Vous avez intégré le Renaudot en mai dernier, comment se sont passées vos premières réunions ?
Pour être honnête, je n'étais pas présente à la première réunion pour des raisons indépendantes de ma volonté, j'étais en déplacement professionnel. Mais je peux vous dire que, déjà avant l'été, j'ai été étonnée de constater que chaque juré fournissait une liste de 12 romans et 8 essais en guise de présélection. Nous sommes 10 et certains titres se répètent, certains jurés s'inspirant des autres sélections, mais nous sommes arrivés à travailler sur une base d'une soixantaine de livres, c'est vaste ! Je croyais que ce jury était paresseux et ne lisait pas, c'est faux.
Vous évoquez une présélection plus variée. Votre première sélection montre aussi une diversité de maisons d'édition représentées et cela détonne avec les années précédentes. Avez-vous décidé d'améliorer l'image de ce prix, entachée en 2019 par l'affaire Matzneff ?
Non, pas que je sache. En tout cas, ça m'étonnerait qu'il y ait eu des discussions informelles à ce propos. En revanche, je peux vous dire que quelque chose m'a tout de suite préoccupé dans ce système de grands prix dès mon arrivée et c'est la présence systématique de plusieurs livres. C'est vrai que certains font l'unanimité comme le livre de Mohamed Mbougar Sarr, mais d'une manière tellement énorme qu'on dirait un symptôme. Je suis heureuse de voir que d'autres se sont faufilés, comme Murnau des ténèbres de Nicolas Chemla ou Châteaux de sable de Louis-Henri de la Rochefoucauld, aussi repéré par le jury de l'Interallié. Cela rend la première sélection plus variée. Mais bon, ce n'est pas encore parfait. Comme le Renaudot a été tellement attaqué ces derniers temps, il a peut-être à se faire plus pardonner que d'autres prix et je pense que cela prendra du temps.
S'il n'y a pas eu de discussion avec eux, alors quelles règles vous êtes-vous posées en tant que jurée ?
J'ai une éthique interne. Certes, nous sommes en France où l'on applique informellement des règles à la française et non à l'anglo-saxonne. À partir du moment où les jurys sont nommés à vie, l'intérêt d'entrer dans l'un d'entre eux reste d'aborder le plus largement possible l'actualité littéraire. Nous avons tous des copains qui écrivent et on va les lire, ça va de soi. Je ne raisonne pas en fonction des éditeurs mais plutôt en fonction des amis qui vont, évidemment, m'envoyer leur livre dédicacé au début de l'été. N'empêche, il faut que la curiosité soit la plus poussée possible, pour aller vers des pépites et des auteurs qu'on ne connaît pas. C'est ce qu'on s'est dit avec Stéphanie Janicot [qui a également intégré le jury en mai dernier, NDLR]. Et c'est ce qu'on a essayé de faire même si, à la fin, nous nous sommes retrouvés avec des livres qui étaient sur d'autres listes également.
On reproche souvent au Renaudot de proclamer un lauréat qui ne figurait pas sur la liste ou d'intégrer des invités surprises sur les deuxièmes ou troisièmes sélections, que pensez-vous de ce procédé ?
Je m'oppose fermement à l'apparition subite et injustifiée d'un invité surprise et je pense que Stéphanie Janicot me rejoint sur ce point. On espère que cela n'arrivera plus.
Jérôme Garcin a quitté ce jury en 2020 en alléguant des « vices de forme » qui ont été révélés par l'affaire Matzneff. La présence de Christian Giudicelli, ami de Gabriel Matzneff, a été notamment décriée. Son maintien au jury vous a-t-il gêné ?
Pas du tout, ça ne me pose aucun problème que Christian Giudicelli fasse encore partie du jury. Il a été attaqué, c'est à lui de faire son examen de conscience. Cela ne l'empêche pas d'avoir un goût et une vision critique, donc non, ça ne me pose aucun problème.