèques et les points lecture, puis de son Centre de documentation. Un rôle peu connu à l'extérieur, et pourtant précieux pour les patients et ceux qui les soignent. Dans ces lieux-là aussi, « toute la population est représentée : les gens n'ont pas tous des pratiques de lecture. C'est à nous de faire en sorte que le temps difficile de l'hospitalisation soit un moment privilégié ». L'aller-vers est une philosophie que n'a pas lâchée, quarante ans après, cette professionnelle de 62 ans.

Les médiathèques ont fini par rouvrir, avec des contraintes spécifiques. À l'hôpital pédiatrique Robert Debré, « les documents rendus sont mis en quarantaine pendant trois jours, et les intervenants extérieurs doivent suivre une formation aux gestes barrière », détaille Malika Ben Mesbah, responsable de la médiathèque, qui continue de réunir des enfants pour des ateliers à condition qu'ils soient issus du même service. Les bibliothécaires s'appuient aussi sur le prêt de liseuses, faciles à désinfecter.

25 bibliothécaires salariés animent 20 médiathèques, sur les 39 hôpitaux que regroupe l'AP-HP. Pour le reste, des points lecture sont gérés par des bénévoles, à l'image de ce qui se fait dans l'immense majorité des hôpitaux en France. Le réseau comptabilise 350 000 références : livres, CD, DVD, revues... 150 000 prêts sont enregistrés chaque année, à destination des patients comme des soignants. Ils peuvent s'effectuer à la médiathèque, à la demande, ou grâce à des chariots mobiles circulant dans les services. Quant au catalogue, « l'idée est d'offrir de tout, sans censurer tel thème ou tel ouvrage au prétexte que l'on est à l'hôpital », insiste Claudie Guérin.

Il en est de même pour les animations : « On fait à l'hôpital tout ce que l'on peut faire ailleurs ! ». Chaque année, le réseau s'associe au Printemps des Poètes : en 2021, des expositions auront lieu sur le thème du désir, et 10 000 cartes poèmes seront distribuées. Le reste du temps s'organise des ateliers graphiques avec des illustrateurs, des venues de conteurs, des ateliers manga...

La culture, partie prenante du soin global

L'idée que la culture fait partie du soin « monte en puissance » depuis la création des conventions Culture et Santé, estime la professionnelle. « Quand vous ne pouvez plus lire pour raisons médicales, qu'un bibliothécaire vous fait confiance et que vous arrivez au bout de ce livre, c'est une sacrée victoire », assure-t-elle.

Du côté des enfants, « fréquenter un autre lieu que la chambre est une bulle d'oxygène. La médiathèque est décorée, chaleureuse, avec des petites lumières : rien ne rappelle que l'on est à l'hôpital », décrit Malika Ben Mesbah, qui fait la part belle aux livres autour de l'évasion. Parmi les titres qui marchent le mieux, on retrouve ainsi la saga fantastique Les royaumes de feu (Gallimard Jeunesse). La médiathèque mise aussi sur des ouvrages familiers, dont les enfants ont lu les premiers tomes chez eux ou à l'école : la série de bande dessinée Mortèle Adèle (éditions Tourbillon), les albums de Stephanie Blake (L'École des loisirs)... Des repères rassurants. Enfin, une attention particulière est portée à la relation parents-enfants au cours des lectures. « Être au chevet de son enfant sans s'occuper du reste de la fratrie, c'est une relation nouvelle. On fait en sorte de ne pas intervenir dans ces moments particuliers de partage », décrit Malika Ben Mesbah.

Au printemps, un site regroupant des ressources autour du livre à l'hôpital sera lancé par la Fill, en partenariat avec les ministères de la Culture, de la Santé, l'AP-HP et l'EHESP. Destiné aux bénévoles, bibliothèques municipales et directeurs d'établissements, il vise à inspirer d'autres projets en France. Défendre l'intérêt de la culture à l'hôpital reste un défi dans un contexte budgétaire de plus en plus restreint. « C'est une lutte de chaque instant, au fil des changements de directions ou d'orientations », soulève Claudie Guérin. « Il faut de l'énergie, de la conviction », conclut celle qui n'en manque pas.

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