Avant-critique Essai

Byung-Chul Han, "La disparition des rituels. Pour une topologie du temps présent" (Actes Sud)

Byung-Chul Han - Photo © BC Han/Privat

Byung-Chul Han, "La disparition des rituels. Pour une topologie du temps présent" (Actes Sud)

Le philosophe Byung-Chul Han signe un essai sur la fin d'une vie ritualisée et d'un certain rapport harmonieux au monde.

Parution 5 mars

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Par Sean Rose
Créé le 28.02.2025 à 14h00

L'adieu aux saisons. O tempora, o mores, autres temps, autres mœurs ! Byung-Chul Han n'est pas Cicéron, il n'invective personne mais analyse livre après livre les bouleversements profonds que la postmodernité technocapitaliste imprime dans nos vies. Le burn out, la transparence, les algorithmes, les drones... Le philosophe germano-coréen né en 1959 pense chaque aspect de notre quotidien à l'ère numérique. Son nouvel essai La disparition des rituels propose « une topologie du temps présent ».

Le capitalisme, selon Byung-Chul Han, abolit le temps. Avec le capitalisme, pas de jour, pas de nuit ! C'est 24h/24 qu'on produit et qu'on consomme, on peut même commander en ligne, plus besoin de bouger. L'argent ne connaît ni répit ni repos, encore moins le repos éternel. La loi du marché évacue la question de la mort. Si « nul ne peut servir deux maîtres », comme dit l'Évangile, et que « vous ne pouvez servir Dieu et l'argent », dans nos sociétés contemporaines le choix est fait. Le sens du sacré, la transmission à l'aune de notre finitude... à la poubelle, tout ça ! On vit dans un pur présent : l'histoire est désormais sans chronologie, ni opacité, elle n'est plus récit mais story déployée à travers un spectre pas plus large que celui de la lorgnette d'un moi hypertrophié censément « authentique ». La culture se réduit à l'incessant moulinage d'informations et de données calculées par les moteurs de recherche. D'aucuns pourront toujours dire que le capitalisme est une nouvelle religion. Byung-Chul Han récuse l'idée : « Le sacré unit les choses et les valeurs qui animent une communauté. Le capitalisme en revanche nivelle toute différence en totalisant le profane. Il rend tout comparable et de ce fait identique. Il produit l'enfer de l'identique. » La vie vue à la lumière du sacré se déroule de manière ritualisée, à travers des gestes immémoriaux et dépsychologisés qui transcendent nos petites carrières individuelles et nous inscrivent dans la communauté : « les rites de passage, rappelle l'auteur de La société de la fatigue (Circé, 2014, repris aux PUF en 2024), structurent la vie comme les saisons. Qui franchit un seuil est arrivé au terme dans une phase de vie et entre dans la suivante. [...] Les seuils sont des phases intenses sur le plan temporel. Ils sont aujourd'hui démolis au profit d'une communication accélérée et sans faille. » On swipe si vite à la page suivante qu'aucune séquence n'a le temps de se constituer en phase. Bienvenue dans « un monde sans seuils » ! Pour l'information et les marchandises, tout glisse, on privilégie « le lisse, qui n'oppose pas de résistance, accélère leur circulation ». « Les transitions intenses au regard du temps se décomposent [...] pour devenir des transitions rapides, des liens internet prolongés et des clics sans fin. »

Encore une fois, Byung-Chul Han nous exhorte à réenchanter le monde en nous réinvestissant dans les rituels et les cérémonies. Et ce n'est pas tant avec le ton de déploration du réactionnaire néoluddite qu'avec la lucidité mélancolique du sage qui sait une autre voie possible. Réintroduire du temps dans nos mœurs et du silence dans notre environnement.

Byung-Chul Han
La disparition des rituels. Pour une topologie du temps présent
Actes Sud
Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 16 € ; 128 p.
ISBN: 9782330203993

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