Elles étaient huit. Huit femmes, huis clos. Des tragédies s'insinuent et un vase pareillement clos s'instaure. Alors forcément, l'évident hommage à Agatha Christie est en ligne de mire. De quoi fuir, vu la multiplication des récentes déférences, pas toutes bien digérées, à la « reine du crime ». Mais comptons sur Chris Brookmyre, maître du Tartan noir et du Scottish twist, pour porter l'héritage vers d'inédites déviations. Et nous ne sommes pas déçus.
En marge d'un prochain mariage qui n'est pas le premier, la quadra Jen enterre une vie de jeune fille qu'elle n'est plus. Sous les fastes d'une luxueuse demeure, accrochée sur les falaises d'une petite île fictive des Hébrides, au large de l'Écosse, elle réunit six connaissances plus ou moins lointaines, piochées un peu au pif pour illustrer les différentes étapes de son existence méandrique. L'idée s'avère douteuse et tourne vite au vinaigre, malgré la prestance de protagonistes aux profils pittoresques, telles Michelle, la rock star de la bande, ou Lauren, la trouble propriétaire des lieux et coercitive huitième convive. Tout le monde se sourit mais se toise en chien de faïence. Les liens qui unissent les dames, redevenues adolescentes sans entraves masculines, sortent de l'ombre, les connivences comme les rancœurs. Un jeu de chaises musicales s'ensuit, avec ses règles et ses coups fourrés. Samira, la future belle-sœur de Jen, caracole momentanément dans le rôle de chipie désinvolte que son âge lui accorde. Helena, qui avec un peu plus de niaque aurait pu être Michelle à la place de Michelle, rumine mais sécurise la façade. Nicolette et la benjamine Kennedy n'en perdent pas une miette. Mais c'est autour de l'ambigu personnage de Beattie, sœur de Jason, le premier mari toxique et disparu de Jen, que se cristallisent nos craintes de dérapage. Et ça ne tarde pas, lorsque Joaquin, le beau cuisinier bodybuildé, est retrouvé égorgé sur son plan de travail. Dès lors, Chris Brookmyre dissèque tous les profils, jusqu'à nous faire douter de chaque innocence. Nicolette, jadis traumatisée par la chanson Tsunami des Manic Street Preachers ? Kennedy, la sportive dont on n'est pas sûr qu'elle porte vraiment cet étrange patronyme ? Que sera, sera, le sort des unes et des autres ? Quel est ce fil rouge qui relie chacune ? Un monstre rôde, certes, mais n'est-il pas déjà tapi au sein du groupe, les poussant une à une à l'introspection puis à la confession ? Qui ne pardonne pas à celles qui l'ont offensée ? La psychologie vire à l'éthologie et le roman prend une dimension dramatique d'une rare intensité.
Obligés de se montrer à découvert, les petits chaperons bougent. Mais le grand méchant loup allonge ses foulées et se rapproche inexorablement, diffusant tel un invisible DJ des refrains bavards du rock'n'roll comme Celebrity Skin, Drive ou She Knows. Les cartes tombent sur table sans qu'aucun atout ne conclue la partie. L'angoisse raréfie l'air sous les éteignoirs de l'escroquerie, des trahisons ou des jalousies ordinaires. La trame se densifie et le brouillard ne baissera la garde qu'en bout de course, une fois caractérisées toutes les pénitences et expiations. Étouffant mais émérite.
La maison sur la falaise
Métailié
Traduit de l’anglais (Écosse) par Céline Schwaller
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 22,50 € ; 384 p.
ISBN: 9791022613637