Avant-critique Roman

Bruno Gibert, "Aux voleurs" (Éditions de l'Olivier)

Bruno Gibert - chez lui à Paris - le 07/11/2018. - Photo © Patrice Normand

Bruno Gibert, "Aux voleurs" (Éditions de l'Olivier)

Quatre ans après la publication des Forçats, Bruno Gibert revient avec un texte à l'ironie grinçante, dont le point de départ est le vol d'un vélo à Paris.

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Par Marie Fouquet
Créé le 10.04.2023 à 09h00

Le coupable idéal. « J'ai lu dans un journal qu'il se volait, en moyenne, 400 000 vélos chaque année en France. » Depuis qu'il habite à Paris, Paul circule à vélo - une vieille bicyclette trouvée sur Leboncoin. Il décide un jour d'investir dans un bon vélo chez Décathlon, pas un bolide, mais un vélo en aluminium Triban 500 auquel il ajoute des éléments haut de gamme - un clin d'œil aux puristes qui le jugeraient trop cheap. « Une fourche en carbone et un pédalier de conception japonaise, enfin tout ce qui se fait de mieux quand on veut investir au moins 600 euros dans un vélo. » Seulement voilà, quelques mois plus tard, le Triban 500 n'est plus attaché à son antivol U, il a été volé. Terriblement vexé, Paul fait une obsession de ce vol.

« Paul pourrait appartenir à une sorte d'aristocratie décroissante et libertaire », ironise le narrateur, un ami de Paul. Toujours hanté par la disparition de son nouveau vélo, Paul mène l'enquête après s'être adressé à la police, qui le soutient dans sa démarche et l'invite à trouver lui-même ses voleurs, sans quoi les agents ne pourront pas faire grand-chose. Il se rend donc sur Leboncoin, tente de retrouver la trace de son vélo en passant des heures à envoyer des messages et en créant des alertes sur la plateforme, tandis que sa compagne Louise commence à être irritée par son comportement : « Tu t'emmerdes la vie alors que tu aurais les moyens de te racheter un vélo, non ? »

Dans ce texte teintée d'une ironie digne de celle de François Bégaudeau dans son Histoire de ta bêtise, Bruno Gibert brosse le portrait d'un certain type de Parisien de gauche à la sensibilité écolo, un gentil qui dans l'absolu défend les causes sociales et les opprimés, mais qui dans les faits a un sens plus fort encore de la propriété. « C'était mon vélo ! » exulte-t-il à plusieurs reprises, tel un enfant capricieux. « Et si tu rachetais simplement ton vélo à celui qui te l'a pris ? Si tu laissais la police de côté pour t'arranger avec le voleur ? », lui suggère Louise. « Après le concept de "bandit social" tu proposes celui de la "victime philanthrope" ? », lui rétorque alors Paul. Les conversations politiques avec Louise sur les transports en commun ou sur la déclaration des droits de l'homme traduisent leurs positions opposées, entre lesquelles le lecteur est ballotté. Leur affrontement atteint son paroxysme lorsque Paul retrouve son vélo sur Leboncoin et se rend d'emblée au commissariat pour coincer, main dans la main avec la BAC, les voleurs de son précieux bien.

Aux voleurs pourrait être un texte agaçant, car il vient titiller avec une ironie folle les points de blocages entre l'idéologie et la vie vécue, la cohérence républicaine et la justice sociale, mais il traduit avec justesse les tiraillements face aux conflits de devoirs. À ce titre, il est une succulente petite fable qui expose, dans leur essence, les contradictions et la mauvaise foi de la petite bourgeoisie contemporaine.

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