Salaires

Ce qu'on gagne dans l'édition

Travail éditorial chez Leduc.s. - Photo Olivier Dion

Ce qu'on gagne dans l'édition

Photographie de l'état des rémunérations dans l'édition, le rapport social de branche enregistre pour 2017 une relative stagnation des salaires dans le secteur. La mobilité reste le principal moyen de progression. _ par Hervé Hugueny

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Par Hervé Hugueny,
Créé le 28.09.2018 à 17h15

Choisis par passion, les métiers de la culture sont réputés moins rémunérateurs que d'autres, qui sont en revanche moins valorisants pour l'image personnelle. L'édition s'inscrit dans ce cadre. A 51 500 euros de salaire brut moyen en 2017, d'après le dernier rapport social de branche réalisé pour le Syndicat national de l'édition (SNE) par Asympteo (voir méthodologie p. 26), ses cadres apparaissent moins bien payés que la moyenne des cadres en France, dont la rémunération moyenne atteint 56 000 euros selon le dernier bilan de l'Association pour l'emploi des cadres (Apec). Le salaire moyen des techniciens et agents de maîtrise est aussi moins favorable dans l'édition, à 32 000 euros en moyenne, contre 35 700 euros pour les professions intermédiaires, la catégorie la plus approchante dans la classification de l'Insee. En revanche, celui des employés du secteur se révèle légèrement supérieur, à 26 550 euros, contre 25 730 euros en général selon l'Insee.

Ces moyennes cachent cependant de fortes disparités chez les cadres, qui représentent environ 70 % des effectifs. A 28 000 euros, les 10 % les moins payés de l'échelon C1A, le premier de la convention collective (correspondant à la fonction d'assistant d'édition, de même que C1B), gagnent près de 10 fois moins que les 10 % les mieux payés du dixième échelon (C5, 188 111 euros), où se trouvent les directeurs généraux. Toujours chez les cadres, le salaire médian qui répartit l'effectif en deux parties égales, est à 34 158 euros au premier échelon, et à 125 836 euros au dernier, soit 3,7 fois plus.

Les petites maisons sous-représentées

Le salaire médian du 5e échelon, au milieu du tableau et correspondant aux fonctions d'attachée de presse, responsable de cession de droits, responsable des comptes clés, ou encore chef de fabrication, est à 45 410 euros. Le tableau est plus homogène chez les employés, avec un différentiel de 26 % entre le salaire médian du premier et du dernier échelon (21 580 euros et 27 300 euros). L'écart est aussi de 26 % chez les techniciens et agents de maîtrise entre les médianes des deux extrêmes de la catégorie (de 28 368 euros à 35 683 euros).

Seule source disponible sur les salaires du secteur, cette enquête reflète surtout la situation dans les groupes, en majorité basés à Paris, qui représentent les deux tiers des entreprises ayant répondu, mais 93 % des quelque 6 400 salariés concernés (effectif présent en fin d'année). Par rapport aux 13 300 salariés que comptent les entreprises d'édition, selon les « Chiffres clés du secteur du livre » (hors personnels de la distribution, données 2016, dernières disponibles), la base de l'enquête apparaît importante, mais les petites maisons y sont sous-représentées. Leurs salaires sont très vraisemblablement inférieurs à ceux enregistrés dans le rapport.

Chez Lefebvre Sarrut, le salaire des cadres se situe à environ 10 % au-dessus de la moyenne de l'édition, indique Thomas Sarazain, DRH du premier éditeur juridique en France (1 100 salariés rattachés à l'édition, sur 1 300 en France), et 4e mondial (2 600 personnes en tout). « Le groupe investit dans ses collaborateurs et souhaite les fidéliser, avec un véritable accompagnement dans la formation, et un encouragement à la mobilité interne dans ses différentes filiales, en France et à l'étranger », insiste le DRH, un des rares interlocuteurs disponibles sur ce sujet, évoqué avec réserve dans l'édition alors que d'autres secteurs affichent plus volontiers leur politique en la matière.

A périmètre comparable (entreprises ayant répondu en 2016 et 2017), le salaire moyen des cadres reste presque identique à un an d'intervalle, à 51 520 euros (+ 0,2 %), comme c'est le cas, selon l'Apec, pour la moyenne, tous secteurs confondus. Les moyennes des 3 premiers échelons reculent légèrement (-0,8 %), ceux des suivants augmentent à des rythmes variables (+ 0,2 à + 1,5 %). La baisse la plus nette (- 2,5 %) affecte l'échelon le plus élevé, en raison du poids de la part variable, qui représente 14 % du salaire moyen des cadres dirigeants. Son recul confirme une année difficile dans l'édition, où les élections ont perturbé l'activité, comme les professionnels le redoutaient. Les salaires médians, toujours inférieurs aux salaires moyens, donnent une image plus nuancée, avec des baisses limitées à deux échelons (C1B, -2,1 %, et C2A, -0,7 %), et des hausses comprises en 0,2 et 1,4 %.

