C'est beau d'être jeune

Des siècles et des siècles de Christophe Honoré et Gwen Le Gac chez Thierry Magnier.

C'est beau d'être jeune

Familles monoparentales, nécessité de préserver la planète, féminisme et autres questions existentielles traversent la littérature jeunesse - plus que jamais miroir vivifiant de l'époque. Ce qui n'empêche nullement la créativité et l'humour de s'exprimer en cette rentrée foisonnante. 

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Par Alexandre Mouawad
Créé le 12.09.2024 à 10h11 ,
Mis à jour le 12.09.2024 à 15h43

Voilà belle lurette que l'album jeunesse n'est plus seulement peuplé de petits lapins niais et insouciants. Pas d'âge pour s'initier aux aspérités de la vie ou aux phénomènes de société. Finie la représentation des papas lisant leur journal au salon et des mères affairées en cuisine. Parfois il n'y a plus de papa du tout, comme dans la vraie vie. Ma maman papillon de Gwénola Morizur et Servane Revault (Langue au chat) aborde le quotidien difficile des mamans solo. Une histoire lesbienne et anticonformiste est au cœur d'Anémone et Sylvia (Talents Hauts), hymne coloré à la liberté d'aimer et premier album jeunesse de la Norvégienne Jenny Jordahl, engagée pour l'inclusion et le féminisme. L'album peut aussi revisiter un passé familial douloureux comme dans le poétique Le goût du cresson d'Andrea Wang (HongFei). Le deuil n'est plus tabou y compris chez des plumes réputées légères comme Olivier Tallec. Dans Est-ce qu'il dort ? (L'École des loisirs), l'ami merle est couché à terre et a l'air de dormir... Au revoir, mésange d'Astrid Desbordes et Pauline Martin (Albin Michel Jeunesse) parle aussi de disparition. À la frontière entre beau livre et roman graphique, Stardust. Poussière d'étoiles d'Hannah Arnesen (Thierry Magnier) plonge dans le passé de notre planète afin de nous faire réagir face à l'urgence. De même chez Kaléidoscope, Notre histoire. Comment nous en sommes arrivés là, et où nous pourrions aller d'Oliver Jeffers est une fresque philosophique ambitieuse qui se demande quelle histoire écrire pour les générations futures. Nous les humains de Bernd Mölck-Tassel et Dieter Böge (La Joie de lire) tisse une ode à l'humanité par-delà nos dissemblances, ponctuée par des phrases simples telles que « nous n'aimons pas nous ennuyer » ou « nous avons des secrets ».

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Princesses oubliées ou inconnues de Philippe Lechermeier et Rebecca Dautremer chez Gautier-Languereau.

Fêtes vite !

Le documentaire aborde des thématiques inédites. Ainsi le joyeux Carnaval ! de Catherine Loizeau et Béatrice Veillon (La Partie) recense tous les carnavals du monde, de la Sardaigne à Notting Hill en passant par les Caraïbes. Un tour du monde des fêtes qui font peur (Phaidon) de Matt Ralphs et Veronika Kotyk présente, lui, des fêtes parfois terrifiantes comme le Día de Muertos au Mexique et le Setsubun au Japon. Pour les plus grands, chez Casterman, Quand on arrive en France. Histoire de l'immigration de Jean-Michel Billioud et Michaël Sterckeman invite à réfléchir aux immigrés appelés à la rescousse puis rejetés au gré des crises.

Le jeu du noir de Francesca Scotti et Claudia Palmarucci chez La Partie.- Photo TM & © 2024 WBEI. PUBLISHING AND THEATRICAL RIGHTS © J.K.R. ILLUSTRATION DE MINALIMA © J.K. ROWLING

L'hymne à la nature est toujours plébiscité. Les enfants de Madame Ô de Jean-Christophe Cavallin et Jérémie Moreau (Albin Michel Jeunesse) reconnecte les enfants au monde sauvage. A & B Bons Amis de Sara Donati (Rouergue jeunesse) raconte une tendre histoire d'amitié entre un hérisson et une oie blanche.

