Avant-critique Roman

Camille Kouchner, "Immortels" (Seuil)

Camille Kouchner, photographiée chez elle à Paris. - Photo OLIVIER DION

Camille Kouchner, "Immortels" (Seuil)

Quatre ans après les révélations de La familia grande et la déferlante du mouvement #MeTooInceste, Camille Kouchner reprend la plume pour signer un premier roman très attendu, Immortels.

Parution 4 avril

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Par Julie Malaure
Créé le 01.04.2025 à 09h00

 Le " K " Kouchner. La narratrice est seule avec ses pensées, une nuit à l'hôpital, après l'ablation d'un sein rongé par les cellules cancéreuses − des cellules « immortelles », comme le titre. Sous les draps, le corps souffre, collé au lit, et les souvenirs affluent.

« K », la narratrice − on pense « K » comme Kouchner, comme K-mille, Camille − est née la même année que l'autrice, en 1975, dans les beaux quartiers parisiens. Son visage porte la marque du même fléchissement des traits du côté droit. K s'adresse à celui qu'elle a perdu : Ben, le fils de l'amie inséparable de sa mère. Il était sa moitié depuis le berceau, une sorte de frère de lait, son âme sœur. On tourne les pages des souvenirs comme celles d'un album de famille aux photos jaunies. Clichés d'une génération, instantanés des années 1980-1990, avec ses protagonistes, Béa, Suzanne, François, Xavier. Il faut un premier baiser d'enfants, presque incestueux, échangé entre K et Ben, page 72, pour entrer véritablement dans le vif.

Comment ne pas voir, derrière cette fiction, un roman à clé ? Une signature sous pseudonyme aurait suffi à dissiper l'ambiguïté. Mais nous restons tributaires de ce que nous savons depuis La familia grande, vendu à près de 285 000 exemplaires en grand format et 100 000 en poche. Dans ce livre paru en 2021, Camille Kouchner, fille de Bernard Kouchner et de l'écrivaine et politologue Évelyne Pisier, nièce de l'actrice tragiquement disparue Marie-France Pisier, livrait le récit de son histoire familiale. Elle y accusait le politiste Olivier Duhamel, second mari de sa mère, d'avoir agressé sexuellement son frère qu'elle surnommait « Victor » pour préserver son identité. Avec Immortels, roman au vitriol qui dissèque le formatage des enfants par des parents toxiques, on a l'impression d'entrer dans le deuxième tome du récit coup de poing de 2021. Malgré la mention « roman », on scrute la fiction à la recherche du réel. On observe le féminisme paradoxal de la mère qui déclare avoir avorté en signant le manifeste des 343 du Nouvel Observateur tout en inculquant à sa fille la culpabilité d'être née femme. On juge ce père en contrepoint : « fils unique d'une aristo sans emploi et d'un gaulliste Algérie française », « cancre pourri-gâté », « se disant journaliste politique, profitant de l'entregent de ses parents », père « à pistons », « machiste satisfait, [qui] n'a jamais envisagé ta vie qu'à travers le prisme de son propre passé ». S'agit-il de sa famille ? Kouchner taille, et quand elle taille, on se régale. Mais elle encense aussi. Le cœur du livre n'est pas tant − on le regretterait presque − la dénonciation des parents abominables que la relation sublimée entre la narratrice et Ben − son « jumeau », pourrait-on dire. Ben tenant lieu de Victor de La familia grande. On a surtout envie de lire ce que deviennent les enfants de ce microcosme rive gauche. Des jeunes démolis, inaptes au monde, comme en témoigne la narratrice à travers cette longue et douloureuse lettre à Ben, lequel finit bouffi, méconnaissable, à 35 ans. Tandis que « K », elle, devient mère. L'espoir est permis.

Camille Kouchner
Immortels
Seuil
Tirage: 40 000 ex.
Prix: 20 € ; 224 p.
ISBN: 9782021578430

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