La comparaison sur le long terme est plus incertaine à établir, en raison des conditions de l'enquête : la présence ou l'absence, parmi les répondants, d'un groupe important dont le profil serait particulier peut introduire un biais dans les résultats, d'où la limitation de la mesure de la variation à l'année N-1. En 2017, par exemple, l'absence des données de France Loisirs a sensiblement réduit le nombre d'employés, expliquant le différentiel constaté à 5 ans dans cette catégorie (voir graphique p. 22), par rapport aux cadres.

Dans un secteur en faible expansion, où les créations de postes sont relativement rares, la mobilité reste le principal vecteur de hausse de salaire. « Le bonus minimum est d'environ 10 % par rapport au salaire antérieur, et plus l'expérience est importante, plus le différentiel doit augmenter par rapport aux cadres plus jeunes qui sont encore dans une construction de parcours », explique Laurence Mathieu. Consultante associée, chargée du recrutement et des RH au cabinet Axiales, elle constate d'ailleurs une certaine tension sur le marché de l'emploi dans l'édition, avec des -recrutements plus compliqués, et un volume de candidats moindre.

+ 16,7 % pour le salaire des hommes

Bien que les femmes représentent les trois quarts des effectifs de l'édition, elles n'échappent pas à l'inégalité salariale générale, même si le phénomène est moins important que dans d'autres secteurs économiques. Le -salaire moyen des cadres hommes est de 57 275 euros, soit 16,7 % de plus que celui des femmes (49 050 euros). Mais à poste équivalent, les différences sont moindres, de 1 à 10 %, avec deux exceptions : les femmes de l'échelon C2A (attachées de presse et responsables de cessions de droits), sont très légèrement mieux payées que leurs homologues masculins du même niveau. A l'inverse, chez les cadres du 7échelon (directeurs éditoriaux et commerciaux), la différence culmine à 19 % en faveur des hommes.

Surreprésentation des femmes au bas de la grille des salaires

La différence vient surtout de la surreprésentation des femmes au bas de la grille des salaires, et de leur proportion toujours plus réduite à chaque niveau supérieur : elles représentent 82 % des effectifs du 1er échelon, 67 % du 5e, 63 % du 9e (directions de départements), et 47 % du dernier (directions générales). Dans les conseils d'administration, leur proportion tombe à 35 %. Au Royaume-Uni, où la situation est identique pour les mêmes raisons, la révélation désormais obligatoire de ces chiffres (« Name and shame ») pour les entreprises de plus de 250 salariés a soulevé une vague d'indignation dans les groupes.

Par fonctions, la situation apparaît plus nuancée. Les différences les plus importantes en défaveur des femmes se situent chez les maquettistes et les responsables commerciaux (salaire médian inférieur de 20,7 %), les directeurs artistiques (- 18,8 %), les délégués pédagogiques (- 12,7 %), les directeurs commerciaux (- 12,5 %), ou encore les responsables d'édition (- 10,2 %). A l'inverse, les salaires sont presque égaux dans les directions du marketing (- 0,7 % pour les femmes), supérieurs pour les femmes parmi les chefs de fabrication (+ 5,6 %), les chefs de produit (+ 8,7 %), les responsables des droits (+ 9,4 %), et même très supérieurs dans le bastion féminin que constituent les attachés de presse (+ 36,7 %).

Des salaires très stables

Evolution des salaires moyens dans l'édition entre 2013 et 2017.- Photo SOURCE : SNE

1. Les salaires de l'édition selon le sexe et l'âge

FonctionsEffectifArrayFemmesArrayHommesArrayArray
ArrayFemmesHommesArrayAgeArrayAgeEcart salaire
Directeur éditorial1174868 2004970 76649-3,8%
Responsable d'édition1704849 1254654 14047-10,2%
Editeur4487737 1193940 32043-8,6%
Assistant d'édition1692827 4003326 976311,5%
Directeur artistique241643 7394351 94447-18,8%
Concepteur graphique461635 1894037 50038-6,6%
Maquettiste271030 0004236 21945-20,7%
Chef de fabrication551445 6004743 052445,6%
Cadre de fabrication421439 4934339 015441,2%
Technicien de fabrication892332 5003732 000371,5%
Directeur commercial122667 1304575 50051-12,5%
Responsable com- mercial251140 0744248 36047-20,7%
Responsable des comptes clés11744 7693844 000411,7%
Représentant23927836 3784637 88550-4,1%
Délégué pédagogique292536 3004840 89949-12,7%
Assistant commercial1151430 2603930 049420,7%
Directeur du marketing251673 0004373 52046-0,7%
Responsable des études marketing24646 2503945 600311,4%
Chef de produit781436 2983233 132358,7%
Attaché de presse103443 4124127 5003436,7%
Responsable cession et Acquisition de droits34644 7584140 558479,4%
Contrôleur de gestion813445 2693348 00035-6,0%
TOTAL 20171 96373543 5744342 295420,0%