Il était une joie

Dans un monde anxiogène, il faut de l'optimisme. Et la roborative Susie Morgenstern n'en manque jamais : Le monde est à toi, illustré par Hélène Druvert (Saltimbanque), liste avec bonheur toutes les bonnes choses de la vie. Dans Mouette et Chouette de Sandra Le Guen et Julien Arnal (Little Urban), deux animaux fondent un foyer malgré leurs différences. La lecture, elle, est souvent consolatrice. Dans le rigolo La folle tournée d'Albert le libraire de Nathalie Lescaille et Émilie Michaud (Gründ), un libraire offre à chaque habitant de la forêt le livre qu'il lui faut en guise de médicament. Raconte ! La véritable histoire du premier rat de bibliothèque de Marine Cotte, Stéphane Fitoussi et Yomgui Dumont (Syros) nous initie aux secrets de la BnF. Le gros livre de Delphine Perret (Les Fourmis Rouges), amusante déclaration d'amour au livre, est en fait tout petit (9 x 12 cm). À défaut de lectures, on peut aussi se consoler avec des nourritures terrestres. Un automne avec M. Henri de Fanny Ducassé (Seuil Jeunesse) nous régale de recettes de saison. Pour les tout-petits, le moment redouté de l'endormissement fait l'objet de toutes les attentions, comme dans 1,2,3... sommeil ! de Bernadette Gervais (Les Grandes Personnes) et Gros câlin d'Annabelle Buxton (La Partie).

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L'hypermarquête de Gilles Bachelet au Seuil Jeunesse.

On peut compter sur l'album pour inventer les situations les plus inédites. Comme un poussin qui perce la toile du facteur et se retrouve au cœur de New York dans Piou piou pidou de Fabienne Roulié et Tommaso Carozzi (Gründ). On peut aussi voir des maisons partout dans un réveil, un pot de fleurs, une chaussure comme dans Les maisons imaginaires d'Anne Montel (Little Urban).

L'humour reste l'antidote cardinal contre la sinistrose. L'amusant Dévacance Colère de Marina Philippart (MeMo) imagine un été vide où tous les enfants ont disparu à cause du monstre éponyme. Le catalogue des jouets de Roland Garrigue (Seuil Jeunesse), lui, propose un faux catalogue de jouets complètement déjantés. Jojo le terrible de Didier Lévy et Caroline Huë (Gründ) est désopilant avec son monstre qui ne fait peur à personne. Même ses parents font semblant de sursauter à son arrivée ! Chez Larousse, on se gondole avec 100 choses à faire avant d'avoir 10 ans de Virginie Aladjdi, Caroline Pellissier et Aurélie Guillerey. Par exemple embrasser la voisine qui pique.

Pas de fin d'année sans raz de marée de contes. Des classiques comme La petite sirène chez Flammarion, illustré par MinaLima, ou puisant dans une diversité culturelle comme L'enfant au poisson rouge et autres contes d'apprentissage de Muriel Bloch (Gallimard Jeunesse). Certains contes les détournent comme le loufoque Le gardien des contes de Christine -Schneider et Hervé Pinel (Saltimbanque) où tous les contes classiques se mélangent les pinceaux. Blanche-Neige pique-nique avec le grand méchant loup et les trois petits cochons ne veulent plus rentrer dans leur maison. Dans Le goûter de Loup de Sandrine Beau et Aurélie Guillerey (Gründ), c'est la fillette qui mange le loup !

Plein les yeux

Enfin saluons le travail graphique et la créativité narrative. Dans ce registre, on retiendra entre autres Un abri d'Adrien Parlange (La Partie) ou comment partager un peu l'ombre d'un rocher. L'original Eatopedia. Les pouvoirs fascinants de la digestion (Saltimbanque), Aina Bestard rend hommage aux planches d'anatomie à travers l'histoire passionnante de la digestion d'une étoile de mer, d'une vache ou d'une tarentule. Dans Petit caillou de Jérôme Ruillier (L'Agrume), un petit caillou pensait qu'il ne servait à rien et pourtant... Loups, le nouveau pop-up d'Elena Selena (Gallimard Jeunesse), déploie ses paysages nocturnes somptueux. Chez le même éditeur, Ceci n'est pas une chaussure de Manon Bucciarelli éblouit lui aussi la rétine. Chez MeMo, l'original Le livre des cinq sens de Lucie Lučanská invite à une promenade sensorielle. Chez Thierry Magnier, Le ventre de Joseph, de Marie Desplechin et Michaël Cailloux, est un pari et une réussite qui retrace une correspondance au siècle des Lumières entre un moine et une gente dame avec, au milieu, Joseph, un enfant comme un trait d'union.

À L'École des loisirs on attend beaucoup du prochain Grégoire Solotareff, Perce-neige, et de Monsieur le Lapin Blanc de Benjamin Lacombe. Et chez Hélium on mise sur Pompon ours. Love me doux de Benjamin Chaud. Gautier-Languereau, lui, réédite vingt ans après un album culte : Princesses oubliées ou inconnues de Philippe Lechermeier et Rébecca Dautremer.

Enfin, tous les ans, de nouveaux écrivains pour adultes écrivent pour la jeunesse. Cette année Gaëlle Josse publie Le fil entre nos cœurs (La Joie de lire), Julia Kerninon Ma vie en grand (Seuil Jeunesse). À ce soir, maman ! est signé de Chimamanda Ngozi Adichie. Enfin chez Paulsen, Alexis Jenni lance une collection passionnante, « Celui ou celle qui », initiée avec l'histoire de John Muir, « inventeur » des parcs nationaux américains.

Le roman jeunesse est, lui, toujours marqué par la fantasy sous toutes ses formes, si bien qu'il faut parfois inventer de nouvelles étiquettes. « Afrofantasy » pour Adia Kelbara à l'académie des chamans d'Isi Hendrix (Seuil Jeunesse). « Romantasy » pour All the Hidden Monsters d'Amie -Jordan chez Gallimard Jeunesse. Au Rouergue, Le sang d'encre, tome I de Nena Labussière, premier roman d'une autrice-libraire, est une « fantasy médiévale ». Chez Bayard, Victor Dixen, maître de la littérature de l'imaginaire, fait son entrée au catalogue avec Agence Perdido, peuplé de disparitions et de croque-mitaines. Chez Flammarion, Ono. La pierre des miracles d'Hélène Cica initie une trilogie fantastique. NOUS, roman haletant de l'autrice à succès Christelle Dabos, bénéficie de deux éditions, une courante et une collector. À L'École des loisirs, Entrer dans le monde de Claire Duvivier est un roman d'anticipation qui pose la question de la prise de conscience politique et du libre arbitre. Chez ce même éditeur, Marie Desplechin dans Le fantôme de Suzanne Fougères déploie aussi une touche de fantastique. Inès y entend une voix de femme, à peine plus âgée qu'elle, enfin à 100 ans d'écart.

La non-demande en mariage

Comme les années précédentes le féminisme se taille une belle part. Syros, avec Mon amie Léno de -Catherine Locandro, publie l'histoire de l'aviatrice Hélène Boucher qui veut bien tout sauf avoir comme unique perspective le mariage ! Une autre est prête à tout pour échapper à la bague au doigt, c'est miss Jones, héroïne explosive de Reine de l'Ouest de H. Lenoir (Sarbacane), un western féministe et euphorisant dont vous êtes l'héroïne. Francœur, le nouveau roman de Marie-Aude Murail et Constance Robert-Murail à L'École des loisirs, plonge dans la vie d'artiste au XIXe siècle, avec pour figures tutélaires George Sand, Rosa Bonheur... Chez Thierry Magnier, Hélène Vignal, dans Romance à la découpe, renverse la romance dans une fiction percutante.