2. Employés

EMPLOYÉS1er décileMédiane9e décileMoyenne
E419 24421 69127 45222 836
E520 33323 40029 58724 493
E621 74025 41529 84625 461
E723 00726 18233 64927 204
E823 41728 80033 05828 592
E923 00728 00038 26029 649

3. Techniciens et agents de maîtrise

TECHNICIENS - AM1er décileMédiane9e décileMoyenne
T124 69229 85735 79629 809
T124 69229 85735 79629 809
T225 26630 18737 20730 952
T324 72632 54939 18632 790
T427 45733 45939 96633 825
AM124 14030 72642 70234 291
AM229 04934 06242 48335 080
AM327 31133 69044 26634 626
AM427 38935 68344 22035 599

4. Cadres

Array1er décileMédiane9e décileMoyenne
C1A28 00034 03641 13734 316
C1B29 50035 71546 30636 890
C2A31 68041 60454 66942 784
C2B35 06042 72056 48344 678
C2C36 86345 71658 88646 882
C3A40 81353 14675 01155 578
C3B46 85357 43881 20761 261
C3C46 73963 00092 91167 925
C461 59180 168113 97184 712
C592 055124 113185 290134 563

Méthodologie

Les données utilisées dans cet article proviennent du rapport social communiqué par le Syndicat national de l'édition. Réalisé par Asympteo, société spécialisée dans les enquêtes de branche, ce rapport annuel sert de base aux négociations sur les salaires avec les syndicats de salariés. Il s'appuie en priorité sur la grille de la convention collective de l'édition, composée de trois catégories de personnels, elles-mêmes divisées en 6 à 10 échelons, mais considère aussi concrètement les fonctions les plus significatives des entreprises d'édition. Les résultats d'ensemble sont tous répartis entre femmes et hommes.

Aïda Diab, Asfored : les jeunes en quête d'expériences

Aïda Diab, direcrice de l'Asfored.- Photo OLIVIER DION

Avec 650 annonces reçues chaque année, le site de l'Asfored constitue un bon poste d'observation du marché de l'emploi dans l'édition. « La répartition des offres est quasi égale entre les grandes entreprises de plus de 500 salariés et les PME de moins de 50 personnes, et 20 % sont issus de maisons de taille intermédiaire, constate Aïda Diab, directrice de ce centre de formation du Syndicat national de l'édition. La demande est forte en fabrication, segment d'autant plus en tension que des entreprises hors édition recrutent aussi dans cette spécialité, alors que les étudiants sont plus attirés les fonctions éditoriales que par les postes techniques. »

Avec déjà deux à cinq ans d'expérience selon leur niveau (130 étudiants par promotion, du BTS au master 2), ces jeunes diplômés passés par l'apprentissage privilégient la nature de la mission, même en CDD, par rapport à un CDI qu'ils jugeront moins intéressant, observe Aïda Diab. Outre le salaire de départ, l'évolution de carrière, assez rapide pour certains, est une autre caractéristique de ces étudiants très sélectionnés à l'entrée : « En master, nous recevons 200 candidatures pour une trentaine de places », précise-t-elle.

Un peu plus de cadres

Dans un secteur faiblement créateur d'emplois, le nombre de cadres a légèrement augmenté en 2017.

Editions Leduc.s, le pôle communication.- Photo OLIVIER DION

Au-delà des salaires, le rapport de branche publié par le Syndicat national de l'édition mesure aussi l'évolution de l'emploi, autre donnée importante de la situation économique et sociale du secteur. En 2017, à périmètre comparable, le volume d'emplois a très légèrement augmenté par rapport à 2016, tiré par les créations de postes chez les cadres (+ 1,2 %), qui ont compensé l'érosion chez les employés et les techniciens et agents de maîtrise. Même si cette embellie peut être liée aux aléas des réponses (notamment à l'absence de France Loisirs, rattaché à l'édition mais plus proche de la librairie dans sa structure d'emplois), elle est assez rare pour être remarquée.

En 2015, l'étude avait aussi enregistré une progression plus importante, de + 5,5 %, sans doute due aux recrutements dans l'édition scolaire, qui se préparait au renouvellement massif des manuels du collège pour les deux années suivantes. La réforme des programmes du lycée, qui relance la refonte des manuels pour la rentrée 2019, a produit le même afflux d'offres d'emploi au printemps, constate Aïda Diab, directrice de l'Asfored. Elle explique peut-être aussi les tensions dans les recrutements constatées par Laurence Mathieu, consultante associée chez Axiales. Globalement, le secteur reste toutefois caractérisé par une baisse d'effectifs, qui se manifeste dans l'érosion du panel de l'enquête de branche, et dans les données générales sur les entreprises d'édition collectées par l'Insee : en 2016 (dernière année disponible), elles employaient 13 310 personnes, contre 16 000 en 2010.

La pyramide des âges évolue dès lors vers un certain vieillissement : les plus de 50 ans représentent 29 % des effectifs en 2017 et 2016, contre 25 % en 2015 ; les moins de 30 ans sont à 13 %, contre 15 % en 2015. Mais l'ancienneté diminue : 16 % des salariés comptent plus de vingt ans d'expérience, contre 19 % cinq ans plus tôt.

L'enquête mesure aussi les congés pris à la naissance des enfants, en distinguant les choix des femmes et des hommes. Les seconds prennent plus volontiers leur congé paternité et représentaient 21,5 % des salariés à en avoir sollicité en 2017, soit juste le double de l'année 2013. En revanche, le congé parental d'éducation, qui entraîne une absence bien plus longue et donc un possible sacrifice de carrière, est toujours pris quasi exclusivement par les femmes : 49 d'entre elles l'ont sollicité en 2017, et seulement 2 hommes (4 en 2016). En 2012 et 2013, il n'y en avait aucun, alors que plus de 50 femmes en avaient pris un. La très faible compensation (396 euros par mois) et le caractère non obligatoire de ce congé expliquent en partie cette situation, qui tourne au désavantage des femmes.

D'où la proposition du Laboratoire pour l'égalité, qui veut le partager égalitairement entre hommes et femmes, et le revaloriser.

Les emplois dans l'édition en 2017 : une majorité de femmes

74 % : c'est la proportion, très stable, de femmes dans l'édition. Elles sont légèrement moins nombreuses chez les cadres (69 %) et les employés (71,5 %), alors qu'elles représentent 78 % de l'effectif des techniciens et agents de maîtrise. Un peu plus touchées par la précarité, elles représentent 78,5 % du nombre de CDD, mais 70 % de celui des CDI.- Photo MICHEL COMBE

Beaucoup moins de travailleurs à domicile

L'enquête sociale de branche consacre toute sa dernière partie aux travailleurs à domicile (TAD), dont la situation précaire fait l'objet d'une négociation spécifique entre le Syndicat national de l'édition et les représentants des syndicats de salariés. Une dernière réunion est prévue le 9 octobre sur les ultimes points de désaccord concernant, entre autres, les indemnités en cas de rupture de contrat liée à une baisse du volume de travail.

La situation des TAD est marquée par un fort turnover. Sur près d'un millier recensés par l'enquête de branche, employés par 39 maisons, 552 sont présents en fin d'année. 435 sont partis en cours d'année, notamment à la fin de leur CDD. A périmètre comparable, l'effectif des TAD a chuté de 23 % de 2016 à 2017, peut-être sous l'effet de la transformation de leur statut en autoentrepreneur, qui les fait sortir des effectifs salariés. Entre 2015 et 2016, à périmètre comparable, la baisse était limitée à 4,4 %. Les TAD sont à 70 % correcteurs et/ou lecteurs, avec une proportion de femmes (77 %) légèrement supérieure à la moyenne de l'édition.

Très dépendantes du volume d'activité, à la régularité aléatoire (seuls 40 % des TAD cumulent plus de 1 000 heures de travail annuel), les rémunérations sont disparates, avec une moyenne à 9 990 euros pour les employés, la catégorie la plus nombreuse (242). Elle atteint 16 219 pour les techniciens et 17 747 euros pour les cadres. Très majoritaires dans ce segment précaire de l'édition, les femmes sont toutefois mieux payées (18 109 euros en moyenne) que les hommes (15 748 euros).

Les TAD sont plutôt âgés : les plus de 60 ans représentent 22 % de l'effectif, contre 5 % pour les salariés en poste dans leur entreprise. Les moins de 30 ans ne sont que 4 %, contre 13 % pour les salariés en poste.

Les embauches en 2017 : presque autant de CDI que de CDD

L'an dernier les embauches en CDI (531) ont presque égalé les contrats en CDD (535), alors que le différentiel était toujours important les années précédentes. A périmètre comparable, les CDI dépassent même les CDD, ce qui n'avait jamais été constaté lors des cinq années précédentes. Le nombre de CDI a fortement progressé (+24,7 %, à 490 contrats), alors que celui des CDI a fléchi (-3,9 %), la moyenne de l'ensemble restant positive (8,7 %, à 971 embauches).- Photo MICHEL COMBE
28.09 2018

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