Cette année on dénombre un peu moins de dystopies que les années précédentes. Dans Au large des Vîles de Lucie Pierrat-Pajot (Gallimard Jeunesse), le monde est devenu si invivable que Bunny, 17 ans, vit dans un archipel de décharge où la population se réfugie dans un monde parallèle. Chez Albin Michel Jeunesse, Humanimal de l'influenceuse Emy Letertre inverse la vapeur. À l'aube d'une catastrophe climatique, les animaux ont su évoluer pour sauver la planète et les humains... 

Le malaise existentiel n'épargne pas les adolescents. Chez Albin Michel Jeunesse, le roman Hikikomorie. Dans le silence de ma chambre de Sophie Carquain plonge dans l'intimité d'adolescents reclus. Chez Gallimard Jeunesse, The Way I Am Now d'Amber Smith, est la suite attendue du phénomène TikTok The Way I Used to Be, qui racontait le viol de l'héroïne. Chez Syros, Quelque chose sur le cœur d'Amélie Antoine évoque le harcèlement scolaire. Chez Milan, Ombreline de Manon Forgetton traite le délicat sujet de l'inceste. À L'École des loisirs, dans Le théorème du kiwi, Jacky Schwartzmann traite d'un sujet grave, la maladie mentale, mais avec humour et empathie. Ernest, fils du psy, voit débouler deux filles de l'hôpital psychiatrique, l'une bipolaire, l'autre autiste. Un road trip qui nous invite à nous demander : la vie normale, c'est quoi ? On peut aussi être orpheline et se marrer comme dans Léo et les orphelins de Paris. La formule secrète, tome I de Thibault Bérard, qui a pour cadre le Paris des années 1870 (Albin Michel Jeunesse).

Aux éclats

Chez les plus jeunes (8-11 ans) le ton est à la légèreté et à la poésie. Hélium publie l'adorable L'étoile de Mo de Yeonju Choi à destination des primo-lecteurs, où un petit chat peine à trouver le sommeil et s'aventure en pleine nuit dans la forêt. Pour cette tranche, l'humour est l'ingrédient majeur. C'est le cas de Détectives Grébor de père en fille, qui a un cadre rigolo, le showbiz des années 80, vu par Yves Grevet, Carole Trébor et Benjamin Chaud (Little Urban). Chez Actes Sud Jeunesse, la série Le gang du CDI de Vincent Mondiot est irrésistible. À L'École des loisirs, la série à succès hilarante Chien pourri fait l'objet d'une compilation. Au Seuil Jeunesse l'indémodable Journal d'un dégonflé, de Jeff Kinney en est à son 19e tome. (Pour mémoire, la série compte plus de 4 millions de livres vendus en France.) Rires aussi dans Enquête à la librairie Potions (Poulpe) de Roseline Pendule et Antonin Faure. Chez Sarbacane, la nouvelle collection « Pocus », dévolue aux premières lectures, lance Les petites sorcières. Tildir la catastrophe d'Anne-Fleur Multon. Chez Gallimard Jeunesse la plupart des romans titillent aussi les zigomatiques. Que ce soit le drôlissime Les exploits de Connie Mara, de Jean-Philippe Arrou-Vignod, un roman à la fois polar et livre d'aventure qui campe une fratrie partie à la recherche de leur mère, autrice de... polars ou Les téléphonistes anonymes d'Agnès Desarthe qui met en scène un groupe de collégiens tentant de décrocher de leur portable. Toujours chez le même éditeur une autre autrice pour adultes, Monica Sabolo, signe un roman rigolo, Les weirdos. Enfin, Bob Popcorn de Maranke Rinck raconte l'histoire loufoque et tendre de Bob, un grain de maïs qui refuse d'exploser et qui a ses accès de colère. Enfin si aucune de ces histoires ne vous inspire vous pourrez toujours écrire la vôtre, chez Gallimard Jeunesse qui plus est, avec L'histoire en vous de Ruta Sepetys, un guide d'écriture personnel et pertinent ! L

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